21 mars 2025

Temps de lecture : 7 min

Jérôme Doncieux : « Le seul truc qui peut m’affecter pendant des heures est une défaite importante du Stade Toulousain »

Nougaro n’a pas composé pour lui sa chanson « Toulouse », mais il aurait pu. Jérôme Doncieux revendique à chaque instant sa « citoyenneté toulousaine ». Le président et CEO de Majelan X -né de l’intégration entre ETX Studio, qu’il a fondé, et Majelan acquis en 2022 - répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’Hôtel Littéraire Le Swann* – Proust oblige.

INfluencia : Votre coup de cœur ?


Jérôme Doncieux : J’ai trois coups de cœur artistiques à partager. Le premier est pour « La Ballade de Lucy Jordan » de Marianne Faithfull. À la suite de son récent décès, j’ai redécouvert cette chanson que je connaissais déjà. J’adore la mélodie, mais aussi le message féministe et la résilience incroyable de cette chanteuse. Son album « Broken English » est une véritable prouesse, surtout après les épreuves qu’elle a traversées. Elle a su se réinventer et sortir du fond d’elle-même un album puissant, malgré un passé tumultueux marqué par la drogue et les excès.

Mon deuxième coup de cœur est pour Nadau, un groupe de musique gascon-béarnais improbablecréé en 1973, qui remplit des salles comme le Grand Rex et l’Olympia, modernisant de très vieux airs traditionnels avec une énergie rock. J’ai emmené ma mère, âgée de 85 ans, à plusieurs de leurs concerts, et elle adore. Je suis profondément toulousain et voir un groupe aussi « ringard » capable de fédérer toutes les générations et tous les milieux est vraiment inspirant.

Enfin, mon dernier coup de cœur est pour une initiative récente au Centre Pompidou, qui a organisé fin février un événement inspiré par une initiative bretonne appelé « Le Musée Recopié« . Cet événement a rassemblé 500 artistes amateurs et les a invités à recopier des œuvres du musée pendant trois jours. J’ai passé plus d’une heure à observer ces passionnés, assis par terre, en train de reproduire des œuvres avec plus ou moins de talent. C’était une expérience extraordinaire, et les copies ont ensuite été exposées dans une salle dédiée.

Elon Musk est peut-être victime du vol d’Icare, quand on se rapproche trop de la politique, on se brûle

IN. : Et votre coup de colère ? 

S.P. : Mon coup de colère concerne le moment où un génie se transforme en « connard », pour reprendre les mots de Xavier Niel. Le génie, c’est Elon Musk, notamment grâce à SpaceX, une idée révolutionnaire qui suscite mon admiration. D’une certaine façon, je suis moins choqué par le fait qu’un entrepreneur cherche à rogner des dépenses publiques que par le manque de respect flagrant envers les personnes. Je trouve cela insupportable et en plus contreproductif. Mais le pire, c’est son ingérence dans les élections allemandes en soutenant un candidat controversé. J’espère qu’il n’a pas fait de salut nazi, car cela serait inacceptable.

Heureusement il y a une vraie réaction de colère des gens : les ventes de Tesla chutent un peu partout en Europe, des activistes ont publié une vidéo percutante sur l’usine. J’ai vu des campagnes de détournement de la marque, qui montrent à quel point l’opinion publique est remontée. Je pense qu’Elon Musk est peut-être victime du vol d’Icare, quand on se rapproche trop de la politique, on se brûle. J’espère que cette situation aura au moins une vertu : réveiller l’Europe, qui se fait humilier. En tant que – dans l’ordre, c’est très important – Toulousain, Français et Européen – je souffre de voir cela. Toutefois, les récentes déclarations du nouveau chancelier allemand me redonnent espoir.

J’ai compris que nous avons tous un instinct de survie en nous, et qu’il est crucial de l’écouter

IN. : L’évènement qui vous a le plus marqué dans votre vie ? 

J.D. : L’événement qui m’a le plus marqué dans ma vie est le jour où j’ai découvert mon instinct de survie. Jusqu’en 4e, j’étais un excellent élève, toujours parmi les premiers de la classe. Mais en entrant au lycée Pierre de Fermat à Toulouse, tout a changé. Dès le premier jour, dans un contexte familial compliqué, je me suis installé au dernier rang. En deux trimestres, mes résultats ont chuté de manière spectaculaire et j’ai commencé à décrocher. C’est alors que j’ai eu un déclic. J’ai demandé à ma mère de m’aider à changer d’environnement, malgré les difficultés fortes que cela posait. Je suis devenu pensionnaire à Notre-Dame de Garaison dans les Hautes-Pyrénées, un endroit exigeant et dur où personne ne me connaissait. Là-bas, j’ai pu recommencer à zéro. J’étais le premier à l’étude et le dernier à en partir. Comme j’étais bon en sport, notamment au football et au tennis, j’ai réussi à m’intégrer rapidement. Cette expérience m’a remis sur les bons rails.

Cet instant de survie m’a appris l’importance de changer de cadre pour modifier la perception de soi-même et des autres. J’ai compris que nous avons tous un instinct de survie en nous, et qu’il est crucial de l’écouter. Il m’a accompagné tout au long de ma vie professionnelle, me poussant à entreprendre des projets risqués et à toujours chercher à me réinventer.

« Votre femme me charge de vous dire qu’elle en a marre… Qu’il se débrouille tout seul ! »

IN. : votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire

J.D. : J’aurais adoré être un grand sportif. L’un des regrets de ma vie est d’ailleurs de ne pas m’être mis au rugby plus tôt. C’est pendant mon VSNE, le service militaire en entreprise à Londres, chez Havas, que j’ai découvert le rugby. Nous avions monté une équipe de « bras cassés » et j’ai immédiatement adoré ce sport. Aujourd’hui, bien que je vive loin de Toulouse, mon amour pour cette ville passe par le Stade Toulousain. Et moi qui ai bon moral, en dehors de la santé de mes filles, le seul truc, qui peut m’affecter pendant des heuresest une défaite importante de cette équipe. Là, j’ai découvert ce que signifie être un véritable supporter.

Après mon service militaire, de retour à Paris, nous avons continué à jouer en famille le week-end à Bagatelle. J’adorais tout du jeu, surtout le fait de jouer en équipe avec mes frères et cousins. J’occupais le poste de demi de mêlée. J’étais parfois arrogant et les autres en face voulaient me tabasser. Mais j’étais toujours protégé par mes trois frères. Je suis le plus jeune, et j’ai toujours bénéficié de cette protection tout en ayant la décontraction du petit dernier. J’ai d’ailleurs une anecdote amusante à ce sujet. Je me blessais souvent, ce qui me valait des séjours aux urgences et des plâtres fréquents. Un jour, après une nième blessure, je demande à une infirmière d’appeler ma femme pour qu’elle vienne me chercher. Je m’en souviendrai toute ma vie, c’était à l’hôpital Laennec qui était encore ouvert, l’infirmière revient et me dit : « Votre femme me charge de vous dire qu’elle en a marre… Qu’il s débrouille tout seul ! » (rires). J’ai demandé à l’infirmière d’insister et de lui dire que c’était la dernière fois. Ma femme est quand même venue…

Je suis allé voir mon board : « J’ai candidaté à l’X, je suis pris. J’ai obtenu un prêt étudiant. Si dans x années ça marche, vous me remboursez. Sinon, c’est pour moi »

IN. : Votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

J.D. : À plus de cinquante ans, j’ai décidé de m’attaquer à une montagne et de retourner à l’école sur les bancs de l’Executive Master de l’Ecole Polytechnique (ndlr : l’X pour les intimes), et afin de réaliser un travail sur ce que j’ai appelé « la société de vraisemblance ».

Il y a quatre ou cinq ans, je vois une publicité de l’Executive Master de X. Je regarde, je trouve cela génial mais sûrement très difficile et hyper cher, alors je laisse tomber. L’année d’après je suis allé voir mon board : « J’ai candidaté à l’X, je suis pris, ça coûte beaucoup d’argent. J’ai obtenu un prêt étudiant. Si dans x années ça marche, vous me remboursez. Sinon, c’est pour moi ».

Pourquoi cette envie ? Quand j’ai décidé de quitter Publicis et de me lancer dans l’aventure ETX, j’avais cette idée de mettre l’audio et l’IA au cœur de l’expérience en situation de mobilité. Mais au fur et à mesure que j’avançais, je sentais qu’il me manquait quelque chose. Que j’avais – dans le désordre – besoin de progresser, d’acquérir un supplément de confiance pour réussir mon aventure et passer de quelque chose de pas mal à quelque chose de bien. Et probablement aussi de satisfaire un peu mon ego car l’X c’est quand même extraordinaire. Mes filles diraient que c’est plutôt dans l’ordre inverse, et que l’ego est en tête (rires). En tout cas, c’est l’une des meilleures décisions de ma vie, et pas seulement sur le plan professionnel.

IN. : Votre plus grand échec ? (idem)

J. D. :  Je ne sais pas jouer d’un instrument de musique ni chanter, alors que j’adorerais. Mais jepense que mon plus grand échec est de toujours jouer aussi mal au golf alors que ça fait 20 ans que j’y joue ! En tout cas, ça me détend et ça m’a appris à me concentrer.

Les Effie ont traversé la Manche grâce à nous

IN. : Un secret à nous révéler

J.D. : C’est un secret pour tout le monde, sauf…pour vous, Isabelle : j’ai été pigiste pour Communication & Business, du temps de Christian Blachas en 1990 alors que je faisais mon service chez Havas. Vous étiez directrice internationale et vous m’aviez commandé deux articles : le premier sur les Effie – qui, je peux le dire avec fierté, ont ensuite traversé la Manche quelques années plus tard grâce à nous – et un deuxième sur des campagnes pan-européennes. J’avais beaucoup apprécié cette expérience.

Quand je vois un drapeau français, j’ai un frisson

IN : À part vous-même, qui voudriez-vous être ?

J.D. : Je peux être d’une prétention sans nom ?  De Gaulle, Monet ou Antoine Dupont. Et les trois sont importants. De Gaulle car j’adore la politique mais aussi car, au-delà de la politique, je suis viscéralement attaché à ce pays. Quand je vois un drapeau français, j’ai un frisson.

Monet parce que je suis certes totalement inculte en art mais que je vibre devant un tableau ou un lieu. Quand je rentre dans la Fondation Maeght, tous mes sens sont en éveil. J’ai d’ailleurs une anecdote à ce sujet. Il s’avère que la femme de Monet était une demoiselle Doncieux. Et à la mort de papa il y a quelques années, quand nous avons vidé la maison, chacun de mes frères et moi sommes repartis avec une coupe de tennis qu’il avait gagnée, quelques livres, quelques lettres, etc. L’un de mes frères demande à un commissaire-priseur de passer pour débarrasser ce qui restait. Coup de fil trois jours plus tard de ce monsieur : « Je suis troublé. Je suis tombé dans la chambre de votre père sur un joli petit tableau signé Monet ». Branle-bas de combat familial (rires). Le tableau arrive à Paris. Il est montré à un, puis deux spécialistes. J’appelle un très bon expert que je connaissais. Fausse joie. Il me dit que c’est une croûte absolue. Ce tableau, qui n’est donc pas hélas un Monet, est aujourd’hui chez moi. Nous allons le faire tourner entre frères, en sachant qu’il a une valeur sentimentale importante.

Enfin, Antoine Dupont car, comme je vous l’ai dit,j’adore le sport et le rugby. On pense souvent que les grands sportifs sont idiots. Je suis persuadé que c’est l’inverse.

J’ai une immense admiration pour cet homme issu d’une famille d’extrême droite, l’un des premiers à rejoindre les Forces françaises libres à Londres

IN. : Quel livre emporteriez-vous sur une ile déserte ?

J.D. : Ce serait « Alias Caracalla » de Daniel Cordier. C’est un livre important pour moi. Il y a beaucoup de choses dedans : le courage personnel, le danger, le silence, le chaos politique, la construction d’une collection d’art incroyable….J’ai une immense admiration pour cet homme issu d’une famille d’extrême droite et antisémite qui, à l’âge de 19 ans, a été l’un des premiers à rejoindre les Forces françaises libres à Londres, où était exilé le général de Gaulle et est devenu le secrétaire de Jean Moulin. Par la suite il a assumé son statut d’homosexuel à un moment où c’était compliqué. Sur un mur de ma salle de bain j’ai une interview de lui republiée par Le Monde au moment de sa mort, où il dit notamment qu’il ne faut jamais rien lâcher.

* L’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

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Majelan X est devenu désormais le nom officiel de l’entreprise ainsi que celui du produit, anciennement ETX Majelan et Majelan Pro.

Majelan X est une plateforme de contenu audio IA qui a pour but de simplifier la création, l’orchestration et la diffusion de contenu audio intelligent.

Mathieu Gallet a quitté la présidence du conseil d’administration pour se consacrer à de nouvelles responsabilités opérationnelles, tout en restant actionnaire. Jérôme Doncieux a repris cette présidence, en conservant  son rôle de CEO et a nommé Franck Louis-Victor (actuel VP Product & Tech) en tant que Co-CEO.

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