« Il faut accepter que la conquête du monde ne soit pas réglée comme une horloge suisse », affirme Jean-Paul Agon, Président de L’Oréal, Février 2010. Et la marque dans tout ça ?
A l’origine limitée à une signature de produit, la marque a progressivement conquis de nouveaux espaces. Elle a simultanément investi le nom des entreprises (la marque “corporate”), puis les domaines non marchands (associations, ONG…), et jusqu’aux partis politiques qui souscrivent très largement au marketing, donc au parti-marque ou au candidat-marque. C’est dire l’importance du concept et la nécessité d’en comprendre le fonctionnement.
Ordre et désordre dans la marque
La marque est ce qui résulte de la tentative de créer, dans les imaginaires de son public, un ordre. Ce qui signifie qu’elle va construire une association durable entre ses éléments matériels (nom, logo…) et un certain nombre de valeurs qui lui appartiennent en propre et qui devront être motivantes. Sur quoi se construit cet ordre ? A partir de la captation, à son profit, de valeurs existant dans la société, ou de traits de personnalité qui lui sont propres. Bien entendu, contrôle ne veut pas dire maîtrise totale, mais seulement tentative de maîtrise. Maîtriser totalement une marque serait non seulement bien présomptueux, mais impossible. Tout le problème de l’efficacité de la gestion de la marque sera alors : dans quelle mesure ce contrôle peut-il être opéré ?
Comme un stock de mémoire déposée dans les esprits, elle avait jusqu’à récemment un monopole sur son propre discours. Lorsqu’elle est son propre énonciateur, elle peut jouer avec différentes facettes en travaillant sur des déficits de valeur ou en accentuant certaines d’entre-elles, considérées comme périphériques. Aujourd’hui, elle est confrontée à de nouveaux enjeux : l’impact du Web 2.0 et des réseaux alimentent des discours concurrents et potentiellement déstabilisants.
La marque digitalisée, une ouverture des possibles
Le potentiel du digital -on devrait dire des media digitaux- ouvre en effet de toutes nouvelles possibilités et de nouveaux dangers pour les marques. Les opérations originales sont encore peu nombreuses, mais les potentialités sont telles qu’on peut considérer qu’on a à peine mis le pied sur un nouveau continent. Pour qui veut contrôler les imaginaires et ne pas se laisser embarquer dans une voie qui ne correspond pas à sa propre volonté identitaire, les moyens sont déjà là. Et chacun de ces moyens a sa propre spécificité et son identité symbolique. Plus que jamais, le medium c’est le message, parce qu’indépendamment du contenu propre des messages, les dispositifs digitaux ont des effets de sens en eux-mêmes. Le digital importe dans le marketing une nouvelle culture dont on peut décrire les fonctions :
– approfondir les valeurs centrales de la marque : le story telling que l’on trouve dans le site de Chanel insiste sur les valeurs que portait le personnage éponyme et qui sont celles aujourd’hui de la marque.
– hyperpersonnalisation : c’est le cas de Nutella ou de Coca-Cola qui mettent les prénoms de leurs consommateurs à même leur packaging. On a parlé de mass-personnalisation.
– plasticité des identités : l’application Makeup Genius sur smartphone ou tablette permet de se maquiller grâce aux produits de maquillage L’Oréal, puis de commander en ligne !
– caractère ludique et «VIPisation» : l’implication des destinataires dans une performance technologique qui apparaît comme un jeu, crée une émotion qui rejaillira sur la marque.
– hybridation du vrai et du faux, du virtuel et du réel.
– localisation : la poudre à récurer bien connue Cif a réalisé une remarquable campagne en Roumanie (pays test avant les autres pays ?). Une personne remarque un graffiti, agressif ou raciste. Il prend une photo qui, géolocalisée, est immédiatement postée sur un site qui la situe sur une carte. Une équipe est envoyée rapidement pour nettoiyer le graffiti. L’équipe Cif est aussi chargée de prendre une photo avant/après afin d’alimenter la banque de données du site internet de l’opération où séjournent les photos des quelque 385 endroits nettoyés.
Le digital permet d’accéder à une nouvelle dimension de la relation avec le consommateur par laquelle ela marque peut se recréer, se re-fertiliser en opérant une déprogrammation créative.
Lorsqu’elle est son propre énonciateur, la marque peut donc jouer avec différentes facettes en travaillant sur des déficits de valeur ou en accentuant certaines d’entre elles, considérées comme intéressantes mais périphériques. Ces dernières, pour des raisons de coûts ne pourraient pas être communiquées sur les grands média traditionnels. Ces opérations de fine tuning impliquent une très bonne connaissance de la marque car il s’agit de vérifier que tel ou tel media digital est compatible :
– avec les valeurs noyaux de la marque.
– avec le contenu du message à transmettre.
Les média digitaux déverrouillent et relancent d’énormes potentialités créatives. Mais en même temps, cette nouvelle donne élargit le champ des attaques et des détournements de discours. Les points de contact se sont multipliés qui sont en même temps des opportunités d’un « ordre » supérieur et des facteurs de désagrégation. Les outils pour explorer, suivre, décider n’en seront que plus indispensables.
Rendez-vous le 16 avril 2015 de, 15h15 à 16h00 « L’imaginaire de marque à l’heure du digital : ordre ou chaos ? » sur le Printemps des études.