INfluencia : que pensez-vous de ce terme de multipotentiel. En êtes-vous ?
Jean-Loup Seuret : en fait, déjà, le mot est compliqué, non ? Je ne sais pas s’il existe un mot plus simple pour expliquer qui sont ces gens qui changent plein de fois de métiers. Moi j’ai de la famille en Angleterre et là-bas, on a l’habitude de passer d’un job à l’autre sans que cela devienne un phénomène. Ici en France on est matheux ou littéraire, et tu ne sors pas de ce schéma. … Ce qui est sûr, c’est qu’après 20 ans de pub, j’ai voulu la quitter pour faire de la BD, qui était ma passion depuis tout petit.
IN. : comment fait-on financièrement pour passer d’un job bien payé dans la pub à la BD qui ne nourrit pas tous ses hommes et femmes ?
J-L.S. : c’est vrai, les créatifs cotés en agence gagnaient pas mal leurs vies. Et c’est vrai aussi que de passer de beaucoup à pas grand chose, ce n’était pas facile au début. Mais, j’ai continué à faire des freelance pour gagner un peu d’argent, évidemment, je vous rassure (rires).
IN. : que se passe-t-il concrètement psychologiquement, quand on quitte « un bureau », pour se retrouver seul ?
J-L.S. : je suis effectivement passé d’un boulot en open-space chez BETC avec plein de monde autour, à travailler seul depuis chez moi un peu du jour au lendemain… Mais assez vite, j’ai montré mon travail à Patrice Dumas qui était chez BETC, lui aussi, et nous nous sommes mis à travailler des histoires ensemble. Du coup, j’avais ce rythme avec lui, de retrouvailles, une fois par semaine, et puis n’exagérons pas, les freelance me permettaient de croiser aussi des humains…
IN. : vous n’avez pas envie d’accéder à plus de reconnaissance, de notoriété ?
J-L.S. : j’aime les livres par dessus tout. Le fait d’en vendre 300 à mes amis ou à un entourage plus large est hyper-satisfaisant pour moi. Mettre de l’argent dans ces ouvrages communs, les faire imprimer, les vendre à nos amis est un plaisir. Si on rentre dans nos frais, c’est super, si on dépasse nos espérances, alors nous remettons au pot pour le suivant. …
IN. vous n’avez jamais essayé de vous faire éditer de manière dite « classique » ?
J-L.S. : nous avons essayé avec Patrice, mais c’est trop compliqué. Nous sommes estampillés publicitaires, et du coup nous ne rentrons pas dans les « cases édition ». C’est drôle d’ailleurs, parce que tous les milieux ont leurs propres a priori. Dans l’édition, nous sommes considérés comme des auteurs underground. Dans la BD, comme des auteurs un peu trop classiques… Tout cela est hyper-codé, et nous savons que nous ne rentrons pas dans les cases. Notre esprit est particulier, peut-être trop publicitaire, donc ce n’est pas si facile de se lancer… et puis quand on arrive à 40 ans avec ses BD, alors qu’à côté de toi il y a des jeunes de 20 ans, plus faciles à gérer, plus « maniables »… Non je crois qu’on n’eest décidément pas dans les cases.
IN.: vous pensez être étiqueté ? N’est-ce pas en train de changer ?
J-L.S : oui sans doute, grâce à Erasmus qui permet aux jeunes de voir comment cela fonctionne dans d’autres pays, ou à Internet qui avec ses outils permet de trouver des solutions dingues, d’apporter des solutions… Mais c’est un miroir aux alouettes, là aussi. Même si encore une fois, on voit des choses incroyables…