Certaines agences se projettent déjà pour créer le modèle idéal de demain. Le mélange des compétences et des univers est au centre de cette mutation. L’agence 180 LA l’a bien compris…
Dans la Mecque de l’image et du storytelling, le contenu créatif n’a jamais autant rapproché la pub de l’art. Restée longtemps dans l’ombre de New York, prise au piège des préjugés véhiculés par sa tendance futile à la starification, Los Angeles est aujourd’hui le nec plus ultra de la création de contenu. La pub change et c’est à L.A. qu’elle épouse les nouvelles technologies et le digital pour dessiner son futur. Auto-estampillée capitale mondiale du divertissement, la mégalopole californienne est devenue en cinq ans un hub de la créativité artistique et publicitaire. Pour bien comprendre pourquoi et comment le label « made in L.A » est devenu aussi puissant et courtisé, au point de dessiner les contours de la pub de demain, INfluencia consacre une série de reportages à la créativité angeleno. Après TBWA/Chiat/Day, deuxième volet avec Eduardo Marques et Rafael Rizuto, Executive Creative Directors de 180 LA, basée à Santa Monica.
INfluencia : peut-on dire sans être trop présomptueux que Los Angeles est devenue la capitale mondiale de la créativité publicitaire et marketing ?
Eduardo Marques and Rafael Rizuto : Los Angeles est clairement la capitale du contenu. Il y a bien Hollywood mais L.A c’est aussi le divertissement par le contenu publicitaire. C’est l’endroit où il faut être maintenant car le contenu et le divertissement sont devenus tous les deux incontournables en publicité. Il faut donc que nous, les créatifs, soyons davantage des storytellers. C’est là que réside aujourd’hui le plus grand marché de contenu. Il y a en Californie un grand nombre de start-up et de sociétés dans l’industrie des nouvelles technologies qui peuvent nous aider à intégrer la « tech » dans nos histoires.
Certaines agences maîtrisent les aspects technologiques mais ne possèdent pas la connaissance du brand content et du storytelling, d’autres sont très douées pour raconter des histoires mais possèdent une compétence technologique inadaptée. Nous, nous maximisons cette relation bilatérale dans notre travail. Nous nous interrogeons en permanence, pour savoir comment utiliser cette technologie disponible de manière émotionnelle, pas seulement pour créer un film, mais aussi trouver un moyen de faire interagir l’audience avec ce film. Pour y parvenir la culture de Los Angeles nous aide beaucoup. Enormément de boîtes viennent maintenant s’installer ici, que ce soit YouTube, Snapchat, Google, Facebook… L.A c’est vraiment une combinaison entre « Mad Men », le divertissement, et les nouvelles technologies. Si vous mélangez tout ça, vous arrivez à quelque chose d’unique.
INfluencia : ce phénomène angeleno est-il pérenne ou n’est-il que le résultat de l’imbrication ponctuelle de plusieurs convergences ?
Eduardo Marques and Rafael Rizuto : ce n’est que le début. Il y a quelques années, les créatifs de Hollywood et de la télévision détestaient ceux de la pub, qui eux détestaient les geeks des nouvelles technologies, alors qu’aujourd’hui les agences comprennent l’importance de rassembler ces trois domaines. Ce mariage se déroule en ce moment même, pendant que nous nous parlons. Bien sûr que nous avons l’impression de créer quelque chose de totalement nouveau ! Il n’y a pas si longtemps, une agence a reçu un Emmy Awards pour un spot de PR et on voit aussi de grands réalisateurs se lancer dans la pub au lieu de faire un film par an… Ils se mettent à la pub pour avoir un autre revenu mensuel mais en faisant cela ils y amènent une touche et une perspective hollywoodiennes.
INfluencia : vous dites que vous avez l’impression de créer quelque chose de neuf. Los Angeles est-elle en train de fonder le futur d’une pub qui consiste désormais à partager un message ?
Eduardo Marques and Rafael Rizuto : complètement ! Vous savez, les gens détestent la pub, quand ils voient que vous essayez de leur vendre un truc, ils changent de chaîne. Ce sont eux qui ont tout le pouvoir, encore plus aujourd’hui avec les présences de Netflix, Hulu, Amazon… N’importe qui peut éviter la pub encore plus facilement qu’avant, il faut donc être aussi intéressant qu’un film, un documentaire ou une série. L’interruption n’existe plus. Il faut être créatif pour faire partie du contenu que les gens veulent regarder. Cela ne passe pas seulement par le placement de produit, il faut être créatif pour intégrer l’histoire et faire participer l’audience. La marque doit devenir l’histoire, le contenu.
INfluencia : mais comment distinguer clairement la publicité du contenu ?
Eduardo Marques and Rafael Rizuto : mais pourquoi faudrait-il le faire ? Prenons l’exemple de Red Bull, quelle est la différence entre le contenu et la pub ? Qu’est-ce qui est quoi ? C’est juste du contenu, point barre. Même CNN était en direct quand Felix Baumgartner a sauté de l’espace ! C’était aussi une publicité mais on s’en fiche car c’était du super contenu. Le consommateur devient seulement cynique si tu essayes de lui vendre quelque chose ou si tu lui caches l’objectif. La boisson Red Bull n’est plus ce qui ramène le plus d’argent dans les caisses de la société, c’est le divertissement et les gens l’acceptent. Même chose pour Go Pro et eux n’ont même pas d’agence, ils produisent juste leur propre contenu sur leur propre chaîne de télé. Ils n’ont pas besoin d’une agence. C’est donc à nous de prouver que nous sommes encore utiles et de repenser notre travail avant d’être complètement inutiles.
INfluencia : est-ce que la co-créativité ne serait pas l’un des gros défis actuels et futur de la pub ?
Eduardo Marques and Rafael Rizuto : il faut d’abord partir d’une idée et seulement ensuite voir si elle mérite d’être co-créative. Les choses ont changé maintenant que les réseaux sociaux ont pris un tel pouvoir auprès des marques. La co-créativité se fait d’elle-même et la pub doit s’adapter. C’est pour cela que dès qu’il y a quelque chose de nouveau dans le monde des réseaux sociaux, la pub se jette dessus pour faire partie de la conversation. Et tout le monde se bat pour le marketing en temps réel car c’est presque gratuit, donc les agences doivent presque prendre le rôle des relations presse.
INfluencia : vous êtes tous les deux arrivés du Brésil, il y a trois ans. La créativité brésilienne se marie-t-elle bien avec la mentalité de Los Angeles ?
Eduardo Marques and Rafael Rizuto : au Brésil, la différence est que nous sommes obligés de travailler très dur pour avoir moins que dans les autres pays. Les gens doivent davantage prouver leur talent et la compétition y est plus intense. Mais au Brésil, la créativité est en nous et la publicité fait partie de la pop culture. Certaines pubs appartiennent à l’histoire du pays, un acteur de publicité peut y devenir une star. Donc quand un Brésilien arrive à L.A, il a l’impression d’avoir encore plus d’opportunités et veut profiter de chacune d’entre-elles. Il les traite toutes comme la plus grosse ou la dernière de sa carrière. Cela fait trois ans que nous sommes aux USA et nous avons pu remarquer que les Américains s’arrêtent vite devant un obstacle, alors que nous, nous y sommes habitués et nous nous battrons toujours pour trouver une solution. Quand vous mélangez des personnes de différentes cultures, vous mixez des perspectives et forcément vous arrivez à de meilleurs résultats.
Retrouvez ici le premier volet