Analyse onomastique des principales marques de grande consommation sur le marché français
L’analyse des noms de presque 200 grandes marques présentes dans la grande distribution française (alimentation, boissons, hygiène, beauté et entretien de la maison), nous permet d’identifier 10 sources d’inspiration qui ont donné naissance à ces enseignes du quotidien. De nouveaux noms apparaissent, issus d’inspirations en phase avec l’air du temps, moins rationnelles, plus conceptuelles et plus imaginatives.
Les marques patronymes
Les patronymiques désignent généralement le fondateur de l’entreprise ou le créateur du produit d’origine. Par leur consonance, elles peuvent nous fournir une indication sur leur origine culturelle et ou géographique. Du fait de l’antériorité et de la notoriété de certaines, ce caractère tend à devenir générique étant précédé par un article (un Bic, du Boursin, un Ricard, une Heineken).
L’analyse d’une liste de 50 d’entre elles nous renseigne sur très peu de choses. Nous pouvons malheureusement constater que sur l’ensemble de la liste, deux noms de femmes seulement apparaissent, dont une veuve. Ceux à consonances latines sont nombreux et commencent par des B et des M et ceux issus des pays nordiques par des H ou des K. Nous retrouvons aussi quelques noms doubles pour les associés fondateurs. Nous pouvons conclure que les marques récentes utilisent très rarement les patronymes.
Les marques calendrier ou marques prénom
Beaucoup de marques sont issues du calendrier chrétien, donc précédées du mot « saint ». Cela leur confère une dimension spirituelle et vertueuse, une certaine assurance sur la qualité du produit; en sous-entendu, qui a une histoire, une région d’origine, élaboré éventuellement par des moines ou des sœurs (plus rare) avec le soin et le savoir-faire traditionnellement associé à ces personnes. L’origine géographique se mélange avec le saint prénom du fait que beaucoup de nos villes et nos villages en Europe portent des noms sanctifiés.
Pour les marques avec prénoms, elles sont plus du registre de l’affectif ou de la filiation (fils, fille, femme). Le prénom crée de la proximité avec le consommateur. Son principal inconvénient, il se démode très vite… Certains nous sont même totalement inconnus, mais soyons optimistes, ils reviennent souvent à la mode après avoir sauté une ou deux générations !
Les marques héros
Elles symbolisent en général des vertus. Souvent incarnées par des mascottes ou par une effigie illustrant le nom de la marque. Ces personnages créent avec le temps une empathie assez forte avec les consommateurs par leur caractère unique et familier à la fois. Ils sont l’expression d’un monde idéal ou légendaire. La limite : la famille est presque au complet (Bonne Maman, Uncle Ben’s, Grand mère…) et il faut aller voir du côté des héros de légendes d’hier ou d’aujourd’hui.
Les marques animales
Ce sont des animaux que la nature a doté de dons particuliers. La marque s’approprie leur caractère ou vertus La dimension affective est véhiculée par l’illustration de l’animal, très présente sur le produit. Quelques-unes nous permettent de comprendre l’origine exotique du produit. Sur des produits d’entretien, correspondant à des achats de nécessité, l’humour est présent par l’attitude de l’animal. C’est une stratégie gagnante pour éveiller ou réveiller le consommateur.
Les marques géographiques
Ce sont des marques et des produits issus d’une région ou d’un pays reconnu pour son savoir-faire, son environnement naturel propice au développement de telle ou telle variété (crème = Normandie, eau = montagne). Une façon de s’approprier un lieu mythique ou exotique et de créer un imaginaire fort avec le consommateur (Hollywood, Côte d’Or, Oasis, Tahiti…).
Les marques descriptives
Très liées à un format ou à un usage, ces marques par leurs innovations ou leurs communications s’octroient une position leader sur une catégorie produit qu’elles ont souvent initiée. Ces noms sont proches d’une formule générique, ce qui les rend très accessibles et quotidiens.
Les marques ingrédients
L’ingrédient pose la marque comme spécialiste de la catégorie produit. Les difficultés peuvent venir avec le succès, quand elle se donne des ailes et a pour ambition de se déployer sur d’autres catégories de produits (Orangina > jus de pomme ?). Un vrai défi pour les gens du marketing.
Les marques promesses
La promesse est souvent introduite par la première syllabe, quand il y en a deux ! La cohérence entre le nom et la promesse est une véritable stratégie marketing permettant à la marque de préempter la catégorie et d’asseoir une position de leader autour de cette promesse. La difficulté est sa pérennité qui ne doit pas être trop dépendante des tendances et des usages de consommation du moment. Cette stratégie de nom a pour vertu principale de pouvoir étendre la promesse bien plus facilement à d’autres catégories quand il lui vient l’envie de se déployer.
Les marques imaginaires
Si nous devions identifier un dénominateur commun à ces marques, ce serait le son régressif voire primaire, d’une fonction ou d’une promesse. Certaines de celles-ci pourraient se confondre avec des onomatopées, expressions affectives voire exclamatives. Concrètement nous pouvons identifier dans la liste dix noms qui ne dépassent pas quatre lettres, proches du mode exclamatif, dont sept hors alimentation. Ce type de nom, par le non-sens qu’il exprime, facilite son déploiement à l’international.
Les marques racines
Deux grands groupes alimentaires concurrents suivent cette même stratégie en filiation de la marque corporate. Ce système appliqué à un certain nombre de catégories produits permet de faire immédiatement le lien avec la notoriété des groupes Danone et Nestlé. Ce dernier décline sa racine sur des catégories de produits à boire (café et chocolat). Danone associe la sienne aux produits lactés, son métier d’origine. La limite de cet exercice est bien évidemment l’association de la racine avec la catégorie ou l’innovation produit : nous sommes dans un exercice périlleux de poésie.
La complexité de cette stratégie est mise à l’épreuve quand un de ces deux groupes décide de se séparer d’une branche d’activité (Nestea). Le dilemme : vendre la marque telle quelle à l’acquéreur et voir sa « racine » utilisée par autrui, ou dégrader la valeur de la marque en imposant un changement de nom ? Il est clair que ces deux groupes tendent à limiter l’utilisation de leurs racines aux seules catégories piliers de leurs stratégies de développement.
Conclusion
Les marques patronymes régressent pour la simple et bonne raison que de moins en moins d’individus peuvent de nos jours lancer un nouveau produit sous leurs noms.
Les marques calendrier/prénom avec potentiellement plus de futur pour les marques prénoms, à moins qu’une tendance très lourde vienne bousculer tout cela.
Les marques humanisées : hormis aller chercher dans les grands mythes de la culture universelle d’hier et d’aujourd’hui, point de salut, la famille étant quasi-complète.
Les marques animales : mis à part les insectes (source sans fin), l’arche est déjà pourvue et les doublons fréquents.
Les marques géographiques : une valeur sûre si nos enfants s’intéressent encore à cette discipline. Il y en a qui doutent…
Les marques ingrédients : il va falloir trouver ou inventer de nouveaux ingrédients. Bonne chance, c’est toujours possible et ça peut rapporter gros.
Les marques descriptives ne demandent qu’à être mieux exploitées, car la tentation est grande et la volonté permanente de vouloir faire évoluer les usages.
Les marques promesses doivent en tenir de nouvelles : un vrai défi posé aux gens de marketing.
Les marques imaginaires se développent de plus en plus, car bien adaptées au déploiement international. Et l’imagination, comme tout le monde le sait, n’a pas de limite.
Les marques racines : au-delà de la suprématie que cela impose, de la confiance en soi que cela implique et de l’intérêt du peu de candidats, la poésie a ses propres limites.
Récapitulatif des marques classées
les marques patronymes : 42
les marques calendriers/prénoms : 29
les marques promesses : 23
les marques imaginaires : 18
les marques ingrédients : 17
les marques humanisées : 16
les marques géographiques : 16
les marques animales : 14
les marques descriptives/usages : 13
les marques racines : 8
total : 196