De par son caractère, le jeu pervasif brise le cercle magique d’Huizinga et en cela a repoussé les frontières spatiales où les joueurs peuvent s’étendre, comme le monde entier a pu le constater avec Pokémon Go. Cependant, des limites continuent bien d’exister.
Une vue de l’esprit fait de Pokémon Go et des jeux pervasifs en général un jeu jouable en tout lieu de la planète et la disposition de Pokéstop (réserves à objets), d’Arènes et de Pokémon de manière plus ou moins aléatoire laissent à penser que la Terre entière est devenue depuis quelques semaines le nouveau lieu de conquête des millions d’afficionados de la franchise nippone. Cependant, plusieurs règles prévalent à l’établissement d’un tel constat.
Comme il a déjà pu être écrit à de nombreuses reprises, Pokémon Go n’a pas été créé ex nihilo par la société Niantic. Cette dernière s’appuie sur un précédent, le jeu Ingress, autre jeu pervasif basé sur le principe de la conquête de territoires, lorsque la société était une filiale de Google. C’est notamment la cartographie mondiale établie pour ce projet en 2012 qui a servi à la définition des fameux Pokéstop dont l’établissement de différents « points d’intérêt » a déjà pu soulever de nombreuses interrogations.
Le terrain de jeu de Pokémon Go n’est donc pas neutre, révélant au passage une grande disparité entre les zones les plus peuplées, autrefois prisées par Ingress et des lieux « marginaux » tels des villages en rase campagne ou des zones dépourvues de présence humaine. Le « terrain » jouable est finalement composé d’un maillage d’une infinité de petites parcelles plus ou moins recoupées et reliées, nécessitant avant tout un accès à un réseau conséquent capable de faire fonctionner la géolocalisation de chaque appareil. Car le dispositif « smartphone » requiert deux composantes essentielles pour son fonctionnement : énergie et connexion. Deux éléments clés qui pourraient bien devenir des sources de monétisation tout autant que donner lieu à des partenariats entre Niantic et d’éventuelles marques désireuses de s’associer au phénomène.
Hacker notre environnement
À l’inverse, la mise en avant de manques ou de limites par les joueurs concernant notre environnement urbain peut être bénéfique pour l’amélioration du quotidien de toutes et tous. Cette prise en compte des nouveaux usages, cette définition de nouveaux besoins et la résolution de ceux-ci par une frange de la population composée des utilisateurs de jeux pervasifs peuvent ainsi permettre l’amélioration du tissu urbain et de ses différents axes moteurs (l’urbaniste Philippe Gargov l’explique en partie dans un article dédié à Pokémon Go). Cette amélioration peut ensuite bénéficier à l’ensemble des opérateurs et exécutants de l’environnement urbain. Y compris les joueurs, pouvant au passage accéder ou détourner de nouveaux équipements selon les buts du jeu en cours (les abribus pourvus de prises USB sont ainsi utilisés de manière importante par les utilisateurs du jeu à Paris, par exemple – cette idée, si elle n’avait déjà été exploitée, aurait tout aussi bien pu émerger suite à la sur-utilisation des batteries de smartphones et la remontée de personnes souhaitant pouvoir jouer « en continu » sans besoin de venir se « ravitailler » chez soi ou dans des lieux tiers tels des bibliothèques ou restaurants).
Reste la caractérisation des lieux via des propositions fortes, intérêt qui semble aujourd’hui relativement marginal. Les Pokéstop ne regorgent pas à ce jour d’objets plus ou moins prestigieux selon l’intérêt touristique réel du lieu tandis que l’apparition de Pokémon aux caractéristiques spécifiques n’a pas l’air obligatoirement lié à leur environnement proche (exemple : apparition non systématique de Pokémon « eau » autour de fontaines, canaux, etc.)
À l’image du geocaching (loisir consistant à utiliser la technique du GPS pour rechercher ou dissimuler un contenant dans divers endroits à travers le monde), on pourrait aisément imaginer une gradation plus conséquente entre certains types de monuments ou lieux, avec des critères à définir au détriment d’autres (comme la question de leur accessibilité, par exemple). De la même manière, l’expérience et l’utilisation empirique des outils à la disposition des communautés adhérant aux jeux pervasifs permettront peut-être de faire émerger des carences dans l’emploi du smartphone. Celles-ci inviteront au développement de nouvelles applications ou objets capable de répondre aux différentes problématiques précitées dans ces différents articles, emmenant le jeu vers de nouveaux territoires. Une nouvelle manière de briser ce fameux « cercle magique », encore et encore ?