12 mars 2025

Temps de lecture : 9 min

IA vs intelligence humaine : pourquoi nos 27 émotions restent inimitables encore aujourd’hui ?

Dans leur cahier de tendances conçu par O3, le hub stratégique et créatif du groupe Oxygen, Elodie Barlow, Directrice Pôle Conseil Stratégique chez OXYGEN et Karine Mast, expert planner démontrent la puissance d'un message lorsqu'il est déployé grâce aux 27 émotions, nuancier exclusivement humain, que l'IA n'est pas en mesure d'imiter. Du moins, pas encore...

INfluencia : quel est votre domaine d’expertise ?

Elodie Barlow : le Cahier de Tendances a été conçu par O3, le hub stratégique et créatif du groupe Oxygen. Nous apportons aux marques et aux dirigeants des solutions de communication concrètes pour résoudre leurs problématiques business. Que nous traitions un problème de perte de parts de marché, la nécessité d’aligner les collaborateurs ou encore une difficulté à recruter, quelle que soit la problématique, notre conviction est que la communication doit servir le progrès. C’est- à-dire contribuer à atteindre un idéal qui transcende la notion de performance. Il est temps de repenser la communication pour retrouver sa pleine puissance transformative.

IN. : les annonceurs sont-ils ouverts à votre savoir-faire ?

E.B : heureusement, ils le sont. Nous accompagnons des acteurs de la santé, de la food, de l’énergie, de l’éducation.. ce sont des secteurs qui sont très en phase avec cette notion de progrès,  au-delà de la performance. Notre cahier de tendances démontre que les émotions et l’humain sont un puissant moteur, au cœur d’une démarche de communication axée vers le progrès. Par exemple, nous avons pu définir la raison d’être de Vivien Paille comme les ‘bienfaiseurs du végétal’, un terme qui capte toutes les nuances de leur positionnement. C’est en passant par un prisme humain, voire humaniste, et une analyse des émotions en jeu, mises en tension avec les problématiques business que nous avons pu arriver à ce semi-néologisme qui caractérise l’entreprise. C’est une raison d’être qui témoigne bien de cette notion d’un acte de communication qui tend vers le progrès.

La vraie valeur de la communication est dans la créativité… et  la créativité puise dans la complexité du tissu émotionnel humain, ce que nous nous attachons d’explorer dans le cahier de tendances

IN. : l’IA générative fait peur, et fait craindre à beaucoup le grand remplacement de l’homme par la machine. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Karine Mast : nous préférons parler plutôt de complémentarité. Nous ne croyons pas à des entreprises sans travailleurs humains. Quant à des machines dotées d’une conscience, nous avons voulu démontrer dans notre cahier que l’émotion et ses 27 gradients sont le propre de l’humain. Utilisons les ressorts dont nous avons les moyens ! Les émotions offrent une profondeur d’expérience que les technologies actuelles ne peuvent pas complètement reproduire ou remplacer, notamment dans la façon dont elles s’entremêlent avec notre raisonnement pour former notre intelligence unique. Il ne faut pas confondre innovation et progrès. L’IA est une innovation mais elle n’est souhaitable et ne servira le progrès que si elle est correctement utilisée par les humains. Là où l’IA peut nous assister en analysant plus de données et plus rapidement que notre cerveau, elle n’est pas capable d’imagination et de créativité qui sont le carburant de la stratégie.

E.B : ce que l’IA révèle sans détour, et c’est peut être ce qui peut inquiéter certains, c’est que la vraie valeur de la communication est dans la créativité… et  la créativité puise dans la complexité du tissu émotionnel humain, ce que nous nous attachons d’explorer dans le cahier de tendances. Aujourd’hui plus que jamais il est en effet urgent, important et nécessaire de saisir toutes les nuances de nos actions.

K.M : Henri Bergson, célèbre philosophe français du début du 20ème siècle, considère la créativité comme une force vitale essentielle. Dans son œuvre « L’Évolution Créatrice » (1907), il développe le concept d’élan vital, une puissance créatrice qui anime non seulement l’évolution biologique mais aussi l’activité humaine. Pour lui, la créativité n’est pas simplement un talent artistique, mais une dimension fondamentale de l’existence humaine. Pour lui, les humains ne se contentent pas de reproduire, mais ont un besoin intrinsèque de créer du nouveau, de l’imprévisible. La créativité est pour Bergson une manifestation de la liberté humaine, une capacité à dépasser les déterminismes et à inventer constamment. Créer n’est pas un acte passif, mais un acte profondément dynamique qui engage toute la puissance de l’esprit humain.

E.B : de plus, de façon tout à fait inattendue, nous pensons que l’IA va permettre de revaloriser l’expérience humaine intrinsèquement liée au vécu et au ressenti, ces  ‘leçons de vie et de carrière’ … tout ce qui constitue finalement notre intuition, ne sont guère transmissibles à et par l’IA. De quoi redonner de l’espoir aux quadras dans la jungle des agences de communication ! L’IA générative va certainement nous forcer à être beaucoup plus exigeants créativement et à savoir se reconnecter avec ce qui nous rend profondément humains individuellement et nous connecte collectivement mais cela est plutôt une bonne chose non ?

IN. : revenons sur ces 27 émotions. Lesquelles sont-elles ? Qui les a définies ?

E.B : notre cahier de tendances s’est inspiré de l’étude américaine publiée par l’Université Californienne en 2022 intitulée Self-report captures 27 distinct categories of emotion bridged by continuous gradients. Cette recherche novatrice a identifié 27* catégories distinctes d’émotions grâce à des auto-évaluations des participants.

L’étude révèle que les émotions ne sont pas des états isolés mais existent sur un continuum avec des gradients continus entre elles. Cette perspective remet en question les modèles traditionnels qui classent les émotions en catégories distinctes, offrant plutôt une vision plus dynamique et fluide de notre vie émotionnelle.

Pensez-y : vos expériences, vos souvenirs, vos relations – tout ce qui fait de vous un être unique. Une machine peut-elle vraiment saisir cette complexité ? Nous n’en sommes pas sûres.

IN. : qu’appelez-vous l’IA émotionnelle ? Existe-t-elle déjà ?

K.M : ce que nous cherchons à démontrer dans notre cahier de tendances, l’intelligence émotionnelle est profondément humaine. Certes, l’IA émotionnelle présente un potentiel important dans diverses applications. Dans le service client, les assistants virtuels et les chatbots dotés de cette technologie peuvent fournir des interactions plus personnalisées, améliorant ainsi l’expérience des utilisateurs. Les soins de santé devraient également en bénéficier, car l’IA émotionnelle aide à surveiller l’état émotionnel des patients et à fournir des interventions sur mesure. Mais à nos yeux, bien que l’IA puisse détecter nos émotions et y répondre de façon sophistiquée, peut-elle vraiment comprendre ce que nous ressentons au plus profond de nous-mêmes ? Pensez-y : vos expériences, vos souvenirs, vos relations – tout ce qui fait de vous un être unique. Une machine peut-elle vraiment saisir cette complexité ? Nous n’en sommes pas sûres. Une machine peut simuler la joie ou la tristesse dans leurs expressions les plus évidentes, mais qu’en est-il de cette mélancolie douce-amère qui nous étreint devant un coucher de soleil nous rappelant un être cher ?

IN. : ces 27 émotions sont-elles imitables par les IA ?

E.B : l’étude américaine citée plus haut montre que la richesse émotionnelle humaine constitue un rempart quasi instinctif contre la mécanisation des récits. L’expérience humaine authentique se caractérise par des contradictions émotionnelles simultanées que l’IA peine à simuler, des nuances subtiles dans l’expression des sentiments et des transitions non-linéaires entre états émotionnels. Donc à votre question, cela n’est pas encore possible. Du moins pas encore..

La complexité émotionnelle, ancrée dans notre vécu personnel et collectif, constitue une signature profondément humaine que l’IA ne peut qu’approximer.

K.M : ces 27 émotions identifiées existent sur des spectres infinis de gradations et peuvent se manifester simultanément, parfois de façon contradictoire. Nous pouvons ressentir à la fois de l’admiration et de l’envie, de la joie teintée de nostalgie. Cette complexité émotionnelle, ancrée dans notre vécu personnel et collectif, constitue une signature profondément humaine que l’IA ne peut qu’approximer. Là où l’artificiel effleure, l’émotion pénètre, main dans la main avec la raison. Elle tisse des liens invisibles, unit les esprits et déclenche l’action. Authentique, elle résonne avec nos expériences, faisant écho à notre humanité partagée et nourrissant notre réflexion.

IN. : qu’entendez-vous par « une tension entre une communication polarisante, centrée sur des codes de puissance et de provocation, et l’émergence de nouvelles formes d’expression émotionnelle, plus nuancées, capables de tisser des liens profonds avec le public ?

E. B : l’intégration des 27 catégories d’émotions dans notre stratégie chez Oxygen transforme notre approche de la communication. Cette compréhension approfondie nous permet de créer des campagnes et des contenus qui établissent une véritable connexion émotionnelle tout en nuances avec notre public. Cette recherche souligne l’authenticité inhérente à nos émotions. Ce qui nous émeut profondément ne ment pas ; c’est une vérité personnelle qui mérite notre attention. En reconnaissant la complexité des émotions humaines, les marques peuvent développer des connexions plus profondes et durables avec leur public.

K.M : prenons l’exemple de la série « The Crown » et ce que nous appelons la post-créativité ou l’imperfection créative. Cette série Netflix montre comment la créativité contemporaine s’épanouit dans cette zone d’ambiguïté entre histoire et fiction, avec une profondeur émotionnelle que les algorithmes ne peuvent saisir. Ce processus s’éloigne d’une simple restitution factuelle : il s’agit d’une construction artistique qui transcende l’histoire brute. Là où une intelligence artificielle compilerait des données et proposerait une narration linéaire et optimisée, The Crown fait appel à l’intuition humaine, aux nuances et aux non-dits. Ce qui fait la force de cette série, c’est précisément cette capacité à naviguer dans les zones grises de l’émotion humaine, à embrasser les contradictions et les complexités des personnages. C’est dans cette richesse émotionnelle, inaccessible aux algorithmes, que réside la véritable innovation créative d’aujourd’hui – non pas dans la production de contenus toujours plus spectaculaires, mais dans l’exploration subtile et profonde de notre humanité partagée.

L’IA, dans son état actuel, peut parfaitement reproduire  les discours simplistes et binaires, mais elle reste incapable de capturer la vraie richesse émotionnelle humaine

E.B : la communication publique contemporaine semble traverser un moment de contradiction profonde, caractérisé par deux dynamiques apparemment opposées mais significatives. Elle montre comment nous oscillons entre des approches qui réveillent nos réflexes les plus archaïques et d’autres qui nous invitent à une humanité plus complexe et nuancée.

IN : avez-vous un exemple précis ?

E.B : la rhétorique de Trump par exemple représente un langage de confrontation, presque « animal » dans sa simplicité binaire, qui mobilise nos mécanismes de défense tribaux. À l’inverse, les nouvelles formes de communication émergentes proposent un dialogue plus sophistiqué, capable de tisser des liens plus profonds et plus authentiques. Cette tension n’est pas seulement linguistique, elle est existentielle : elle reflète notre capacité à dépasser nos mécanismes de survie pour accéder à des formes de relation plus évoluées. L’IA, dans son état actuel, peut parfaitement reproduire les discours simplistes et binaires, mais elle reste incapable de capturer la vraie richesse émotionnelle humaine.

IN. : que signifie selon vous réhumaniser le contenu, n’est-ce pas dangereux ?

K. M : réhumaniser le contenu signifie replacer l’émotion authentique et la complexité humaine au cœur des récits et des messages que nous créons. À l’ère des algorithmes et de l’automatisation, c’est revenir à ce qui nous touche profondément, à ce qui fait écho à notre expérience vécue.

Embrasser pleinement la palette des 27 émotions et leurs nuances nous expose à la vulnérabilité, à l’imperfection, à l’incertitude. Mais ces « fragilités » sont précisément notre force.

Ce n’est pas dangereux, c’est nécessaire ! Le vrai danger serait de continuer dans une direction où l’efficacité technique prime sur la résonance émotionnelle, où l’optimisation pour les machines supplante la connexion humaine.

E.B : bien sûr, embrasser pleinement la palette des 27 émotions et leurs nuances nous expose à la vulnérabilité, à l’imperfection, à l’incertitude. Mais ces « fragilités » sont précisément notre force. La réhumanisation des contenus nous invite à explorer les zones d’ombre, les ambiguïtés et les contradictions qui font la richesse de notre expérience. Ce n’est pas un rejet de la technologie, mais plutôt une invitation à l’utiliser au service de notre humanité partagée, pour amplifier nos connexions plutôt que pour les simuler ou les remplacer.

IN. : le monde est chaque fois plus polarisé. Musk et Trump, caricaturent la puissance, que peut faire l’IA contre cette simplification bien humaine…

K. M : je ne sais pas si l’IA peut faire quelque chose face à cette polarisation, mais la communication, oui ! Nous continuons à croire au pouvoir d’une communication juste et raisonnée, qui ne cherche pas la manipulation ni les traits grossiers. C’est précisément l’objectif de notre cahier de tendances : montrer et démontrer la puissance d’un message lorsqu’il est déployé avec nuance… Ce qui est loin d’être le cas pour Monsieur Trump.

E.B : dans un monde où les opinions se radicalisent, où des figures comme Musk et Trump incarnent une forme de puissance caricaturale qui outrepasse parfois les droits, nous défendons l’idée que la subtilité et la profondeur dans la communication peuvent encore faire la différence. Notre démarche est à contre-courant de cette époque qui privilégie les raccourcis et les simplifications excessives. Nous sommes convaincues que c’est en réhabilitant une communication nuancée que nous pourrons collectivement sortir de cette impasse cognitive.

IN. : quels sont ces enjeux qui résonnent bien au-delà de la communication ?

K. M : mal utilisée, l’IA peut nous ramener à des modes de communication archaïques, en privilégiant la rapidité et l’impact émotionnel immédiat sur la profondeur et la nuance. Comme toute révolution industrielle et cognitive, l’IA pose d’importantes questions cognitives, existentielles et philosophiques.

E.B : même si les enjeux vont au-delà de la communication, la communication est au centre de ce tournant majeur. Plus que jamais les communicants ont une lourde responsabilité et doivent repenser leurs approches. C’est une des raisons derrière l’écriture de ce cahier de tendances : notre conviction que seule une communication nuancée et fondée sur la créativité peut être source de progrès et de valeur. Le défi est de garder un esprit critique, d’utiliser l’IA comme un outil d’augmentation de notre intelligence collective, sans nous laisser piéger par sa tendance à la simplification.

Karine Mast expert planner stratégique et Elodie Barlow, Directrice Pôle Conseil Stratégique chez OXYGEN

En savoir plus

*Les 27 émotions se répartissent ainsi :

17 émotions positives:

    • Admiration

    • Adoration

    • Amour

    • Amusement

    • Appréciation esthétique

    • Désir Sexuel

    • Etonnement

    • Enchantement

    • Envie

    • Excitation

    • Intérêt

    • Joie

    • Nostalgie

    • Satisfaction

    • Sérénité

    • Soulagement

    • Surprise

10 émotions négatives:

    • Anxiété

    • Colère

    • Confusion

    • Dégoût

    • Douleur empathique

    • Ennui

    • Horreur

    • Malaise

    • Peur

    • Tristesse

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