La créativité du futur sera-t-elle celle du passé ? INfluencia a posé la question à 10 grands patrons d’agence et créatifs qui nous livrent leur vision. Leur réponse est unanime : elle peut venir de n’importe où, du ON, du OFF, du monde qui nous entoure, de la technologie. Et surtout des idées. Encore des idées. Toujours des idées.
La créativité de demain ressemblera-t-elle à celle d’hier ? Question à laquelle on ne peut répondre que par oui et non. Bien plus qu’une dualité, la réponse exprime l’obligation absolue d’allier la culture générale, garante des codes et savoir-faire acquis, à l’esprit de curiosité tourné vers toutes les nouvelles expériences comme le digital. C’est l’addition nécessaire de l’existant au nouveau parce que la créativité, même dans l’anticipation, est cyclique. Qu’elle est, et restera intemporelle. Et aussi parce que la nouveauté – aussi magique soit-elle – ne doit pas être plus importante que l’idée.
Alors, ni nostalgiques passéistes ni futuristes forcenés, les créatifs se veulent d’abord et résolument modernes. Avec pour seule ambition de passer des idées qui font sens et se font, pourquoi pas, sources d’émotions – car on est quand même dans un univers où l’humain prévaut ! Bref de réussir le fameux saut créatif.
Les idées, ces héroïnes encore et toujours
Sylvia Vitale Rotta / CEO et fondatrice de Team Creatif Group
On est sûr de demain, mais on ne sait pas ce qu’on va faire demain. Rien de plus excitant que cette incertitude pour un créatif qui doit aider les valeurs sûres du passé à se réinventer et se révéler comme de nouvelles héroïnes pour raconter des histoires et créer de l’émotion. Avec le digital, son challenge se pimente, car le virtuel s’entremêle au monde physique, suscitant inspirations et expériences tous azimuts. Son devoir est d’abstraire ces nouvelles technologies de leur technicité et de les rendre invisibles pour que ce patrimoine d’idées soit accessible à tous. Pour qu’il s’insère avec naturel et simplicité dans la vie de tous, qu’il parle à tout le monde, qu’il descende dans la rue et qu’il soit partagé par le plus grand nombre. Pour qu’il y ait plus qu’une interprétation intéressante et harmonieuse : un élan, une vibration !
L’eau, la pierre et l’idée
Andréa Stillacci / Président et directeur de la création de Herezie
Imaginez une rivière qui s’écoule d’une montagne. Imaginez-la comme le cours d’une vie. Le travail des publicitaires est de jeter des idées créatives dans cette rivière. Si l’idée est mal taillée, si elle n’a pas d’histoire sur laquelle reposer, elle coulera comme une pierre. Mais si on la modèle correctement à partir des émotions humaines et des vérités universelles, elle suivra l’eau jusqu’à se confondre avec elle. La technologie ? Ce n’est ni plus ni moins qu’une façon de régler la vitesse de cette rivière. La technologie change la façon dont on applique la créativité, mais soyons clair : elle ne change pas la créativité en elle-même. La créativité joue sur des émotions qui font agir les gens. La technologie joue sur des dispositifs qui aident les gens à agir. Ne confondons pas émotions et dispositifs, ce serait injuste pour les idées.
2020… 2030… 2100… L’Odyssée de la créativité
Alexandre Hervé / Directeur de la création de DDB
Le numérique, c’est à la fois les frères Lumière et Méliès dans le théâtre de Houdini : Oculus Rift n’est-il pas aussi révolutionnaire et magique que le cinéma en son temps ? Ces nouvelles technologies ouvrent des espaces et une créativité inédits et infinis pour raconter différemment – et fort heureusement sur fond d’héritage revendiqué – des histoires millénaires. Pourtant, le meilleur reste à venir dans cette explosion des outils et cette réinvention de l’espace qui abolit les frontières.
Cet avenir est aussi bouillonnant et prometteur qu’un départ pour la lune ou une odyssée de l’espace ! Alors, épuisons nos ordinateurs, nos consoles de jeux ou tout autre objet connecté et profitons de cette phase de transition pour capter ce qui se passe dans le monde, nous adapter et donner envie encore !
Créativité nouvelle saison : encore plus de risque et de contre-culture
Delphine de Canecaude / Fondatrice et présidente d’Étoile rouge
L’émergence massive des prosommateurs (consommateurs/producteurs/prescripteurs) alliée aux devices ultraconnectés modifie radicalement le flux. Les doers sélectionnent leur programmation tandis qu’en retour, les data les cible. La « distinction » sera le nouveau mot d’ordre pour émerger dans ces nouveaux flux personnalisés et identitaires. Les marques devront retrouver à tout prix le goût du risque et de la contre-culture. Le produit affectif, hybride et sur mesure sera au cœur des stratégies R&D. Même les produits de consommation courante devront s’inscrire dans cette nouvelle ère. Le marketing et la publicité changeront de paradigme et les créatifs de tous bords retrouveront enfin l’âge d’or de la pub saison 3.
La créativité du futur demande un don d’ubiquité
Christophe Pinguet / Co-fondateur et directeur associé de Shortcut
Savoir imaginer le beau, le goût, l’envie, les modes ou la tendance, la fascination et l’émotion, le réel au de-là du virtuel. Le pragmatique aussi… Porter le tout grâce à des innovations, au travers de nouvelles technologies. Savoir communiquer cette création ou cette créativité, la véhiculer, en sachant construire un message, un instant, un dialogue ou un cri… Connaître ses publics (les contacts) et le meilleur moyen de les toucher… De l’un à l’autre, mais aussi de l’un à l’universel. Plus ou moins. Et puis en même temps…
Avoir un ancrage dans l’histoire, les cultures, la culture générale, la mémoire collective, l’affectif, les fondements. Connaître les us et les coutumes, les courants, les modes. Plus largement et avec plus d’ambition, l’histoire de l’Humanité, celle des civilisations et des religions. L’histoire-historique, lourde ou légère. Plus ou moins temporelle ou sérieuse. Plus ou moins lointaine. Plus ou moins anecdotique. Car la créativité est souvent un phénomène de cycle : savoir placer le curseur… S’éloigner ou se rapprocher du point de balance. Trouver le parfait équilibre entre l’audace absolue, le jamais-fait, le jamais-vu, l’assurance ou la réassurance…
La création et la fonction se rapprochent jusqu’à se confondre
Hélène Sagné / Fondatrice de Bug
Demain, la majorité des marques seront lues par les algorithmes et les robots – et non plus par l’œil humain. L’indexation deviendra autant visuelle que sémantique, les signes, systèmes et logos simples seront ceux qui auront le plus de facilité à émerger. La communication va s’écarteler entre deux extrêmes : d’un côté l’information, les data vont mettre à l’honneur le langage des mots et la visualisation des données.
De l’autre, le divertissement et le règne de la vidéo délivreront du motion, des visuels clés et des univers poignants. Les scénarios, les structures rhétoriques, le storytelling et les logiques ergonomiques seront les marqueurs clés d’une marque – la création se confondra avec la fonction.
La création augmentée
Édouard de Pouzilhac / Cofondateur de 5ème Gauche
Le digital est bien plus qu’une révolution marketing, c’est une véritable révolution culturelle. Il nous a confrontés à de nouveaux usages, de nouveaux langages, de nouveaux lieux de rassemblement et il a profondément modifié les rapports marque/consommateurs. Aujourd’hui, les marques ne doivent plus se réinventer avec des produits, mais avec des services innovants. Elles doivent s’insérer dans les parcours des consommateurs, elles doivent divertir et être utiles.
La créativité fera toujours la différence pour une marque. Celle-ci devra toujours s’exprimer au travers de la culture de l’idée. Néanmoins, le processus créatif du sacro-saint CR/DA a volé en éclat… Ce n’est pas tant la manière de penser l’idée qui a changé que le champ des possibles de son exécution qui s’est étendu. Le véritable enjeu est de réussir à trouver l’alliance savante entre les insights conso, les insights d’usage des technologies et la culture de l’idée.
C’est pourquoi la créativité du futur est celle qui réussira à conjuguer des métiers, des compétences, voire des agences de culture différente, pour que l’idée puisse se développer de manière homogène et s’adapter à tous les supports et technologies, qui sont aujourd’hui incontournables.
Le lâcher-prise, un mal nécessaire
Marion Darrieutort / Présidente & associée, Élan
Alors que l’on constate les prémices d’une créativité plus libérée, plus décomplexée ; alors que la société admet que la créativité n’est pas l’apanage de quelques-uns mais composante inhérente à chacun ; alors que l’on trouve dans l’art une échappatoire à une société gangrénée… Et si demain donner carte blanche à un artiste pour qu’il exprime la vision d’une entreprise était la clé d’une créativité renouvelée ?
Et si ne pas enfermer l’artiste dans un carcan maîtrisé prenait des saveurs étonnamment « ROIstes » ? Et si entreprises et marques misaient sur l’expression sincère d’un artiste pour révéler leur identité, leur réalité ? Et si s’interdire de dénaturer les travaux dudit artiste était la clé ? Et si la création publicitaire devenait sculpture, œuvre ou démarche artistique ? Créativité d’entreprise et créativité sociétale s’installeraient dans une relation miroir vertueuse. L’engagement en serait décuplé. Le « lâcher-prise » s’affirmerait alors avec force comme un mal nécessaire. Chiche ?
Retour vers le futur
Christophe Lafarge / Président, Les Gaulois
Mai 2030, Maurice Lévy est élu président de la République. Juillet, 1er Grenelle de la Pub à Davos avec l’appui de la cellule com du Fric (ex-Medef) repris en main par Kevin Sellières, arrière-petit-fils d’Ernest. Ce Grenelle fait suite au premier mouvement de grève de la filière qui a paralysé l’industrie pendant trois mois, avec le soutien des pilotes d’Herr Franz (fusion Air France/Lufthansa).
Voici le compte rendu : — les agences ne peuvent plus céder leurs droits, qui constituent un actif immatériel quantifiable au bilan ;
— les compétitions d’agence sont limitées à trois participants. Les deux perdants percevront un quart du budget de l’annonceur ;
— toute annonce ghost sera l’objet d’une sanction sous forme de rupture contractuelle immédiate ;
— Toute prestation Web gratuite ou non évaluée aux frais réels de la masse salariale entraînera un redressement Urssaf pour l’annonceur sur la base de 7 ETP (personnel requis pour la conception, fabrication, suivi d’une bannière interstitielle). Merci Maurice.
Le passé de l’avenir nous réserve de biens tristes futurs souvenirs
Stéphane Xiberras / Président et directeur de la création de BETC Paris
Jeudi 22 octobre 2029
Comme tous les jeudis matin, j’ai mon meeting avec le légal de Singapour en G-View. Moi-même étant directeur de création, ce gars est devenu mon interlocuteur privilégié depuis que des petits malins ont déposé à peu près toutes les idées existantes et ayant existé. Ce qui nous oblige à d’abord compiler ce qu’on a le droit de faire avant de penser trouver la bonne idée. Entre ça et les lois anti-influence de 2027 qui ont banni toute « manipulation par des marques à l’aide d’images ou de concepts visant à altérer le jugement du consommateur sur un produit », je peux vous dire qu’on vit une époque formidable.
Sinon, les robots ont encore craché des idées lamentables cette nuit, je regrette presque l’époque où on avait les moyens d’avoir des créatifs humains. La pub a bien changé en quinze ans, les deux seuls groupes de communication mondiaux qui restent aujourd’hui ont dû revoir sacrément les process pour préserver les rentabilités. Plus de bureau bien sûr, plus de réunion, mon job consiste à envoyer les idées issues des robots à un client que je ne connais pas et que je n’ai jamais rencontré. En tant que DC, je suis en charge de la programmation et de la maintenance des logiciels qui vont sortir idées et campagnes. Quand ils y arrivent. Voilà pourquoi j’ai toujours un papier et un crayon près de moi. On ne sait jamais.
Florence Berthier
Article extrait de la revue « Le Futur » disponible en version papier ou digitale !
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