25 juillet 2017

Temps de lecture : 3 min

Invisible vivant

« Car je est un autre. si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène. » Arthur Rimbaud à Paul Demeny. Charleville, 15 mai 1871.

« Car je est un autre. si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène. » Arthur Rimbaud à Paul Demeny. Charleville, 15 mai 1871.

Il ne lui reste plus que quelques mètres à gravir. Allez savoir pourquoi, une femme monte très haut dans le ciel sur un empilage de pots en terre. Au sommet, c’est le Graal. Elle sera riche. Une pièce d’or l’attend. Pourtant, elle a peur. La peur du vertige. La crainte de ne pas y arriver. Elle a peur de ne pas avoir le courage de grimper. Elle a peur de se lamenter le restant de sa vie si elle reste là sans rien faire. Quel choix s’impose à elle ? Elle a une chance de mourir, une chance d’attraper la pièce d’or, une chance de ne plus pouvoir se regarder dans le miroir, hantée par les regrets. Voilà, j’étais allongé sur le lit, aux environs de 2 heures du matin, plongé dans une profonde insomnie. Je rêvassais, ne cherchant ni le sommeil, ni une quelconque pensée. C’est là qu’il s’est flanqué, juste à côté, invisible vivant.

Il a pris sa voix la plus silencieuse et s’est invité. Je ne l’ai pas repoussé. De toute façon, c’est impossible. Il vient quand il veut et repart aussi vite qu’il s’est manifesté. Il prend l’apparence que vous souhaitez. À vous de décider s’il est nu, s’il porte une toge, s’il a un corps, ou juste une tête. Quelle importance puisque la seule chose qui vous intéresse c’est son souffle, ou plutôt son inspiration. C’est un génie, un dieu antique, un fantôme, appelez-le comme il vous plaira. Il s’installe, prend son inspiration et vous souffle son idée. Une brise imperceptible vous caresse l’esprit. Le plus délicat est de l’enfermer dans un bocal avant qu’il ne s’échappe. Mais surtout il faut tout tenter pour le maintenir en vie.

Cette fois, j’ai de la chance. Je suis disposé à capturer son soupir. Le souffle clair a pris maintenant l’apparence d’une idée. Il ne faut pas la perdre. Ou pire encore, elle ne doit pas être offerte à un autre. La jeune femme doit escalader ce bras gigantesque. Elle grimpe et s’empêche de regarder en bas. Le vide est plus intense. Elle tremble. Ses muscles ont fourni tant d’effort qu’ils sont tétanisés. Chaque mouvement s’exécute de manière microscopique avec une inertie à peine supportable. Alors qu’il lui suffit de tendre le bras pour toucher le pactole. Elle sait la fierté que cela lui procurera. Elle sait le soulagement qu’elle éprouvera lorsque ce supplice sera terminé. Mais hélas, je n’en suis pas là. Il me faut reprendre une grande inspiration. Si j’arrête de respirer, je perds le fil qui nous relie. Et elle périra. La jeune femme risque de lâcher sa prise. Déjà qu’elle n’est pas bien vaillante. Elle n’a plus de force. Elle déplie peu à peu ses doigts. Elle regrette de ne pas être née avec des doigts plus longs. Elle n’ose déplacer un seul membre de son corps tant il est crispé et endolori. Elle sait que la pièce d’or est proche. Mais c’est trop pénible. L’idée a du mal à tenir. La jeune femme s’accroche tant qu’elle peut, mais ses doigts se relâchent. Sa main moite glisse puis c’est au tour de la deuxième. Elle tente de se rattraper. Mais tout le poids du corps tombe en arrière aspiré par le vide. Ses cheveux volent. Ses bras sont tendus vers le ciel. C’est une chute rapide qui s’annonce.

Le regard dans le vide, je tente de me raccrocher tant bien que mal à ce qui reste de l’inspiration du génie. La femme finit sa chute et s’écrase sur le sol dans un profond silence. Puis elle s’enfonce peu à peu pour disparaître à jamais. Il n’y a pas de cérémonie, ni de deuil. L’inspiration puis le souffle du génie ne sont plus qu’un vague souvenir. Je me retrouve à nouveau seul allongé dans le lit. Il est 2h15 du matin. J’aurais pourtant pensé qu’il était plus tard. Je ne me rappelle plus de grandchose. Ni de cette femme, ni de cette histoire. Ce dont je me souviens hélas, c’est de ne pas avoir su saisir ce soupir. Je l’ai étouffé de mes propres mains. Cette femme comme cette fable se sont évaporées à tout jamais. Je dois attendre qu’un autre dieu antique veuille bien prendre une grande inspiration et me la souffle à nouveau.

Article extrait de la revue n°18, L’inspiration

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