INfluencia : Votre coup de cœur ?
Agnès Alazard : c’est un livre que j’ai lu, qui s’appelle « les zones bleues »** que Mykim Chikli (ndlr : la CEO de Weborama) m’a offert. Il est écrit par une naturopathe et un médecin généraliste qui sont partis visiter les « zones bleues » – c’est à dire ces lieux dans le monde où il y a le plus grand nombre de nonagénaires et de centenaires – pour comprendre ce qui, dans leur façon de vivre, permettait cette longévité.
Tisser des liens est déterminant dans le fait de se sentir vivant
Évidemment les premières raisons sont toutes celles auxquelles on s’attend, notamment l’exercice physique, une certaine hygiène de vie, sans être des ayatollahs – ils mangent un peu de viande, boivent un peu d’alcool, mais de manière raisonnable -. Mais ce qui m’a vraiment surpris et a provoqué ce coup de cœur, c’est qu’en fait l’un des éléments les plus importants de la longévité est que, dans ces zones-là, les seniors ont une vraie utilité. Ils jouent un rôle aussi vital que les jeunes et sont l’un des maillons hyper importants de la communauté. Je crois énormément aux liens transgénérationnels. Ce n’est pas normal de vivre dans une société où il n’y a pas de considération pour la vie humaine du début jusqu’à la fin, comme si elle était moins importante à un certain moment et que c’était normal de la laisser se dégrader sous couvert d’Ephad qui en fait sont des mouroirs.
J’ai partagé ce livre à notre équipe parce que c’est un sujet qui m’anime beaucoup et, chez Maria Schools, nous essayons aussi de créer du lien entre les gens. Je suis convaincue que tisser des liens est déterminant dans le fait de se sentir vivant. À partir du moment où il n’y a plus de liens, il n’y a plus vraiment de vie.
IN : Et votre coup de colère ?
A.A. : En fait il est en lien avec ce que j’évoquais précédemment, puisque que c’est le sujet des seniors, qui est beaucoup traité dans notre pays sous l’angle de l’accompagnement vers la fin. En fait, et notamment dans les entreprises, on les accompagne pour ‘moins de moins de moins et de moins’. Et je ne comprends pas pourquoi on ne les accompagne pas au contraire vers ‘plus de plus de plus et de plus’.
Ce n’est pas parce qu’on a un certain l’âge que l’on n’a plus la même appétence pour découvrir des nouvelles choses et qu’on ne peut plus être créatif. On le voit bien dans les entreprises, les salariés sont juste une commodité, on prend notre capacité de travail pendant un moment et à partir d’un certain âge, nous devenons moins intéressants, du coup elles n’investissent plus sur les gens. Elles arrêtent de les former, de les mettre en avant. Il y a des équipes talents, pourquoi n’y aurait-il pas des équipes ‘seniors’? Il faudrait d’ailleurs les appeler autrement. Déjà le nom déprime, alors qu’ils vont toujours bien, qu’ils ont envie de faire des choses, qu’ils ont acquis une certaine sagesse.
Dans le même temps, je vois l’isolement des jeunes qui est très fort, leur santé mentale qui n’a jamais été aussi problématique. Donc finalement d’un côté, on a des gens qui sont expérimentés et qu’on relègue et de l’autre des jeunes qui devraient être les forces vives et qui en fait ne veulent plus rester parce que le modèle ne leur convient pas. Je me dis qu’il y a probablement des choses à inventer dans les liens entre les uns et les autres. J’aimerais bien trouver une solution pour que, lorsqu’un jeune de 25 ans arrive dans une entreprise, il regarde ceux qui en ont 55 et se dise qu’il a vraiment envie d’être comme eux.
Quand j’ai des difficultés ou je manque de courage, je mets des lunettes et je vois avec ses yeux à lui
IN. : la personne qui vous a le plus marqué dans votre vie ?
A.A. : dans ma vie personnelle, c’est mon cousin germain, avec qui j’avais un an d’écart et qui est né avec un handicap mental et moteur assez important. Il est malheureusement décédé, il y a une dizaine d’années. J’ai grandi vraiment avec lui parce que ma mère ne travaillait pas et il était tout le temps chez nous. Il était comme mon frère. Ce garçon qui s’appelait Jérôme avait une énergie vitale démentielle. J’ai pris conscience très tôt de la chance énorme que j’avais d’être en bonne santé et d’avoir toutes mes facultés, et que malgré tout c’était une leçon de vie de l’avoir à côté, tellement il était joyeux, enthousiaste, positif. J’ai passé des heures à essayer de jouer au tennis avec lui, il était toujours partant, et voulait faire comme mon frère. Je crois vraiment qu’il m’a énormément marqué parce que je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’autre comme lui qui ait une telle une joie de vivre, il ne se plaignait jamais, il était toujours content. Il se battait contre son handicap pour des choses simples, avoir une copine, avoir un travail… Et tout le monde l’adorait.
Je pense très souvent à lui ; quand j’ai des difficultés ou je manque de courage, je mets des lunettes et je vois avec ses yeux à lui et franchement il me sauve à chaque fois, il me ramène sur le chemin de la joie. Et cela m’a donné envie qu’il soit fier de moi, de qui j’étais et de ce que je suis devenue.
J’ai pour projet de monter un jour un chœur de rock de femmes
IN. : Votre rêve d‘enfant ? Si c’était à refaire ?
A.A. : si c’était à refaire, j’aurais aimé avoir un talent. Moi, j’ai l’impression d’être laborieuse. Je bosse. Je bosse, je bosse, je bosse, je cherche je creuse, mais je n’ai pas de talent. Mes enfants, eux, ils ont vraiment des talents artistiques. Ma fille dessine divinement bien, mon fils est d’une créativité incroyable. Moi si je veux cuisiner, si je ne suis pas bien la recette, je me plante !
En fait, j’aurais aimé être chanteuse de rock. Il y a beaucoup de clubs et de réseaux de femmes et je fais partie notamment de deux d’entre eux qui sont vraiment super. Mais je trouve que souvent ils manquent un tout petit peu de finalité. Alors j’ai pour projet de monter un jour un chœur de rock de femmes. J’adore le chant, cela apporte un bienfait physique énorme. J’ai commencé dans ma tête à recruter deux trois filles qui auraient envie de se lancer dans cette aventure. Ce n’est pas encore pour maintenant car je n’ai pas le temps et puis j’ai de l’ambition – le Casino de Paris ou l’Olympia – il faut un prof de chant, trouver des sponsors, etc. Mais on y arrivera et on reversera tous les fonds à des associations qui viennent en aide aux femmes.
Et voilà, j’ai les oreilles percées
IN. : votre plus grande réussite (sauf la famille et le boulot bien sûr)
A.A. : Bien sûr, c’est de m’être lancé dans l’entreprenariat en créant Maria Schools en 2019 avec Annabelle Bignon, mais je sais que je n’ai pas le droit de vous faire cette réponse. Alors, ma plus grande réussite, c’est ma maison en Aubrac. Avec Seb, mon mari nous avons acheté il y a 10 ans, une ferme que nous avons complètement rénovée. Il venait de perdre sa tante auquel il était très attaché, mon cousin venait de décéder et nous nous somme dits qu’il était extrêmement important que notre vie soit ancrée quelque part. Nous n’avions pas d’argent et nous nous sommes endettés. Et nous avons vraiment planté les racines de notre famille dans cette maison. Et je pense que ma plus grande réussite est d’avoir créé pour moi et pour mes enfants un espace extrêmement puissant pour se ressourcer et qui me fait un bien énorme. Sans cet endroit, je ne sais pas comment je ferais, donc nous y allons le plus souvent possible et au bout de deux ou trois jours, je respire. En fait, il ne se passe rien, parce que c’est vraiment la ruralité la plus profonde mais ça me régénère et je repars avec beaucoup d’énergie. Je suis très fière de transmettre cela à mes enfants. Ils savent que, quoi qu’il se passera dans leur vie, ils auront ce refuge. Et moi je sais que je serai enterrée là-bas et cela m’apaise dans cette vie de tumulte.
De façon beaucoup moins sérieuse, je voudrais ajouter que je suis très fière de ma dernière réussite. Imaginez que je viens de… de me faire percer les oreilles. Je viens d’avoir 47 ans et j’ai un peu envoyé valdinguer toutes les fausses croyances que j’avais, qui me faisaient penser que ce n’était pas pour moi. Et je me suis dit : « J’ai envie de le faire, j’y vais ». Ma fille m’a accompagnée. Et voilà, j’ai les oreilles percées. Et je regarde différemment les piercings… Un nouveau champ s’est ouvert à moi. (rires)
J’ai toujours une vraie angoisse quand je dois faire une mousse au chocolat
IN. : et votre plus grand échec dans la vie ?
A.A. : Bien sûr, comme tout le monde, j’ai plein d’échecs à raconter… Mais le plus cuisant, quand on adore cuisiner comme moi, est que j’ai réussi à rater deux fois de suite une mousse au chocolat, ce qui est quand même un dessert simplissime à faire ! La première fois, le chocolat était trop chaud et a cuit le jaune d’œuf. Donc c’était mort… La deuxième fois, je laisse refroidir le chocolat. Mais j’ai un petit « secret » : dans ma mousse je mets un peu de café. Et bien sûr, j’oublie que l’expresso est brûlant. Et rebelotte, je recuis mes jaunes… Comme je veux aller vite et faire en même temps plusieurs choses, je fais des bêtises. Depuis, j’ai réussi à ne plus me tromper, mais j’ai toujours une vraie angoisse quand je dois faire une mousse. Et je prévois une salade de fruits au cas où… (rires).
Sinon mon plus grand échec peut-être est d’avoir arrêté le piano. Mon mari pour mes 40 ans m’a offert un piano mais je n’ai pas eu le courage de me rediscipliner, de reprendre des cours… Un jour j’espère, je m’y remettrai.
IN. : Quelle personne vivante admirez-vous le plus ?
A.A. : Je n’admire pas une seule personne mais tous celles et ceux que je trouve super courageux, dont Perla Servan Schreiber qui est phénoménale. Je trouve que son parcours de vie est dingue, sa manière de le raconter, son optimisme malgré le décès de son mari, sa décision de se lancer dans un nouveau projet de newsletter, « Goodmorning Perla », de transmettre ses recettes de cuisine…
J’admire aussi Michaël Jeremiasz qui est champion paralympique de tennis, que j’ai rencontré. Et également Moussa Camara qui a lancé « les Déterminés » et qui a créé cette association pour favoriser l’entrepreneuriat social dans les zones prioritaires, Ghada Hatem qui a conçu « la Maison des Femmes », etc. En fait, j’admire les gens qui vont là où on pense qu’ils ne peuvent pas aller et je m’inspire de leur courage.
IN. : quelle(s) qualité(s) appréciez-vous le plus chez les autres ?
A.A. : J’apprécie le courage, la loyauté, la générosité bien sûr, la bonté, la simplicité, la joie et la confiance et le don de soi et de son temps, par rapport au monde qui nous entoure
« Connais-toi toi-même… et fais ce que tu aimes »
IN. : quel philosophe (vivant ou mort) aimeriez-vous emmener sur une île déserte ?
A.A : si je pouvais le ressusciter, je crois que j’emmènerais Lucien Jerphagnon. Quand on part sur une île déserte avec quelqu’un, il faut avoir de nombreux sujets de conversation, et je pourrais l’écouter des heures durant me parler d’histoire et de philosophie. Je suis fan de son esprit vif, drôle et sensible. Je trouve qu’il avait une approche philosophique assez concrète de la vie. J’aime aussi sa manière de transmettre, d’écrire, j’ai lu plusieurs de ses ouvrages, notamment « Connais-toi toi-même… et fais ce que tu aimes »*** et j’apprécie sa simplicité. Je ne sais pas s’il m’aiderait beaucoup à sortir de mon île déserte mais je ne m’ennuierais pas avec lui.
* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu »
** « Zones bleues – Les secrets de la longévité – Sardaigne, Japon, Costa Rica, Grèce : à la rencontre de ceux qui vivent mieux et plus longtemps », par Angèle Ferreux Maeght et Vincent Valinducq (éditions First)
*** 2012, Albin Michel
En résumé
L’actualité d’Agnès Alazard
- Créée en septembre 2019 par Agnès Alazard-Rool, ex-DG de aufeminin.com, et Annabelle Bignon, ancienne consultante en stratégie chez Bain & Cie, Maria Schools a lancé en septembre 2023, la «Fresque des Compétences » qui est « un atelier pédagogique et ludique qui donne envie d’apprendre aux collaborateurs ! » Elle permet aux équipes « d’évaluer les compétences du groupe, de valoriser l’apprentissage entre pairs et de se mettre en mouvement pour apprendre ».
- Agnès Alazard-Rool et Annabelle Bignon ont un projet de livre