Jean-Patrick Chiquiar co-fondateur de Rosapark confirme que la crise du Covid-19 a entraîné des évolutions dans sa façon d’appréhender le travail, le business et les hommes. Une compréhension qui enclenchera forcément de nouvelles règles de vie. Par ici l’interview.
IN : d’abord un regard a postériori sur ce désormais 11 mai qui restera gravé dans les esprits… Que s’est-t-il passé pour vous et chez Rosapark ?
Jean-Patrick Chiquiar : sur le plan personnel, tout va bien. Ma famille est en bonne santé, mes amis aussi et tout le monde a pris le sujet très sérieusement. Mais cette crise a bien révélé la personnalité de chacun : entre les paranoïaques et les insouciants, la vérité est sans doute entre les deux mais chacun avait ses propres raisons d’agir de la sorte. Sur le plan professionnel je suis extrêmement bluffé par la capacité d’adaptabilité de tout le monde. En 24h, les équipes avaient modifié en profondeur leurs rythmes de vie et leur façon de travailler sans que le business ne s’en ressente. Je suis extrêmement fier de l’implication de tous les collaborateurs de Rosapark dans cette période. Après 3 mois de confinement, on peut parler du succès du télétravail qui va devenir une norme, car elle est le reflet de 3 éléments clés : un gain de la productivité, un meilleur équilibre entre vie pro et vie perso et une qualité de vie améliorée.
IN : ces deux mois vous ont-ils permis d’imaginer de nouvelles organisations ?
J-P. C : nous sommes 130 chez Rosapark, avec une moyenne d’âge de 28, 30 ans. Teams et Zoom étaient des détails dans notre vie d’agence, le télétravail, une exception. S’il y a eu de l’appréhension chez nos équipes elles me l’ont bien caché. Sans être langue de bois, je peux dire aujourd’hui que nous avons gagné en productivité, que le télétravail auquel j’étais le plus réfractaire, m’apparaît aujourd’hui comme une vraie alternative . De fait, suite à cette expérience collective et individuelle de près de trois mois, je peux affirmer que nous ne travaillerons plus de la même manière. J’ai compris que lorsqu’un individu travaille seul face à son ordinateur (ce qui est souvent le cas), il le fait mieux hors du lieu de travail.
IN : les psychologues s’accordent sur la nécessité du « vivre ensemble des individus », et insistent sur la désocialisation qui guette les télétravailleurs à plein-temps…
J-P. C: Il ne s’agit en aucun cas d’isoler nos équipes. Au contraire. Ce que nous avons compris c’est que le lieu de travail en tant que tel n’est plus de mise. C’était le cas avant le Covid, on en a la confirmation aujourd’hui. Les locaux de notre entreprise seront désormais des lieux de programmation et des lieux de vie qui devront nourrir culturellement, professionnellement nos équipes. Une nouvelle organisation, une nouvelle occupation des lieux, un nouveau rapport à ce lieu qui sera mis en oeuvre dès que possible.
IN : qu’en pensent vos clients ?
J-P.C. : les clients qui choisissent notre agence, le font parce que notre philosophie leur convient, que notre état d’esprit est très aligné avec le leur, sans parler des résultats, évidemment. Aujourd’hui ils ont leurs propres angoisses à gérer… Quoiqu’il en soit, nous sommes là pour innover, et cette crise a été un accélérateur. Ces nouveaux modes de fonctionnement et d’organisation qui vont se mettre en place chez nous peuvent leur donner d’autres idées également.
IN : Justement dans quel état d’esprit sont vos clients, certains prennent la parole, d’autres pas…
J-P.C. : Skoda, dont l’usine a fermé pendant le confinement, a cessé de communiquer pendant 1 mois. Les acteurs du tourisme n’ont eu d’autre choix eux aussi que d’arrêter comme Pierre & Vacances, Oui.Go, Oui.SNCF, les hôtels Formule 1. D’autres, pour des causes opposées ont continué. Par exemple avec Acadomia nous avons mis en place des cours d’anglais à suivre en famille tous les vendredis. Cette crise m’a éclairé sur un point crucial. L’important ce n’est pas ce que vous avez à dire aux gens, c’est leur capacité à avoir envie de vous croire et de vous écouter. Trop souvent les marques tiennent des propos incohérents. On ne peut pas se présenter comme l’apôtre du bien manger et 2 semaines après faire -70% sur les pots de Nutella. Ce n’est pas sérieux. Il faut aligner les discours et les actes et les gens en ont marre de ces marques à 2 vitesses qui font tout et leur contraire. Les gens sont prêts à excuser les marques dès lors qu’elles sont honnêtes et sincères. Mais c’est comme dans la vie : on croit quelqu’un qui prône ces valeurs, on lui donne notre confiance.
IN: quel est le futur rôle des marques du coup?
J-P.C. : je pense que le rôle des grandes marques demain sera de créer les conditions de la réconcialiation entre le pouvoir d’achat, l’essentialité et la réinvention. Pouvoir d’achat car avec la montée du chômage, l’activité partielle, les gens auront moins de moyens. Une étude récente montrait que le manque à gagner sera de 216€ en moyenne par mois du fait de l’activité partielle alors que le budget alimentaire moyen d’une famille est de 385€ par mois. L’essentialité parce que les besoins ont été redéfinis pendant la crise. Moins de futilité, moins d’ostentation, plus de la frugalité car on a très bien vécu en consommant moins pendant cette crise. De nouveaux besoins apparaissent. Besoin de connection humaine, d’amélioration de son cadre de vie, du plaisir de faire soi meme, de mobilité car on en a été privé, d’entertainment.
IN : le planning-stratégique est désormais une pièce maîtresse en agence. Chez Rosapark une religion…
J-P.C. : C’est vrai que le rôle primordial du planning s’est révélé encore plus essentiel en ces temps de crise pleins d’incertitudes. Face à cette crise, il ne s’agit plus seulement d’observer le comportement des consommateurs, mais aussi de jauger ses humeurs et de comprendre ce qui est entendable pour eux à un moment T… Les gens ont souffert. Ils ont vécu la séparation, l’extrême, la peur, la surinformation, et l’enfermement. À nous de comprendre et de tenter d’être au plus juste en face de toutes ces émotions.
IN : typiquement dans la campagne Saint Hubert que vous avez réalisée, on ressent le fait que vous vous adressez à une population « convalescente »…
J-P.C. : c’est exactement cela. Aujourd’hui, Saint Hubert s’adresse aux cœurs des gens, via son produit phare Omega 3, il s’agit d’être généreux, d’être réparant. Et quoi de plus réconfortant que des câlins que l’on offre… L’objectif pour nous tous n’est pas seulement d’être smart, mais d’être humain.
IN : à un niveau plus global qu’est-ce qui vous a frappé dans cette épreuve que nous venons de traverser ?
J-P.C. : la société est en crises au pluriel : crise économique, crise écologique, crise politique, crise sociale et maintenant crise sanitaire. Il y a deux manières de voir les choses. La première c’est de de se dire que l’on va tous mourir… Ce qui est vrai au demeurant. La deuxième c’est de se dire que l’on va tout réinventer pour s’en sortir. On a fait avec le groupe Havas une très grosse étude mondiale pour mesurer l’impact de la crise de covid sur les différentes populations et on a analysé les différences de scores entre les Mainstreamers et les Prosumers à savoir les 20% de la population qui ont des comportements prédictifs de ce que sera l’avenir. Ce qui est encourageant c’est qu’à près de 70% , les Prosumers affirment que la crise du Covid va permettre de faire repartir le monde du bon pied et de façon plus saine. Je ne sais pas si on y arrivera mais déjà la bonne nouvelle c’est de savoir que les gens y croient. La mauvaise nouvelle c’est que pour la grande majorité, la Démocratie n’est pas le modèle adéquat pour faire face aux transitions écologiques nécessaires pour sauver le monde. C’est très embêtant car cela va soulever le problème des extrêmes. Ce qui est en train de changer c’est la radicalité vers laquelle on se dirige. Pour caricaturer, avant on disait c’est avec des petits riens qu’on change tout, personne n’est trop petit pour faire la différence, le pouvoir est au collectif. Aujourd’hui on nous dit qu’il s’agit du dernier avertissement avant le drame absolu. Et de fait cela génére plus de radicalité dans les actions : avec d’un côté la montée des activistes de tout bord, et le sentiment qu’on ne pourra rien changer avec des demi-mesures. Et de l’autre coté, ce qu’on pourrait appeler les « disrupteurs », ceux qui veulent incarner le changement par des actes, par de l’innovation par de l’action. Et au final le sentiment que la changement viendra avec les nouvelles générations pour 90% des sondés. En termes de business, ce qui est intéressant c’est que les gens comprennent que seules les entreprises seront réellement capables de transformer les choses et que plus on est gros, plus on a des chances d’impacter le monde, en tout cas bien plus que les politiques dans lesquels on ne croit plus. C’est peut- être une occasion en or pour les entreprises de prendre des positions claires, engagées et consistantes.
IN : quel rôle pouvez-vous jouer, vous agences, et marques ?
J-P.C. : Le pouvoir d’achat est en crise. L’essentialité est de mise. La frugalité aussi, mais il y a aussi besoin de nouvelles connections humaines, de comprendre le plaisir de faire soi-même, de réorganiser la mobilité, de repenser le local et de réinventer. À nous agences et entreprises d’aider à réparer des vivants mal en point. Il faut croiser business et sens. On doit pouvoir faire les deux.
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