C’est une nomination qui correspond bien à l’air du temps. Ipsos vient de créer un tout nouveau service dédié à l’évaluation des politiques publiques au sein de sa division Public Affairs en France. Florian Richard-Dap a été recruté pour prendre sa direction. Ce consultant de 43 ans cumule plus de deux décennies d’expérience en conseil auprès des acteurs publics. Il a notamment occupé les fonctions d’Associé chez PwC, chargé du conseil aux institutions publiques, et de Principal chez Roland Berger. Avec son équipe, il aura la charge d’accompagner les ministères, les établissements publics et les collectivités dans l’analyse, l’évaluation et la valorisation de leurs actions.
Plus de temps à perdre
Notre pays a un sérieux retard en la matière. « Cette culture de l’évaluation est déjà très présente dans le Groupe Ipsos, notamment au UK où elle est pratiquée à grande échelle mais moins en France, reconnaît Brice Teinturier, Directeur Général Délégué d’Ipsos en France. Nous voulons la mener en combinant les nombreuses data qu’Ipsos détient ou peut collecter, le savoir-faire de Florian et de ses équipes et notre attachement à tout ce qui peut éclairer et aider les décideurs publics. » Le temps presse…
Rien n’a bougé en cinq ans
Dans un rapport publié il y a cinq ans, le Conseil d’Etat estimait qu’il était nécessaire de « faire de l’évaluation des politiques publiques un véritable outil de débat démocratique et de décision ». Ce rapport reconnaissait que « les avancées remarquables de l’open data et de l’accès sécurisé aux données (avaient) permis de nombreux progrès dans la conduite des évaluations ». L’institution créée en 1799 par Napoléon Bonaparte estimait toutefois que les « 2600 évaluations réalisées entre 2007 et 2017 (…) souffraient de faiblesses récurrentes » et qu’elles n’étaient « pas encore véritablement un outil de débat et de décision en France ». Les défauts de notre système sont nombreux : cloisonnement dans la programmation et la réalisation des travaux ; intervention trop faible des universitaires dans l’élaboration des évaluations qui restent trop institutionnelles ; moyens insuffisants ; association des citoyens au cours de la mise en œuvre des rapports trop limitée ; domaines comme la justice et la sécurité rarement inspectés ; résultats peu mis en avant auprès du grand public… Cette liste à la Prévert pourrait faire l’objet d’un « copie-collé » cinq ans après sa publication.
L’évaluation des politiques publiques (EPP) qui consiste, pour une institution publique, à mesurer les effets d’une politique menée afin d’éclairer la décision, s’est développée tardivement dans l’hexagone. Plusieurs acteurs institutionnels assument aujourd’hui ce rôle comme les commissions d’enquête et les missions d’information du Parlement (Assemblée nationale et Sénat) ou le Conseil d’État qui émet des avis sur les réformes et peut juger de la légalité des décisions administratives. Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) évalue, quant à lui, les politiques éducatives et scientifiques. Le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), qui dépend de l’Assemblée nationale, est, pour sa part, chargé de superviser certaines évaluations. Des acteurs gouvernementaux assurent également ce rôle dont France Stratégie. Cette institution rattachée au Premier ministre réalise des études prospectives et évalue les politiques publiques. Les inspections générales (IGAS, IGF, IGA, etc.) sont des services ministériels qui mènent des missions d’audit et d’évaluation. Le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) suit, quant à lui, les programmes d’investissements publics. N’en jetez plus…
Certains acteurs indépendants et de la société civile tentent, de leur côté, de jouer le rôle de garde-fou. C’est le cas de plusieurs instituts de recherche et de think tanks dont L’Institut Montaigne, Terra Nova ou la Fondation Jean-Jaurès avec son Observatoire de l’efficacité de l’action publique. Des universités et des laboratoires de recherche travaillent aussi sur ces questions tout comme plusieurs associations et ONG comme l’Observatoire des inégalités.
Une cocotte-minute prête à exploser
Ne rien faire aujourd’hui n’est plus une option. Le mécontentement de l’opinion publique contre les pouvoirs publics atteint en effet des sommets comme le prouve l’inquiétante montée de l’extrême droite dans le monde mais aussi en Europe et notamment en Allemagne où l’AFD a doublé, lors des élections fédérales du week-end dernier, son score en quatre ans et est devenue la deuxième plus importante formation politique du pays. Aux Etats-Unis, Donald Trump et Elon Musk profitent du mécontentement populaire pour tailler à la serpe dans l’administration.
Dans notre pays, la réforme de l’Etat est sur toutes les bouches. Notre société est en ébullition. « Les tensions sociales sont si fortes qu’elles peuvent exploser à tout moment, nous rappelait récemment Brice Teinturier. Une simple étincelle peut rallumer le brasier. » En rendant des comptes et en prouvant leur efficacité, les pouvoirs publics pourraient calmer les critiques. L’intervention d’intermédiaires indépendants comme Ipsos pourrait donner une image plus impartiale de leurs évaluations… ou pas.