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Après le flagship store pour une marque, bienvenue dans la » flagcity » !
Article écrit par Benjamin Adler
L’une est opérationnelle, l’autre verra le jour en 2016. Les deux sont aux États-Unis et posent les premières pierres de la ville entièrement « brandée ». La cité comme point de contact ? Analyse.
Imaginez passer un week-end en famille, en amoureux ou entre amis dans une ville qui serait entièrement aux couleurs d’une marque ! Certains parleraient sûrement d’utopie. Mais comme l’utopie est souvent la réalité de demain, les groupes Urban Outfitters et ATX Brands ont décidé de griller deux ou trois étapes en concevant les premières villes 100% brandées. Dans une société ultra connectée qui a profondément modifié les règles de concubinage au sein du couple marques-consommateurs, les uns comme les autres ne jurent plus que par le participatif et l’expérience.
De nouveaux terrains de jeux
Cette nouvelle donne historique redéfinit la notion de territoire et son appartenance. Pour interpeller, séduire et fidéliser, les marques ont déjà investi de nouveaux terrains de jeu marketing, comme par exemple l’espace. Les frontières classiques d’expression périclitent, les marques s’émancipent d’une tutelle tacite devenue obsolète : désormais, elles érigent même des villes qui leur sont entièrement dédiées comme point de contact.
Et si les marques passaient du flagship au flagcity ?
Que ce soit en rachetant une ville fantôme au Texas près d’Austin ou bien en construisant une cité de toutes pièces sur 2 hectares dans la banlieue de Philadelphie, la chaîne de restauration Bikinis Sports Bar and Grill et le pape de la fringue urbaine hipster et rétro Urban Outfitters pourraient faire jurisprudence. Et si demain Nike transformait son concept du Niketown en une véritable ville pourvue de toutes les infrastructures nécessaires ? Et si les marques passaient du flagship au flagcity ? « Les marques sont dans l’obligation de toucher le consommateur beaucoup plus en profondeur et le marketing événementiel est un levier parmi d’autres. La ville brandée n’est pas que l’extension du marketing événementiel, c’est de l’immersion totale et persistante. Disney le fait depuis des décennies avec ses parcs à thèmes mais pour la génération appelée à prendre le pouvoir, ils sont ennuyeux. La génération Y accorde de l’importance au changement authentique et positif », décrypte Neal Gorenflo, co-fondateur de Shareable, think tank, hub et média des transformations urbaines par l’économie de partage.
Accroître l’interaction de tous les instants avec le consommateur
« Si Bikinis et Urban Outfitters prennent cette initiative, c’est qu’elles anticipent une perte de contrôle. Le nombre écrasant de canaux médiatiques rend difficile la réalisation de campagnes de pub traditionnelles efficaces. Il faut parler autrement au consommateur », ajoute t-il. « De nos jours, les villes deviennent plus partageables, les biens communs sont désormais des voitures, des ordinateurs et des jardins, autant de choses qui auparavant relevaient de la propriété unique. En permettant à d’autres marques de participer à son projet, en les impliquant dans la vie et l’activité économique de la ville, Urban Outfitters peut susciter l’avènement de l’espace partageable », complète Jeremiah Owyang, fondateur de Crowd Companies. « Cela sera un lieu dans lequel les partenariats entre marques accroissent l’interaction de tous les instants avec le consommateur, dans l’espace public, les transports, les boutiques », ajoute l’ancien partenaire fondateur d’Altimeter Group, convaincu « qu’un nouveau modèle économique qui privilégie l’accès plutôt que la consommation est en train de se créer ». Est-ce pour répondre à ce défi économico-marketing que Bikinis et Urban Outfitters franchissent le pas ?
Les nouveaux monuments aux dieux
Pour David Ziel, responsable du développement chez UO, le projet immobilier prévu pour 2016 « veut proposer une expérience de lifestyle » aux consommateurs. Dans nos sociétés de consommation et de loisirs, les enceintes sportives high-tech et centres commerciaux ultra modernes sont les nouveaux monuments aux dieux. Cajolé et gâté, le consommateur pousse l’exigence à son paroxysme. Il veut vivre une expérience unique d’achat et de divertissement, pour ne plus seulement se contenter de dépenser pour un produit. Aux États-Unis, les marques n’ont pas attendu cette mutation sociologique pour faire de leurs théâtres de dépenses un lieu de récréation : le weekend, les fameux « Malls » sont l’attraction principale des populations privées d’alternatives culturelles non marchandes.
L’importance du High Customer Affinity
Convaincues de la perniciosité à moyen terme du phénomène, des marques repensent le design, l’architecture et l’atmosphère de leurs magasins pour en faire des espaces de vie. Avec son futur complexe commercial conceptuel en Pennsylvanie, Urban Outfitters pose peut-être les bases du shopping de la prochaine décennie. Les plans sont déjà connus et impressionnent. Le groupe veut y installer ses 4 autres enseignes (Anthropologie, Free People, Terrain et BHLDN) avec une pépinière et un café de produits fermiers locaux pour Terrain, un magasin Anthropologie, deux restaurants, une salle de fitness, un centre de bien-être et quelques boutiques gastronomiques. « Urban Outfitters n’est pas Monsanto ou BP, elle dispose d’un très bon High Customer Affinity. Les gens l’aiment, elle sait se connecter à eux et touche les jeunes avec pertinence. Ce qu’elle va créer, c’est un centre de lifestyle. Les marques doivent tendre vers cela car les Millennials veulent participer, ils n’ont plus le même rapport avec la possession de biens physiques », analyse Jeremiah Owyang. « Les jeunes adultes aiment peut-être les jeans serrés mais ils sont plus sensibles à un logement abordable et à un travail qui leur plaît », estime Neal Gorenflo.
Un coup marketing
En ce qui concerne Bikinis et ses serveuses en maillot de bain et à la poitrine opulente, le High Customer Affinity est aussi élevé mais auprès d’une cible bien spécifique. Pour la chaîne du groupe ATX Brands, se payer une ville entièrement dédiée à sa gloire – mais sans un seul restaurant de l’enseigne, relève d’abord du coup marketing. « Nous avons pensé que c’était une façon unique et inédite de faire parler de Bikinis car il n’y a aucune autre initiative similaire dans le monde », confie le CEO, Doug Guller. Après avoir acheté la ville fantôme de Bankersmith sur Craigslist, le site de petites annonces le plus populaire du pays, Guller l’a renommée Bikinis, s’est nommé maire et a écrit une charte des Droits et Devoirs. La première ville au monde contrôlée entièrement par une marque est ouverte depuis le 17 janvier 2014, du vendredi au dimanche de midi à minuit.
Avec son shérif, ses policiers et son postier, Bikinis – située à 80 km d’Austin, le siège du groupe, veut avant tout devenir « un endroit de fête et de rassemblement », dixit Doug Guller. Le « plus bel endroit sur terre » – selon son slogan – dispose peut-être du plus grand nombre de bars au mètre carré du pays, complétés par des salons de danse, un musée dédié à la marque, des scènes de concerts, des palmiers, du sable et des mini-lacs artificiels. « La ville dans son ensemble va vraiment bien refléter la marque mais surtout la renforcer. Cela va nous permettre de mieux connaître nos consommateurs », développe D. Guller.
Le contrôle d’une seule marque, un risque d’échec
« Notre vision, c’est de proposer un endroit où les gens pourront venir n’importe quand, sept jours sur sept, écouter de la musique en terrasse, boire une bière devant un concert, se détendre dans la nature et éventuellement acheter des produits dérivés. Il n’y aura pas de restaurant de la marque dans la ville et les seules femmes en bikinis seront en posters sur les murs ou dans nos staffs deux fois par an seulement. Le reste du temps, toutes les employées seront habillées normalement comme dans le restaurant en bas de chez vous », précisait il y a quelques mois le patron d’ATX Brands.
Dans son nouveau rapport d’engagement avec le citoyen connecté, l’acquisition d’une ville peut-elle être la nouvelle arme fatale des marques ? « Un des deux modèles d’avenir pour les marques est de créer leur propre espace de marché dédié à la consommation de biens. B&Q au Royaume Uni a par exemple lancé le « Street Club », un lieu de partage de voisinage. Ikea a aussi ouvert son espace de revente en seconde main », explique Jeremiah Owyang. « L’ économie de partage, que l’on pourrait attribuer à ces concepts, substitue le pouvoir latéral au pouvoir hiérarchique. Au lieu de s’en remettre aux gouvernements ou aux entreprises, les gens peuvent co-consommer, s’aider les uns les autres et co-produire en pair à pair. L’économie dans son ensemble est transformée. Pour le citoyen ? Car s’il prend conscience de l’opportunité, il peut créer de nouvelles institutions pour stabiliser ce changement de pouvoir à son profit. Mais aussi pour les marques qui peuvent en tirer profit pour accroître encore un peu plus leur pouvoir sur les communautés et les citoyens. C’est le cas quand elles érigent leur ville », ajoute N. Gorenflo.
Sur la pérennité de ces cités brandées, Jeremiah Owyang reste dubitatif : « Historiquement, les marques se sont déjà appropriées des villes par le pouvoir économique de leur industrie. L’essor de l’automobile a par exemple fait fleurir des villes entières, mais ça les rend vulnérables car dépendantes d’une seule richesse. Une ville ne peut pas être contrôlée par une seule marque, cela ne la rend pas résistante au temps et au changement. Le risque d’échec est réel », prévient-il. Bikinis donnera très vite le ton !
Benjamin Adler
Illustrations : Amélie Barnathan
Article extrait de la revue « Le Contact » disponible en version papier ou digitale ! Pour s’abonner c’est ici