Cette tribune, haute en couleurs de Lucile Vincent, démontre comment l’analyse des « usages » s’applique aujourd’hui au secteur du B2B et brise les stéréotypes de la segmentation client. Lâchez vos souris ! Mains en l’air !
Cela fait quelques années que je suis dans le BtoB et de ce fait j’ai rencontré quelques Dircom et Dir. marketing. J’ai pu observer les mutations de leurs métiers, plus ou moins rapides, plus ou moins frictionfull entre les innovateurs et les « stables ». J’ai même eu l’honneur de rencontrer des visionnaires, ceux à qui « on ne la fait pas » ; d’accompagner des gens qui avaient la tête dans le guidon et qui sont perdus en constatant la transformation de leurs concurrents ; d’écouter les « sachants », ceux qui savent tout mieux et sont tout aussi convaincus que ce qu’ils font depuis 10 ans est gravé dans le marbre sans aucune possibilité d’évoluer. Attendez une minute… Mais c’est une segmentation de nos clients potentiels tout ça, non ? Et bien non… Ce sont juste des stéréotypes ! Et nous en sommes tous pétris. Nous imaginons nos clients et prospects comme une espèce de masse lisse, immuable et normée tout entière consacrée à l’exercice de son métier avec des besoins totalement identifiés. Bref, on se trompe de combat.
Délit de stéréotypes en BtoB
Premier stéréotype, le plus connu : le décisionnaire/PDG/membre du CODIR ou COMEX est nécessairement un homme de plus de 40 ans, avec un haut niveau d’étude. Lorsque nous proposons d’établir ensemble des personas, cela revient souvent. Soyons honnêtes. Mais cette cible est tellement large qu’elle ne correspond à personne. Enfin si, à beaucoup de monde en fait. Beaucoup trop, dirons-nous. Du coup, on compense à grandes doses de lyrisme inutile et ronflant :
→ « Il a besoin d’être rassuré ». C’est-à-dire ? Rassuré sur quoi ? Que son prestataire soit à la hauteur ? Que son image auprès de sa direction soit valorisée ? Ou qu’il n’y ait pas de chou de Bruxelles à la cantine ce midi ?
→ « Il fait de la veille métier ». De la veille métier… Si je suis acheteur ou CEO ça ne voudra pas du tout dire la même chose. Est-ce qu’il a vraiment le temps de faire de la veille ? Si oui, sur quels sujets réels ? Et sous quelle forme ? A-t-il de vrais supports de prédilection ?
Pourquoi un décisionnaire aurait plus de 40 ans ?
Qui plus est, est-ce tout simplement vrai ? D’abord, pourquoi un décisionnaire aurait plus de 40 ans ? Pourquoi serait-il un homme ? Sans parler du nombre de PDG qui n’ont pas de diplôme mais qui sont de véritables visionnaires… Plusieurs entreprises ayant remarqué que cette segmentation rappelait un peu trop « la ménagère de moins de 50 ans », les consultants et autres grands gourous ont créé un nouveau concept de génie : le Millenial (appelé avant « le jeune »). Visiblement le Millenial connaît un succès certain dans le monde du BtoB après celui du BtoC. D’abord influenceur, il atteint maintenant des niveaux de décisionnaire. S’armant d’études tout autour du corps, le marketeux se dit alors que le Millenial attend ceci ou cela… Le potentat est établi.
On fait des réunions de crise, on ne comprend pas
C’est beau, c’est plein de graphiques. On y réfléchit longuement en réunion. Affichant tous un air entendu mais grave. On crée des offres spécialement étudiées pour attirer le décisionnaire/candidat de 30+ urbain en « quête de sens ». Et là, c’est le drame… Ça ne marche pas ! On fait des réunions de crise, on ne comprend pas. Les spécialistes étaient pourtant formels. Mais pourquoi ça ne marche pas ? Tout simplement parce que le Millenial n’est pas un segment cible ! Trop large, trop conceptualisé, trop idéalisé : la définition ne correspond à personne de réel. L’âge (et la vision démographique en général) n’est pas une segmentation client. Et ne le sera jamais. Que ce soit en BtoC, en BtoB, ou en BtoBtoC.
On fait quoi alors pour notre segmentation client?
Ce n’est pas moi qui le dit c’est Mark Ritson, un professeur de marketing de renom. Dans un article intitulé “Why fascination with Millennials says more about the marketer than it does the generation” il explique : « à moins que vous ne puissiez prouver que le groupe démographique pense et agit différemment des autres, votre segment n’est pas un segment. Ça ne sera qu’un stéréotype sur lequel vous vous contenterez de plaquer des affirmations pour lancer votre produit ». Mais alors… On fait quoi pour notre segmentation client ? On revient à la communication de masse ? Que nenni mon ami !
Do you speak « usages » ?
Mais qu’entend-on par-là ? On parle de comportements spécifiques. Par exemple : de la manière de consulter des articles (lieu, horaire, support…), de la façon dont on fait une commande (comparatif, méthode de choix et prescription potentielle, support de commande, fonctionnalités attendues…), ou encore comment elle est suivie. Aujourd’hui, tout a changé, les attentes de personnalisation sont de plus en plus élevées (64% des décideurs BtoB attendent une communication personnalisée). Chacun ayant ses attentes spécifiques. Sans parler du tunnel d’achat, qui se fait majoritairement seul (et oui même en BtoB, 57% des décisionnaires préfèrent faire leur recherche en autonomie avant d’entrer en contact direct avec une entreprise). Il est donc devenu impossible d’imaginer des attentes normées : la réclame « J’ai le produit qu’il vous faut ! » à grand coup d’argumentaires de vendeur de tapis s’est essoufflée.
Un décisionnaire BtoB n’est qu’un consommateur BtoC qui passe la porte de son bureau
Bon ça ne veut pas dire qu’on doit attendre que le client toque à notre porte. On le sait bien que vous avez le produit ou service parfait pour lui. Nous n’en doutons point. Mais lui, comment peut-il le savoir ? Il faut donc prendre en compte les habitudes, les comportements de vos cibles dans leur cycle de décision/d’achat. On connait la fin de la communication de masse en BtoC, il n’y a aucune raison que cela perdure en BtoB. Après tout, un décisionnaire BtoB n’est qu’un consommateur BtoC qui passe la porte de son bureau. Va-t-il changer de personnalité en un clin d’œil ? Peu probable. Une étude de Marketing Week, auprès de 800 acteurs du marketing dans 23 secteurs d’activités différents, démontre que la segmentation de « l’usage » était considérée comme la plus efficace et la plus utilisée aujourd’hui (à 43%). Près des ¾ de ces pros du marketing (73%) pensent que le comportement est devenu la segmentation la plus efficace depuis 5 ans. Par exemple Danone a identifié 16 tribus unies par plusieurs axes d’habitudes. Les spots qui en ont résulté ont permis d’augmenter de 40% le taux de retours.
Ça va tout changer ! Changer c’est sûr
En BtoB, de plus en plus d’entreprises (11 fois plus depuis 2011 en France) s’arment de logiciels de ciblage et d’automation. Vous êtes conscients de cette mutation profonde. On a plus qu’à s’y mettre… Ensuite on fait de belles réunions, des audits, des contrats, des formations internes, des séminaires où l’on reprend en cœur « Oh happy day! ». Ça va tout changer ! Changer c’est sûr… Mais attention, se doter d’outils performants c’est bien. Les alimenter judicieusement, c’est mieux. Il ne vous viendrait pas à l’idée d’acheter une belle voiture de course pour juste faire le tour de votre cour intérieure ! (Bon après, si ça vous plait, on ne vous juge pas…) Des scenarii de comportements devront alors être mis en œuvre. Le tout couplé à des fonctionnalités et contenus à vraie valeur ajoutée. On suivra leur efficacité dans le temps. On les affinera. On priorisera pas à pas pour offrir une expérience de marque BtoB réelle, engageante et démontrant la vraie proposition de valeur de la marque !
Définir des « tribus comportementales
Il s’agit donc d’une approche de fond, celle qui consiste avant tout à définir des « tribus comportementales » dont on sait qu’elles adopteront un comportement identifiable que l’on pourra cibler, animer et fidéliser en fonction d’objectifs business concrets. Une nouvelle philosophie de travail pour les services MarCom et Sales… De nouveaux challenges pour nous tous.
En BtoB, les stéréotypes sont définitivement morts.
RIP.