27 janvier 2010

Temps de lecture : 2 min

Julien*

Nous ne nous connaissions pas. Enfin, pas vraiment. Ami d'une amie, tu étais connu pour être un mec sympa. Tu es passé une ou deux fois chez moi, par hasard. La dernière fois que j'ai eu de tes nouvelles, par hasard également, tu partais bosser dans un hôtel en Haïti. De l'avis général, c'était un peu dangereux. Super, l'ironie...Par Romain Gilbert...

Nous ne nous connaissions pas. Enfin, pas vraiment. Ami d’une amie, tu étais connu pour être un mec sympa. Tu es passé une ou deux fois chez moi, par hasard. La dernière fois que j’ai eu de tes nouvelles, par hasard également, tu partais bosser dans un hôtel en Haïti. De l’avis général, c’était un peu dangereux. Super, l’ironie…

Le tremblement de terre. Premier réflexe, je jette un coup d’œil à ton wall facebook. Je vois que je ne suis pas le seul à m’inquiéter. Absence d’info confirmée par mail. A diffuser, bien sûr. Toutes les lignes téléphoniques là-bas sont coupées ou saturées. Les media tentent encore d’évaluer l’ampleur de la catastrophe. Je tape le nom de l’hôtel dans twitter search. Le nom des occupants disparus commence à s’égrener. Sait-on jamais, je tweete ton nom. « #haitimissing, please RT » (ReTweet) est la formule consacrée.
Les familles de disparus forment une diaspora mondiale. Une diaspora qui réagi rapidement. Elles créent un groupe facebook au nom de l’hôtel. Elles construisent, rassemblent, en moins d’une heure une liste des disparus, complétée par des photos. Elles veillent, pour rapporter, en temps réel, toute information que les media internationaux diffusent, dans toutes les langues du monde.
Elles s’y échangent les bribes d’infos qui filtrent, en général via twitter. Les premières photos de l’hôtel ravagé y apparaissent quelques heures plus tard. Un de tes amis m’a même appelé. Il a tapé ton nom dans Google, et est tombé sur mon tweet. Pourtant les nombreux appels aux dons commencent à rendre difficile la lecture d’informations précises : les bonnes volontés « floodent » (polluent) sans le vouloir. Les journalistes s’ouvrent même des comptes twitter pour pouvoir contacter les sources d’information locales « @truc, je peux vous skyper ? »
Une base de données « missing persons » est alors mise en place par Google. Toujours pas de nouvelles. Cela fait maintenant près de 48 heures. Le groupe facebook reste très actif. Les premiers secours sont arrivés sur place, et commencent les recherches. C’est à ce moment-là que tu es brutalement déclaré mort.C’est confirmé sur ta page facebook, par ta sœur. Cette même page est depuis devenue un hommage, comme en témoignent les centaines de billets, ou les updates de statuts de tes amis, de ta famille, tous désemparés.Pardon Julien, ton décès n’est pas un cas marketing. C’est une des réalités de cette catastrophe, différente de la course à l’image un peu voyeuriste de certains médias, si je peux me permettre de juger. Je voulais simplement m’en faire l’écho.

  Romain GilbertPlanneur stratégique New Business Lowe Stratéus
* tout est vrai, le prénom a simplement été changé

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