21 juin 2024

Temps de lecture : 8 min

« Il n’y a rien de plus enrichissant que d’être utile à quelqu’un », Assaël Adary (Occurrence)

Le spécialiste de l’évaluation de la communication cache bien son jeu, ou plutôt ses tatouages. Le vrai Assaël Adary, fondateur de l’institut d’études Occurrence et co-auteur du célèbre Communicator, (car il vient de lancer son avatar*), répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann** – Proust oblige.

INfluencia : votre coup de cœur ?

Assaël Adary : il est à la fois pour une culture, des paysages, des gens et un pays : le Japon. Cela fait des années maintenant que j’ai eu un coup de cœur d’abord très virtuel et intellectuel pour le Japon, puis physique lors d’un premier voyage. Pour moi, c’est le pays du beau et du raffinement. Et le beau est apaisant. Quand on y va, on découvre cet amour réciproque entre Français et Japonais. Et puis comme souvent, lorsqu’on va au Japon, on n’a qu’une envie, c’est d’y retourner régulièrement. J’ai eu cette chance. C’est devenu une passion et une pulsion que je partage avec ma femme, qui s’est mis au japonais il y a 10 ans. Et comme elle le parle très bien, quoiqu’elle en dise, c’est encore une autre dimension de plaisir et de voyage qui s’offre à moi. Et ce coup de cœur s’est transformé en quasi-obsession pour tout ce qui touche à ce pays. Entre deux voyages, je me console à Paris avec de bons restaurants, des expos, voire des séries comme « Tokyo Vice ». Le hasard a d’ailleurs fait que mon petit frère qui vient de passer un an au Japon m’a appelé il y a quelques jours pour dire qu’il ne rentrerait pas. Et comme il a une petite amie japonaise, nos liens avec ce pays vont encore se resserrer. Nous allons certainement y retourner encore plus régulièrement.

 

En 2023, j’ai reçu de nombreuses insultes et surtout des menaces de mort

IN. : et votre coup de colère ?

A.A. : avoir dû porter plainte pour menaces de mort à caractère antisémite en avril 2023. Cela m’a fait un choc parce que je ne peux pas dire que j’ai connu l’antisémitisme autrefois. À l’école, on se moquait un peu de mon prénom, on m’appelait « Azraël, le chat de Gargamel » (ndlr dans les Schtroumpfs). Mais cela n’allait jamais bien loin.  Je me souviens, à la grande époque de « Touche pas à mon pote », j’avais un copain, Rachid qui portait la panoplie complète de Yasser Arafat et des leaders de l’OLP, mais à aucun moment nous ne nous insultions et avons essayé d’importer le sujet.

Mais en 2023, j’ai reçu de nombreuses insultes et surtout des menaces de mort : « tu es un rat au nez crochu, on va te brûler comme tous les Juifs ». L’une d’entre elles était très longue, deux pages et demie. Et là je me suis dit qu’il fallait porter plainte. Ce que j’ai subi a été violent, j’ai ressenti à la fois de la douleur et de la colère. Menacer quelqu’un de mort ça n’a pas de sens et cela l’est encore moins parce qu’il est juif. La police n’a pas trouvé l’auteur mais cela m’a fait du bien de porter plainte.

 

J’ai été appelé en 2000 en tant que juré à assister à deux procès d’assises pour crimes et à prononcer une condamnation

IN. : l’événement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

A.A. : c’était il y a plus de 20 ans mais j’y repense encore souvent. Cela a été une expérience très dure et en même temps très enrichissante. J’ai même écrit une nouvelle à ce sujet qui s’appelle « Mesdames et messieurs les jurés, levez-vous ! » dans un recueil que j’ai co-écrit avec Benoît Volatier en 2001 « Souriez, vous êtes mesurés ». J’ai été appelé en 2000 en tant que juré à assister à deux procès d’assises pour crimes et à prononcer une condamnation. Le 2e procès m’a hanté pendant longtemps. « L’Affaire Choukroun » avait été très médiatisée à l’époque. C’était un homicide particulièrement révoltant sur une femme policière en exercice et qui revenait de congé maternité. Un acte gratuit par excellence. Il y avait trois prévenus, qui avaient tous des casiers judiciaires énormes. C’était très éprouvant, on a dû écouter des dizaines de témoins, dont la majorité avait passé plus de temps en prison que dehors. Avec mes collègues jurés nous devions sortir du tribunal de Paris par des souterrains pour ne pas prendre la porte d’entrée. Ensuite nous sommes restés enfermés plus de 9 heures pour délibérer, dans une pièce dont on ne pouvait sortir, sauf pour aller aux toilettes, accompagnés par un garde. Pas évident ces 9 heures de discussion entre des personnes différentes : certaines qui n’ont pas la capacité intellectuelle de comprendre ce qui se passe, d’autres qui n’ont rien suivi, ou qui ne parlaient que de peine de mort ou bien qui répétaient en boucle que c’était la société qui les avait abîmés…

 

Je vais même vous confier un petit secret de fabrication pour faire un bon bœuf bourguignon

IN. : votre rêve d’enfant

A.A. : ce n’est pas vraiment un rêve d’enfant, mais de jeune adulte : la cuisine. Je me voyais bien devenir cuisinier ou pâtissier. C’est je pense, assez convenu aujourd’hui avec toutes les émissions sur le sujet, ça l’était beaucoup moins dans ma jeunesse. À l’époque, les métiers manuels, ce n’était pas vraiment la voie royale… J’ai gardé un vrai plaisir à passer des heures, voire des jours en cuisine pour le plaisir partagé d’une bonne recette : des madeleines, une pavlova, un bon bœuf bourguignon… Je vais même vous confier un petit secret de fabrication : j’ai trouvé une optimisation du bœuf bourguignon en y ajoutant du miso noir – lien avec le Japon – il prend alors une autre dimension plus fumée, comme s’il avait confit… Et comme tous les maniaques de la cuisine, qui se plaignent de ne jamais avoir la bonne râpe, ou le bon couteau, je passe une partie de ma vie à chercher les meilleurs ustensiles (rires) dans les boutiques spécialisées.

La deuxième édition de l’un des livres que j’ai co-écrits avec Benoît Volatier « Évaluez vos actions de communication » a d’ailleurs été préfacée par le célèbre chef pâtissier Philippe Conticini. Et il explique très bien que dans la pâtisserie il y a le temps de l’exploration et de la création, mais si le Paris-Brest est toujours aussi bon tous les jours c’est parce que la recette a été respectée au gramme près, c’est à dire que la reproduction de la performance ne peut pas se passer de mesures. Ce qui est génial par rapport à mon métier !

 

La vie associative, c’est la journée, le soir, le week-end

IN. : votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

 

A.A. : sans hésiter, ma capacité depuis plusieurs années, grâce à mes mandats associatifs (ndlr président des alumni du Celsa, co-président de l’Association nationale des Communicants ), à aider ma communauté, à transmettre ce que j’ai appris, partager mes expériences, soutenir les jeunes générations, connecter des gens, les aider à trouver parfois un job, sans compter mes heures, sans savoir dire non. Et j’avoue que c’est assez plaisant dans la vie d’être la solution, ou d’être à portée de main de la solution de quelqu’un. La vie associative, c’est la journée, le soir, le week-end, mais l’un des éléments qui me fait continuer est qu’à titre personnel il n’y a rien de plus enrichissant que d’être utile à quelqu’un.

Je pense que je ne dois pas avoir d’oreille

IN. : votre plus grand échec ? (idem)

A.A. : Sincèrement, j’ai beaucoup de mal à considérer les situations mêmes très difficiles comme des échecs. J’ai plusieurs tatouages (scoop !). Sur l’un est écrit « l’espoir dans l’inconnu » – une phrase tirée d’une chanson peu connue de Téléphone, « Les Dunes » – et c’est l’écriture de ma fille qui a été utilisée. Elle a d’ailleurs le même tatouage, mais avec mon écriture. On a fait cela ensemble, il y a 6/7 ans… J’ai fait tatouer cette phrase car un échec génère de l’inconnu et le plus souvent un apprentissage. Alors est-ce encore un échec ?

En revanche, j’ai quelques regrets bien sûr. J’ai essayé d’apprendre le piano depuis l’âge de 7 ans. Je m’y suis remis au moins 4 fois dans ma vie et franchement je suis un piètre pianiste. Je dois avoir un vrai blocage parce que j’ai tout fait comme il faut :  conservatoire quand j’étais jeune, Schola Cantorum plus tard, puis j’ai arrêté, je m’y suis ensuite remis tout seul. J’ai trouvé un prof de jazz. Mais hélas… J’aurais rêvé avoir cette corde à mon arc et je ne l’ai pas, voilà. Je pense que je ne dois pas avoir d’oreille car je ne suis pas très bon en langue étrangère non plus. Ma première langue vivante c’est le russe que j’ai appris en 6e. Et c’est pareil, je n’y arrive pas. Et pourtant la langue et la littérature russe me passionnent. J’ai même l’œil de Dostoïevski tatoué sur mon bras (deuxième scoop !). J’ai repris des cours après le bac, je me suis réinscrit à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales). Mais je suis toujours mauvais. Ce n’est pas la volonté qui manque, pourtant je tente et je retente, mais le résultat est complètement à côté de la plaque (rires). Un jour, je me remettrai au piano et je casserai les oreilles de ma femme (nouveaux rires).

Quand j’ai fait mes études de philo à l’École des hautes études en sciences sociales, j’avais un prof de sociologie très connu à l’époque, Jean Baechler, un vieux monsieur proche de Raymond Aron qui nous disait toujours : « tant qu’on apprend on est jeune ». Alors je me dis que si je devais, vingt fois sur le métier remettre mon ouvrage pour le piano et les langues, ce serait une forme de maintien de ma jeunesse. Je suis content d’apprendre, y compris les trucs que je n’aime pas.

 

IN: le son/ le bruit que vous préférez.

A.A. : sans hésitation le ronronnement de ma petite chatte Taïsu, qui a une vraie tête de chouette avec ses oreilles rabattues. Vous pouvez la suivre sur Instagram « taisu.a.paris ». Je sais qu’il y a eu des recherches sur la vibration des ronronnements qui apparemment produisent des ondes très particulières apaisantes pour les êtres humains. Et c’est vraiment le cas avec elle.

Revenir sur terre en tant qu’acacia me rassure

IN: Si vous deviez mourir et revenir en tant que personne ou chose, qu’est-ce que ce serait ?

A.A. probablement un acacia – autre tatouage sur mon bras (encore un scoop !)… On peut passer sa vie à analyser cet arbre et le symbolisme qui s’y rattache.

C’est vraiment l’arbre de la vie, de la mort et la régénérescence. Il est rempli de symboles. On raconte que l’arche de l’alliance était faite en bois d’acacia donc c’est aussi un sujet biblique symbolique contemporain. Et puis, il peut vivre très longtemps, dans un milieu qui peut être très hostile et très aride. Donc revenir sur terre en tant qu’acacia me rassure. (rires)

Georges Brassens a eu le malheur, ce garnement, de mourir le jour de mes 11 ans !

IN. : quelle personnalité (disparue) emmèneriez-vous sur une île déserte ?

A.A . : j’irais plutôt avec des gens qui peuvent raconter des histoires, donc plutôt des chanteurs ou auteurs, qui ont la capacité, à partir de ce qu’ils vivent, d’avoir une conversation qui va se renouveler. Ensuite, je me dis qu’il faut quand même quelqu’un qui soit capable de proposer un regard décalé et un peu drôle sur ce qu’on va vivre. Je ne choisirais pas par exemple Cioran ou Schopenhauer qui plomberaient l’atmosphère… Donc j’emmènerais bien Boris Vian, parce que je pense qu’il serait assez complet. On ferait peut-être des chansons ensemble, on se raconterait des histoires, on écrirait des livres… Chaque jour serait nouveau.

Il y a une autre personnalité que je pourrais emmener, c’est Georges Brassens. Il aurait bien sûr la capacité à embellir notre quotidien. Mais en fait, j’ai un rapport très personnel avec lui. J’ai en effet vécu très longtemps quand j’étais jeune dans le 14e, à 100 mètres à vol d’oiseau de sa rue. Et il a eu le malheur, ce garnement, de mourir le jour de mes 11 ans, le 29 octobre 1981, j’ai failli d’ailleurs vous répondre que c’était l’événement marquant de ma vie. Depuis, à chaque anniversaire, j’ai une pensée pour lui. Je me dis que ça le rend éligible pour venir sur une île déserte, il me doit au moins ça !

 

 

*lancé en mars 2024 avec  l’agence Brainsonic

** l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’« À la recherche du temps perdu »

 

 

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