23 mars 2021

Temps de lecture : 7 min

Jean-Philippe Dogneton (Macif) : « Pourquoi devenir une entreprise à mission alors que nous le sommes déjà naturellement ? »

En cette période compliquée pour les entreprises et les marques, et de doute pour les consommateurs, la raison d’être ne suffit plus. Raison d’être, raison de faire et raison de dire doivent être alignées « au risque de passer à côté du sujet ». Entretien avec Jean-Philippe Dogneton, Directeur Général de la M‪acif. Une entreprise qui se veut aussi « tiers de confiance ».
INfluencia : quand on découvre la mission de la Macif, on y lit : « entreprise mutualiste, il est de notre responsabilité de concilier le progrès social et économique et la sauvegarde de l’équilibre naturel et durable de la planète ». Comment cela se manifeste-t-il ?

Jean-Philippe Dogneton : si vous me permettez un rapide retour en arrière, la Macif est née en 1960 de la réflexion de Jacques Vandier, qui était à la fois un assureur et un humaniste, deux mots qui par les temps qui courent pourraient sembler contradictoires, mais qui sont parfaitement conciliables. Le modèle qu’il a imposé dès 1960, et qui n’a pas varié depuis, était d’abord d’offrir l’accessibilité de l’assurance au plus grand nombre et au juste prix. Deuxième point fort : il voulait construire des dispositifs de solidarité. Au fond, son objectif était d’être « un acteur présent au quotidien ». Le troisième élément de cette construction était un modèle de gouvernance mutualiste. Cela signifie que l’entreprise est administrée par ses sociétaires, qui votent et élisent des délégués, qui à leur tour élisent leurs représentants au conseil d’administration. C’est un modèle innovant et tout à fait d’actualité, car n’ayant pas d’actionnaires, nous avons la capacité de gérer le temps long. Et le temps long, c’est ce qui manque aujourd’hui le plus dans nos entreprises.

Plus concrètement, notre engagement se traduit notamment par un Fonds de solidarité créé à la Macif dès les années 70, qui vient en aide aux sociétaires en difficulté. Par ailleurs, très conscients que les territoires et les associations connaissent des difficultés, nous avons créé en 1993 la Fondation Macif, qui forte de 150 millions d’euros de subventions annuelles, vient en soutien de l’économie sociale et solidaire. Nous avons également lancé en 2017 Diffuz, une plateforme collaborative de défis solidaires, pour donner la possibilité aux citoyens de s’engager bénévolement de manière ponctuelle près de chez eux.

Ces actions font vibrer l’entreprise et créent la fidélité de nos sociétaires. J’ai l’intime conviction que cette colonne vertébrale n’a jamais dévié. Mais parce qu’il est toujours utile de se reposer régulièrement la question de ce que nous sommes et de la manière de le traduire, nous avons souhaité en 2019 associer toutes les parties prenantes de la Macif, sociétaires, délégués et collaborateurs pour définir notre Raison d’être. Ce sont au total plus de 15 000 personnes et 75 000 contributions qui se sont exprimées, et dont la synthèse a donné une Raison d’être très claire : « Nous mobilisons nos valeurs mutualistes et nos savoir-faire pour protéger le présent et permettre l’avenir, pour nous tous et les générations futures ». Une affirmation qui nous oblige à rester extrêmement engagés et à manifester concrètement cet engagement.

C’EST UNE TÂCHE TRÈS HONORABLE ET TRÈS EXIGEANTE D’ÊTRE TIERS DE CONFIANCE

IN. : votre dernière campagne de communication en 2020 affirmait : « Vivons solidaires, protégeons chacun » (Leo Burnett) . Son but était d’aller vers plus d’empathie et de proximité avec vos sociétaires. Comment ont-ils réagi ? Envisagez-vous d’autres actions de communication ?

J-P.D. : nous avons réalisé des pré et post-tests quali et quanti qui ont été positifs, avec des taux d’agrément très satisfaisants. Quelques chiffres : la perception de la campagne est bonne : 71% des sociétaires y sont favorables. Les qualificatifs qui ressortent sont : modernité, diversité des offres et situations, interpellation, transmission intergénérationnelle, concret. Le message de solidarité qui tient compte du budget est perçu comme pertinent et adapté à la période : « une actualisation du message de solidarité de la Macif dans un registre plus sérieux, plus humain et plus profond ».

IN. : en fait, vous êtes finalement un tiers de confiance ?

J.P.D. : c’est exactement cela, et c’est une tâche très honorable et très exigeante d’être tiers de confiance, car cela se mérite. Je sais que la période n’est pas propice aux assureurs, dont acte. Ce sont pourtant des régulateurs économiques, des investisseurs, et au-delà, leur rôle est de protéger chacun, d’être un acteur présent au quotidien. Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice.

IN. : vous n’êtes pas une entreprise à mission ? Pourquoi ?

J.P.D. : nous nous sommes posés la question lorsque nous réfléchissions à notre Raison d’être. Devait-on nécessairement rentrer dans la loi Pacte et devenir une entreprise à mission alors que naturellement, nous l’étions déjà ? C’est la raison pour laquelle nous nous sommes contentés de formaliser notre Raison d’être sans aller jusqu’à l’entreprise à mission et de l’utiliser comme boussole pour guider les travaux de notre futur plan stratégique.

La question du mutualisme est celle de la démocratie. L’idée d’ « un homme, une voix » a une valeur considérable et cela suppose avant tout un cheminement qui doit amener à un consensus et obliger toutes les parties à s’unir autour de grandes idées.

IN. : on parle de raison d’être mais quid de la raison de faire ou d’agir ? Quelle est celle de la Macif ?

J.P.D. : raison d’être, raison de faire et raison de dire, il faut aligner les trois au risque de passer à côté du sujet. La Macif est une marque engagée car elle n’est pas simplement un fournisseur de produits et de services, elle est en relation permanente avec ses parties prenantes et interagit avec elles. Elle est aussi engagée car notre métier d’assureur n’est pas un métier froid, c’est un métier qui a une capacité d’action et d’influence considérable. Ce modèle de protection par la mutualisation est très vertueux.

Une entreprise qui n’est pas traversée par le sens dans la période que l’on vit se délite immanquablement, le corps social n’y tiendra pas et son environnement ne s’y retrouvera pas. S’il n’y a pas de sens, le château de cartes s’écroule.

NOUS DEVONS POURSUIVRE L’ACCOMPAGNEMENT DE NOS ÉQUIPES POUR MAINTENIR LA PROXIMITÉ AVEC NOS SOCIÉTAIRES

INf. : quelles répercussions la crise du Covid a-t-elle eues sur votre stratégie ?

J-P.D. : la stratégie de la Macif répond aux défis du marché de l’assurance, dans un contexte de concurrence accrue des bancassureurs, du besoin de repenser le parcours client, de modèles économiques sous pression, mais aussi de la nécessité d’un usage éthique des données et de la réflexion sur l’impact sociétal des assureurs.

Ces défis ont bien sûr été renforcés par la crise sanitaire que nous traversons et nous le vivons encore en ce début d’année. L’assurance est une activité essentielle car elle résonne dans le quotidien des assurés. Ils ont donc des attentes plus fortes : de la relation et de l’accompagnement dans les moments de fragilité, et bien sûr de la proximité. Leurs comportements ont également évolué avec un recours aux canaux à distance et au digital.

La crise a aussi marqué la relation employeur / employé et a fait évoluer les repères de chacun d’entre nous avec la généralisation du travail à distance et de nouvelles pratiques managériales qui favorisent la confiance et l’autonomie. Nous avons donc dû nous adapter et nous devons poursuivre l’accompagnement de nos équipes pour maintenir la proximité avec nos sociétaires.

IN. : Les marques peuvent-elles aider à restaurer la confiance des Français ?

J-P.D. : oui bien sur, elles ont un rôle important à jouer en étant présentes dans les moments les plus difficiles que traversent les citoyens.
L’image du secteur est fragilisée et doit nous inviter à l’autocritique. Pour autant, il faut savoir voir le verre à demi plein. La crise actuelle a éprouvé les assureurs dans leurs limites opérationnelles. Qui aurait imaginé qu’en l’espace d’un mois, la grande majorité d’entre eux aurait été en capacité de rétablir la continuité d’activité ?. Pour autant, le monde de l’entreprise a redécouvert toute la valeur d’un collectif et du lien social. Les options binaires n’ont pas leur place. Par ailleurs, avec une augmentation de plus de 70% des flux, le contact digital s’est taillé la part du lion. Malgré l’image et les contradictions de la profession, les flux de contacts sont demeurés élevés et font du simple assureur l’espoir d’un tiers de confiance.

A la Macif, nous bénéficions d’un taux de fidélisation exceptionnel qui témoigne de la confiance que nous accordent nos sociétaires.

L’ASSURANCE EST CONFRONTÉE AU TRYPTIQUE INFERNAL DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, DE TAUX BAS ET DE RISQUES NOUVEAUX

IN. : pour autant, une marque peut-elle se substituer aux institutions ?

J.P.D. : nous n’avons pas cette ambition là, mais elle peut venir en soutien du tissu associatif, dont on ne parle pas assez, qui a été un filet de sécurité permanent. Les corps intermédiaires sont bousculés aujourd’hui. L’entreprise peut aider à maintenir le lien au travers d’associations et de projets.
Nous pouvons également agir dans d’autres domaines: la Macif, via sa filiale Macif Avantages, a proposé à ses 5,5 millions de sociétaires de participer à une campagne d’achat groupé dans le secteur de l’énergie et leur permettre ainsi de réduire leurs factures d’électricité, de gaz, de propane et de fioul. Grace à la force de son collectif, les sociétaires du groupe Macif peuvent ainsi bénéficier de 21% de réduction sur les tarifs réglementés de l’électricité et 25 % sur ceux du gaz.
Sur la période de l’opération Achat groupé d’énergie, plus de 30 000 sociétaires ont changé de fournisseur (dont 28 000 sur l’électricité et /ou le gaz auprès des trois fournisseurs choisis par Surfrider Foundation Europe, soit 280 000€ reversés à Surfrider Foundation).

IN. : quels enjeux en 2021 pour le secteur de l’assurance et pour la Macif ?

J-P. : la réalité veut que l’assurance soit confrontée au triptyque infernal du changement climatique, de taux bas « enkystés » et de risques nouveaux dans un concert systémique difficilement appréhendable. La collectivité n’échappera pas à remettre sur l’ouvrage tant les questions des risques, de leur partage et de solvabilité que de modèles de couverture, d’auto assurance partielle, d’approches paramétriques ou bien encore d’espaces de mutualisation. L’assurance et son écosystème devront tracer les transformations et offrir des horizons longs dans une société qui refuse, pour des raisons que l’on peut comprendre, de s’y plonger.

IN. : comment voyez-vous plus globalement l’avenir pour notre société ?

J.P.D. : nous sommes plongés dans un contexte de taux bas, ce qui veut dire que le marché n’a pas confiance dans l’avenir. Cette image est terrible. Il faut sortir de ce piège et arriver à conjuguer espoir et long terme, deux notions qui sont devenues antagonistes. Je sais que cela peut paraître donneur de leçons de tenir ce discours dans la situation difficile dans laquelle chacun vit au jour le jour, mais c’est la seule voie. Et j’y ajouterai le mot solidarité.

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