22 juillet 2024

Temps de lecture : 6 min

« Il n’y a jamais eu un documentaire sur les coulisses des Jeux olympiques, c’est la première fois », Jules et Gédéon Naudet

À quatre jours de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris 2024, France 2 et France.tv diffusent ce soir, en prime-time, les deux premiers épisodes de la série documentaire Au cœur des Jeux (5 épisodes). Une immersion à l’intérieur de l’organisation et du déploiement des Jeux de la XXXe Olympiade, comme vous ne l’avez jamais vu, à travers l’engagement de tous ceux qui travaillent ou participent à cet événement planétaire. Une série événement réalisée par Jules et Gédéon Naudet, connus pour leurs documentaires sur les attentats de New York du 11 septembre 2001 et du 13 novembre 2015 à Paris, et produite par Elephant. Rencontre avec les frères Naudet qui nous racontent les dessous de la fabrication de ce documentaire inédit et humaniste avec leur regard de témoins privilégiés.

Paris 2024

INfluencia : depuis plusieurs mois vous filmez de l’intérieur la préparation des Jeux olympiques et paralympiques, vous êtes-vous pris aux Jeux ?

Jules Naudet : effectivement, nous avons attrapé la fièvre des jeux. Nous n’avons jamais assisté aux Jeux olympiques, nous les avons regardés de temps en temps à la télévision mais de découvrir ce que sont les Jeux, les messages qu’ils portent mais aussi notre mission, nous sommes totalement dedans. C’est vrai que nous sommes devenus un peu des caricatures quand nous dînons chez des amis, mais nous leur disons combien c’est un moment particulier qui va être historique, qu’on assiste aux compétitions ou pas ! Ce que nous avons vu à travers le passage de la flamme, les sites, Paris, et en ayant parlé à beaucoup de gens qui ont fait d’autres olympiades, il y a une magie et une fièvre dans l’air de ce que représentent les jeux. Quitter Paris à ce moment-là va être une erreur, il faudra être là, il va se passer des choses partout en dehors des sites de compétition, c’est totalement improbable, il y a des gens du monde entier qui vont se retrouver et ça va être très beau et très fort. Demain, nous allons tous dire à nos enfants et nos petits-enfants j’y étais, ça fait quand même 100 ans qu’on n’avait pas eu les Jeux. Il y a des gens qui ne réalisent pas encore combien c’est une chance d’avoir les jeux en France. En fait, nous allons ressentir cette énergie que nous rencontrons lorsque nous sommes dans un stade par exemple à Roland Garros ou au Stade de France. Même si on n’est pas vraiment des sportifs, on est pris dans cette espèce de ferveur, c’est comme un gospel dans une église, là ça va être au niveau d’un pays entier, ça va être complètement dingue ! Et nous, nous avons l’impression d’être déjà connectés à cette énergie !

IN : vous évoquez une énergie positive, à contrario ne ressentez-vous pas une énergie négative ?

J. N : oui, je dirai avant l’arrivée de la flamme, on a entendu des inquiétudes, notamment dans la presse, les gens se sont demandé comment ils allaient aller au boulot, comment prendre le métro, se rendre dans certains endroits. Mais Sébastien Coe, organisateur des Jeux de Londres en 2012 nous avait dit que c’était la même chose à Londres, tout le monde se plaignait sur les métros, les travaux dans la ville… mais que dès que la flamme est arrivée, ça a changé. Dans ce moment particulier que traverse la société, le monde a besoin de cette dose que seul le sport peut apporter. Je me souviens toujours de ce que disait Harlem Désir à la Coupe du monde en 1998, gagner en finale a fait plus contre le racisme que lui dans toute sa carrière, c’est la magie du sport. En plus, nous espérons tous que la France gagnera assez vite des médailles, ça fera du bien à tout le monde.

IN : vous avez lancé votre projet avec Paris 2024 il y a plus de trois ans. Comment avez-vous travaillé la narration de ce documentaire ? Avez-vous écrit le récit en amont du tournage ?

Gédéon Naudet : non, d’abord nous n’aimons pas écrire en amont, nous avons des idées, mais notre travail consiste à découvrir et trouver des personnages qui vont raconter cette histoire. Comme le dit toujours Jules, plus un événement est énorme, plus il faut le raconter au niveau d’individus.

J.N :  nous avons découvert 80% des situations et des gens quand nous sommes arrivés fin février. Nous ne pouvons pas savoir en amont ce qui va être intéressant à filmer, ce qui est visuel, ce qu’il ne l’est pas, si les gens sont déjà en place, ni même nous baser sur d’autres Jeux olympiques, ceux de Paris sont tellement uniques ! Par ailleurs, ce tournage est très différent de nos autres documentaires qui s’appuient sur des événements passés. Là, nous ne voulons pas nous enfermer, nous mettre des œillères, nous nous laissons porter dans le récit, par ce qui se passe au quotidien.

IN : vous dites raconter cette histoire au niveau d’individus. Vous travaillez en quelque sorte comme des sociologues…

J.N : nous sommes un peu des voyeurs qui observent et en même temps racontent une histoire à travers des personnages qui nous intéressent, nous passionnent, nous inspirent, c’est un regard sur la société. Nous essayons de montrer de façon différente les coulisses des Jeux, qui n’ont jamais été montrées. Il n’y a pas un livre sur comment les jeux sont organisés ni même un documentaire, c’est la première fois. C’est un projet d’autant plus ambitieux que nous ne pouvons pas être partout et avoir 40 caméras qui filment. Nous devons donc faire des choix, certains marchent d’autres pas, mais nous assumons.

N : ce projet a t-il fait évoluer votre approche du documentaire ?  

G.N : nous n’avions pas filmé le direct de cette façon depuis les événements de New York il y a 23 ans.

J.N : c’est totalement nouveau et en même temps intéressant avec plus de vingt ans d’expérience et de travailler aux côtés des professionnels d’Elephant. Ce qui nous intéresse en tant qu’artistes est de continuer à évoluer, à apprendre, se mettre en danger, se pousser à réfléchir, à s’appeler à 2h du matin pour se dire comment on va filmer telle ou telle scène, c’est génial… On se remet en question en permanence.

IN : le choix de travailler avec la société de production Elephant, une évidence ? Aviez-vous fait un appel d’offres ?

G.N : on ne peut pas dire assez de bien sur la qualité des gens, des producteurs aux monteurs, aux assistants, c’est un énorme plaisir de travailler avec eux.

J. N : il y a eu en effet un appel d’offres, Elephant remplissait un certain nombre de cases et correspondait très bien à ce que nous attendions, nous apprécions sa rapidité de réaction qui s’est vue à travers son documentaire tourné peu avant la guerre en Ukraine. Mais pour nous, il y avait aussi le côté humain. Nous allons passer tellement de temps ensemble, à être dans des moments de challenge, des moments de stress, qu’il faut bien s’entendre humainement avec les équipes.

IN : vous êtes nés tous les deux en France mais vous vivez aux Etats-Unis depuis plus de trente ans, quel regard « américain » apportez-vous sur ce tournage en France ?

G.N : nous sommes toujours comme des touristes, enchantés de découvrir de nouvelles choses.

J. N : nous ne sommes pas blasés par la France, nous avons cette fascination et la fierté d’être là. La beauté de Paris, l’envie de se perdre dans ses rues, la culture et la passion de l’art diffère aux Etats-Unis, cela nous touche toujours. C’est ça que nous mettons en valeur. Nous sommes ces touristes toujours émerveillés.

IN : comment montrez-vous l’aspect culturel et social ?  

G. N : ce sont des vignettes, par exemple quand la flamme passe dans tous ces villages, toutes ces villes, tous ces lieux, c’est une peinture de la France. À travers les porteurs de la flamme, c’est aussi un portrait de la France et des Français.

J.N : à travers les gens que nous choisissons de filmer, la chef de chantier, l’architecte, des bénévoles, des athlètes mais aussi les équipes au sein de Paris de 2024 qui représentent la France. Il y a une certaine diversité qui est montrée naturellement dans ces Jeux qui s’engagent pour la parité et la diversité. Nous voulons à travers notre série documentaire divertir les gens, les inspirer mais aussi leur montrer les milliers de personnes sans lesquelles aucune olympiade ne pourrait avoir lieu. Nous souhaitons donc célébrer toutes ces Françaises et ces Français qui apportent chacun leur petite pierre à cet édifice fou et qui se prennent aux défis de ces Jeux.

IN : après un tournage de plusieurs mois, qui va se poursuivre pendant les Olympiades, y-a-t-il un moment qui vous a plus marqué ?

G.N : ce n’est pas un moment, ce sont des gens. Nous sommes autant américains que français mais vivant aux Etats-Unis depuis trente-cinq ans, l’optimisme fait partie de notre « DNA » (ADN), on peut parler d’insouciance mais pour nous c’est de l’optimisme. En France, beaucoup de gens sont à l’apposé de cet optimisme d’enfant que nous pouvons trouver de l’autre côté de l’Atlantique, ils sont plus dans la critique et le questionnement. Or, rencontrer des gens parmi Paris 2024 et sur les chantiers et, voir leur volonté de relever ce pari fou nous apporte de l’optimisme au quotidien. Ils ont l’esprit même de l’athlète qui va tout donner même s’il sait qu’il y en a quinze autres qui sont meilleurs que lui. C’est cet esprit qui nous nourrit. Ces personnes sont des fusées pour nous ! Nous avons l’impression d’avoir été parachutés dans le village d’Astérix et Obelix autour duquel il y a les pessimistes qui se cachent derrière l’expression « ce n’est pas réaliste » mais nous, nous sommes avec ceux qui disent c’est possible.

J.N : ce côté tout est possible nous parle en tant qu’Américains, il suffit de se lancer ! De tous les gens qui touchent aux Jeux de près ou de loin, c’est l’audace toujours l’audace comme disait Napoléon.

IN : le contexte marqué par la dissolution de l’Assemblée nationale est particulier en France ces dernières semaines. Traitez-vous de l’actualité dans le documentaire ? Êtes-vous libre de poser vos caméras partout ?

J.N : nous suivons l’actualité que si elle a un impact sur les Jeux, seulement à travers le point de vue des personnages. C’est un moment important et historique que nous sommes en train de vivre, cela arrive dans cette temporalité. Nous sommes autorisés à aller partout, il n’y a eu aucune censure.

G. N : ce sont les personnages que nous suivons qui nous en parlent.

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