26 août 2022

Temps de lecture : 4 min

« Le Web3 commence déjà à être récupéré par le capitalisme » : Julien Pillot (Inseec et CNRS)

Docteur en économie, Julien Pillot est enseignant-chercheur à l'Inseec, professeur associé à l'Université Paris Saclay et chercheur associé au CNRS. Spécialisé dans l'économie de la concurrence et de l'innovation dont il cherche à appréhender les impacts économiques, sociaux et environnementaux, cet économiste s’intéresse tout particulièrement aux stratégies des entreprises de la tech et des industries culturelles et créatives. Il nous explique les raisons du bras de fer entre Elon Musk et Twitter et analyse pour nous les tenants et les aboutissants de la grande tendance du moment : le « Web3 ».
INfluencia : Avez-vous étonné de voir Elon Musk retirer son offre de rachat sur Twitter ?

Julien Pillot : Nous savions déjà que les voix d’Elon Musk étaient impénétrables. Cet « homo economicus » n’est pas forcément rationnel. C’est un influenceur qui a toujours eu la capacité de nous surprendre. Ce caractère lui donne un avantage concurrentiel. Blague à part, à la question de savoir si la décision du fondateur de Tesla m’a surpris ou pas, je répondrai à la fois oui et non. Retirer une offre de 44 milliards de dollars ne m’étonne pas de lui. Par contre, le timing de son départ, lui, surprend. Si son objectif était uniquement de faire monter le cours de Tesla pour revendre ensuite ses actions, il aurait pu le faire avant. Renoncer après la signature d’un accord de rachat ne fait que des perdants d’ans l’affaire. Elon Musk risque en effet de devoir payer contractuellement une forte pénalité que certains chiffrent à 1 milliard de dollars. Cette somme est importante même une personne dont la fortune est évaluée à 220 milliards de dollars. Cette estimation, qui a été faite avant l’offre sur Twitter, devrait, de toute façon, est revue à la baisse car les avoirs d’Elon Musk consistent surtout dans les titres des sociétés qu’il a fondé et l’action de Tesla a beaucoup chuté ces derniers mois. Sa baisse s’est même accélérée depuis l’OPA sur Twitter car beaucoup d’investisseurs se demandent aujourd’hui si Musk a toujours la capacité de transformer le plomb en or.

IN : En quoi le départ d’Elon Musk est une mauvaise nouvelle pour Twitter ?

J.P. : Les critiques lancées par Elon Musk concernant la proportion de faux comptes chez Twitter a durablement dégradé l’image du réseau social. Peu importe que le chiffre atteigne 7%, 10% ou 20%… Le modèle de la plateforme repose sur la vente de publicité. Maintenant que sa réputation a été entachée, les annonceurs vont pouvoir exiger des rabais pour leurs publicité et cela va fragiliser Twitter qui avait déjà des problèmes pour trouver un modèle économique pérenne. Quoi qu’il advienne, Elon Musk et Twitter ne vont pas profiter de cette affaire.

IN : Cette OPA est une nouvelle étape marquante dans la révolution que traverse actuellement le « world wide web ». Tout le monde parle aujourd’hui de la « révolution » du Web3 mais rares sont ceux qui semblent d’accord pour expliquer concrètement ce que signifie ce terme. Quelle est votre définition de ce concept pour le moins obscur ?

J.P. : Le Web3 na pas encore de définition précise. C’est un terme encore très conceptuel. Pour l’expliquer, j’ai tendance à revenir en arrière. Le Web1 représente la découverte de la capacité de mettre des ordinateurs en réseau dans le monde entier afin de diffuser des informations ou de messages. Le web se limitait alors aux contenus publiés par les personnes en ligne. Le web2 coïncide avec la naissance de l’internet participatif et l’apparition du web social et du web applicatif. Tout un chacun est devenu du jour au lendemain à la fois consommateur et émetteur d’informations mais ce système est aussi celui qui a créé le complotisme et les fake news. Et si le web2 permet à tout le monde de diffuser des contenus, la maîtrise de l’info est monopolisée par les grosses plateformes qui contrôlent tout. Les promoteurs du web3 sont de doux rêveurs qui veulent décentraliser l’hébergement des contenus et redonner le pouvoir économique et le contrôle de l’information à ceux qui produisent les textes et les images diffusées sur le web. Pour s’assurer de la traçabilité de l’info afin de la rendre transparente et d’être certain qu’elle ne soit pas détenue par des entreprises qui en tirent profit, il a été nécessaire de développer de nouvelles technologies.

IN : Quelles sont-elles?

J.P. : La blockchain. Ce système de certification décentralisé appartient à tout le monde donc à personne en particulier. L’idée est de créer un espace économique pour le bien commun et universel mais nous savons tous que l’enfer est pavé de bonnes intentions. L’histoire a toujours tendance à bégayer et les doux rêveurs oublient souvent que le capitalisme à le pouvoir de tout récupérer et de remporter la mise finale.

IN : Vous semblez bien fataliste…

J.P. :  Pour financer les nouvelles technologies sur le web, vous avez besoin de capitaux et les fonds qui les fournissent attendent des retours sur leurs investissements. Les deux premières déclinaisons du web ont été récupérées par les intérêts financiers et tout prête à penser que le Web3 le sera également.

IN : N’est-ce pas déjà le cas ?

J.P. : Sans aucun doute. Les cryptomonnaies sont aujourd’hui des outils spéculatifs qui sont utilisés par les fonds comme les subprimes dans le passé. Les jeunes sont aussi très présents sur ce marché mais leur seul objectif est de gagner de l’argent. Les plateformes de trading sont également très ludiques. En deux clics, un internaute peut acheter un vendre une cryptomonnaie. Ces sites ressemblent à celui des jeux en ligne et des casinos. Les jeunes font des paris et comparent leurs performances avec leurs copains. C’est pour cette raison que j’ai toujours dit que les cryptos n’étaient pas de véritables monnaies car une monnaie a besoin d’être relativement stable pour permettre les échanges. Un boulanger ou un boucher ne peux pas vendre une baguette ou un steak s’il n’est pas assuré de savoir exactement la valeur de la devise que son client va lui donner à la caisse.

IN : Parallèlement aux cryptos, beaucoup parlent de la « révolution » du métavers…

J.P. : Les fonds et les marques investissent en effet lourdement dans les métavers mais leurs objectifs est, là aussi, de dégager de confortables rendements qui viendront compléter ceux gagnés en Bourse. Les cabinets de conseil alimentent également le rêve auprès de leurs clients afin de décrocher des missions ? Tout ceci entretient une bulle. Le Web3 commence donc déjà à être récupéré par le capitalisme.

IN : Que va-t-il se passer si cette bulle venait à éclater ?

J.P. : Je suis un éternel optimiste. Si la bulle éclate, il en restera toujours quelque chose. Actuellement, des milliards de dollars sont dépensés dans les Web3 et notamment dans les métavers. Même si ce marché ne connaît pas l’essor espéré et que les investisseurs réduisent leurs dépenses brutalement, le boom actuel va nous permettre, d’accroître nos connaissances, de découvrir de nouveaux outils et de développer de nouvelles technologies qui nous seront utiles à l’avenir.

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