18 octobre 2022

Temps de lecture : 3 min

Jeronimo Folgueira (Deezer) : « Être Français est à la fois une bénédiction et une malédiction »

Jeronimo Folgueira occupe depuis le mois de juin 2021 le poste de CEO de Deezer. Cet Espagnol, titulaire d’un MBA de la Columbia Business School, était auparavant directeur général de Spark Networks à Berlin. Durant ces cinq années à ce poste, il a quadruplé la taille de l’entreprise en bouclant trois transactions stratégiques de fusions-acquisitions et il a supervisé l’introduction de la société à la Bourse de New York en novembre 2017, devenant par la même le plus jeune PDG européen du NYSE à l’époque. Avant ce coup d’éclat, cet amateur de musique et de podcast a occupé plusieurs postes de direction, notamment chez Betfair, Bigpoint et RTL Group. Il est aussi membre du conseil d’administration de Tio Tech, une SPAC cotée au Nasdaq qui cherche à aider les licornes européennes à accéder aux marchés financiers américains.
INfluencia : Deezer est la doyenne des licornes françaises. Longtemps montrée en exemple, elle fait aujourd’hui figure de petit poucet face aux géants Spotify, Apple Music et Amazon Music. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Jeronimo Folgueira : Deezer est l’inventeur du streaming musical. La société a été fondée un mois avant Spotify. Notre offre était, à l’époque, révolutionnaire. Notre volonté était de démocratiser l’accès à la musique en permettant au plus grand nombre d’avoir accès à un énorme catalogue de titres et de musiciens. Avant Deezer, les gens devaient télécharger des morceaux sur internet pour pouvoir les écouter. Nous avons aussi été les premiers à créer une application. Au début, elle était dédiée aux… BlackBerry. L’innovation fait partie de notre ADN et nous avons toujours été passionnés par la musique.

nous avons raté notre internationalisation tout particulièrement aux Etats-Unis. Nous avons trop dispersé nos ressources…

IN : à quel moment Deezer a-t-il pris un mauvais tournant stratégique ?

J. F. : nous avons raté notre internationalisation tout particulièrement aux Etats-Unis. Spotify nous a devancé dans ce pays et ils ont ensuite fait le choix de se déployer à l’étranger en allant sur un marché puis sur un autre alors que Deezer a préféré proposer ses services au même moment dans 180 pays différents. Nous avons trop dispersé nos ressources. Spotify s’est aussi montré très agressif pour lever des centaines de millions de dollars auprès des investisseurs. Nos actionnaires ont été beaucoup plus prudents, limitant ainsi nos ressources. Être Français est, par ailleurs, à la fois une bénédiction et une malédiction. La Suède a la taille de Paris. Spotify, qui est né là-bas, n’avait donc pas d’autres choix que s’internationaliser rapidement. Nous autres, nous n’avions pas besoin de nous développer sans attendre à l’étranger et nous avons laissé nos concurrents prendre de l’avance sur nous. Aujourd’hui encore, plus de 60% de nos revenus sont générés en France. Mais tout ce que je vous dis remonte à de l’histoire ancienne. Moi, je suis là depuis tout juste un an…

IN : qu’est-ce-que votre profil peut apporter à Deezer ?

J. F. : j’ai beaucoup d’expérience dans la gestion et le développement de business internationaux. Deezer a l’avantage d’avoir un produit très excitant à proposer et le marché sur lequel il est présent est en pleine croissance. J’adore le fait que la musique apporte du bien-être à ceux qui l’écoute.

Nous sommes parvenus à atteindre ces trois objectifs comme le prouve la croissance à deux chiffres de notre chiffre d’affaires au premier semestre 2022 (219 M€, +12%) et le recul en un an de 8,8 M€ de notre perte nette à 51,9M€.

IN : quelle stratégie avez-vous mis en place un an après votre arrivée aux commandes ?

J. F. : j’ai déployé une stratégie en trois phases. La première consistait à remettre à niveau notre infrastructure technique, à nettoyer notre catalogue et à développer notre business. La seconde visait à revoir notre stratégie d’expansion à l’international et la troisième cherchait à accélérer notre croissance et à accroître notre rentabilité. Nous sommes parvenus à atteindre ces trois objectifs comme le prouve la croissance à deux chiffres de notre chiffre d’affaires au premier semestre 2022 (219 M€, +12%) et le recul en un an de 8,8 M€ de notre perte nette à 51,9M€.

IN : votre expansion à l’international a été sérieusement revue à la baisse…

J. F. : même si nous continuons de proposer nos services dans 180 pays, nous avons en effet choisi de concentrer nos efforts sur trois marchés. Les deux premiers sont ceux où nos parts de marché sont les plus forts. En France, elles atteignent 30% et au Brésil, elles approchent 20%. La signature de notre partenariat stratégique avec RTL+ nous a aussi encouragé à nous développer en Allemagne où notre business est encore très limité. A l’avenir, nous allons chercher à nous associer avec d’autres groupes présents notamment dans les médias et les telcos pour nous lancer sur d’autres marchés.

les marges sont structurellement faibles dans notre secteur car nous reversons une grande partie de nos revenus aux compositeurs et aux musiciens présents sur notre catalogue.

IN : la plupart des experts jugent que le streaming musical aura des difficultés à être structurellement rentable. Au second trimestre, Spotify a encore affiché une perte nette de 125 millions d’euros. Apple et Amazon se servent, eux, de la musique pour vendre des smartphones et des abonnements à Prime. Comment pensez-vous résoudre cette quadrature du cercle ?

J. F. :  les marges sont structurellement faibles dans notre secteur car nous reversons une grande partie de nos revenus aux compositeurs et aux musiciens présents sur notre catalogue. Nous pouvons être satisfaits quand nous dégageons une profitabilité de 20% mais cette marge a tendance à légèrement progresser année après année. Nous explorons également des pistes pour nous développer sur des marchés plus profitables.

IN : cela fait quoi d’être une licorne ?

J. F. : chaque pièce à deux faces. D’un côté, être une licorne permet de recruter plus facilement  et d’obtenir le soutien des institutions. D’un autre côté, ce statut ne change au rien aux challenges auxquels nous devons faire face. Nous devons continuer de développer un bon produit pour lutter contre nos concurrents. En fait être licorne, cela ne représente rien de spécial…

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