Une Afrique post-covid, kézako ? Quels enjeux, quelles craintes et quels comportements constate-t-on sur le continent africain et ses populations ? Le cabinet Deloitte, l’institut de sondage OpinionWay et l’agence conseil 35°Nord présentent les résultats du premier sondage réalisé en Afrique sur la perception de la pandémie de Covid-19. Sur ce continent à l’économie comme à la culture riche et solidaire, les paramètres ne sont évidemment pas les même qu’en Europe. En temps de crise, les attitudes elles aussi se démarquent. État des lieux.
Europe, Amérique du Nord, Asie : la liste des études et enquêtes Covid-19 opérant sur ces continents donne le tournis. Qualitatives comme quantitatives, elles tentent de dresser le portrait d’une société mondiale oscillant entre inquiétude et ambition face aux enjeux économiques et sociaux à venir, au sortir d’une crise sanitaire sans précédent. Qu’en est-il de l’Afrique ? Établie sur un périmètre de huit pays (Afrique du Sud, Algérie, Côte d’Ivoire, Égypte, Éthiopie, Maroc, République Démocratique du Congo, Nigeria) avec 500 sondés de plus de 18 ans en moyenne par pays (4 017 personnes au total), l’étude Deloitte x OpinionWay x 35°Nord intitulée « Les opinions publiques Africaines face à la crise du Covid-19 » met en lumière les inquiétudes, conséquences et enjeux tant économiques que sociaux en terres africaines au sortir de la crise sanitaire actuelle. Par ici ce que l’on en retient.
Alors que le niveau d’inquiétude concernant la contamination par le coronavirus est de 81 % (64 % sont très inquiets et 17 % assez inquiets), 60 % des personnes interrogées estiment que la situation économique de leur pays va se dégrader et 12 % qu’elle ne va pas changer, alors meme que le continent est depuis une vingtaine d’années sur une dynamique de croissance économique soutenue et de confiance en l’avenir. Comme en France, optimistes mais pas dupes, 53 % anticipent également une détérioration de la situation de leur entreprise ou de leur situation professionnelle. De plus, 54 % des personnes interrogées redoutent un affaiblissement de leur situation financière personnelle. Les individus disposant des plus faibles revenus sont plus enclins à penser que leur situation financière professionnelle va se dégrader (59 % contre 49 % pour ceux dont les revenus sont les plus élevés), à l’instar de ceux habitant en zone rurale (60 % contre 49 % en zone urbaine).
Une culture solidaire et des politiques qui donnent espoir
Si ces données semblent d’emblée peu encourageantes, elles se démarquent pourtant de celles que l’on peut observer en France, où l’inquiétude sur la situation économique monte à 88 % et en Italie à 76 %. Pourquoi ? Parce que la résilience est propre à l’Afrique et que le dur labeur dont ses populations font preuve pour développer leurs terres, porte ses fruits. Aussi, là ou la confiance sonne creux dans l’oreille des citoyens européens face aux institutions politiques, il semblerait qu’en Afrique, politiciens aient su répondre à l’urgence citoyenne locale. On note ainsi un fort niveau d’adhésion aux mesures de prévention (82 % pour le confinement, 81 % pour le couvre-feu) et de confiance envers les gouvernements (81%). Celui qui inspire le plus confiance est au Maroc (97 % dont 66 % « tout à fait confiance »), suivi de la Côte d’Ivoire (89 %), l’Afrique du Sud (88 %), la République Démocratique du Congo (87 %). À titre de comparaison, le gouvernement français bénéficie seulement de la confiance de 39 % des sondés dans une enquête similaire effectuée par OpinionWay. Mesures de protection sanitaires, soutien aux économies et accompagnement social des populations, tout y est.
Résilience à l’africaine
Pour Brice Chasles, Managing Partner Afrique francophone chez Deloitte, la crise révèle bien la capacité des économies en développement à dépasser les problématique de solidarité et de collectif haut la main. « Dans cette crise, l’Afrique démontre son intelligence collective dans la coopération et la mobilisation de l’ensemble des acteurs et des ressources. Les enjeux sont considérables, en matière de finances publiques comme sur le plan humain », explique-t-il. « L’Afrique a l’opportunité d’accélérer les transformations engagées avec comme principales priorités : le renforcement des systèmes de santé ; la poursuite de la transformation digitale ; une urbanisation plus résiliente et durable ; le développement de filières agricoles, industrielles et de services compétitives et autosuffisantes ; l’inclusion sociale et financière, enfin rendre effective et opérationnelle l’intégration régionale et panafricaine ».
Inquiétudes chargées d’Histoire
Attention toutefois à ne pas penser l’Afrique naïve. Chargé d’histoire mêlant guerre et faim, conscient de ses carences économiques et de l’instabilité de ses richesses, le continent redoute le pire. En dépit de la réactivité des gouvernements, des inquiétudes très précises sur les conséquences de la crise se dessinent néanmoins. Ainsi, 54 % des personnes interrogées redoutent une crise alimentaire et 84 % une augmentation de la pauvreté. Ainsi, 82 % des personnes interrogées en Afrique du Sud jugent ce risque « important » (dont 56 % « très important »), 78 % au Nigeria (68 % « très important »), 63 % en Côte d’Ivoire, 66 % en Éthiopie et 59 % en RDC. Ces craintes portent essentiellement sur des denrées de première nécessité comme le riz (23 %), la farine (17 %), les légumes (13 %), ou l’huile (11 %). Comme l’explique Hugues Cazenave, président d’OpinionWay, « le spectre d’un retour des émeutes de la faim, comme en 2008 dans certains pays, contribue probablement à renforcer ces inquiétudes et à majorer ces résultats ».
Au regard de ces chiffres et malgré les inquiétudes et enjeux indéniables soulevés, tout laisse à croire que les so-called rois du capitalisme du Nord auraient grand intérêt à s’inspirer des valeurs africaines pour repenser leur chemin de pensée unilatéral, persuadés qu’un choix doit être opéré entre capital et santé, là ou les deux ne font qu’un.