Twittos, Youtubers, Instagramers et autres blogueurs… Ils sont tous la nouvelle coqueluche des marques, qui manoeuvrent en coulisse pour capitaliser sur leur pouvoir d’influence. Au risque d’en faire les hommes-sandwichs 2.0 ?
Vous connaissez Tidal ? Évidemment… Cette nouvelle interface de musique en ligne, voulue par l’incontournable auteur compositeur interprète Jay-Z, s’est propagée en l’espace d’une semaine dans le monde entier en donnant le « la ». Les artistes les plus influents de la galaxie célébraient la naissance de ce nouvel acteur du streaming et s’en faisaient les ambassadeurs auprès de leurs millions de fans.
Des retombées à moindre coût
S’il est encore trop tôt pour juger de ses retombées business, en termes médiatiques, l’opération aura atteint son but. En quelques minutes, Tidal est devenu le sujet le plus discuté sur les réseaux sociaux et dans les médias classiques. « L’audience de ces influenceurs leur confère un véritable pouvoir de prescription », affirme Pierre-François Canault, co-fondateur de l’agence WTTF, Welcome to the Factory. Un pouvoir sur lequel les marques et leurs agences capitalisent pour recréer de la connivence et de l’engagement. « Les nouveaux influenceurs sont sur les réseaux sociaux. Pour les intéresser et toucher leur communauté, les marques mettent en œuvre des stratégies qui visent essentiellement à en faire des diffuseurs de contenus », indique Pierre Matuchet, directeur général de l’agence Milky et ancien directeur général de Voyages-sncf Technologies.
« En s’appropriant un sujet de conversation plutôt qu’un sujet produit, la marque va remonter assez haut dans sa raison d’être », ajoute Sébastien Genty, directeur adjoint en charge des stratégies de l’agence DDB Paris. Mieux : à la différence de la publicité coûteuse et dont l’efficacité s’effrite, le marketing de l’influence – le bouche à oreille 2.0 – génère des retombées à moindre coût. « La crise et les budgets revus à la baisse ne sont pas étrangers à l’intérêt des annonceurs pour les influenceurs », reconnaît Pierre-François Canault. Des influenceurs dont la popularité est issue d’un processus quasi démocratique. Intronisés par leurs pairs pour leur capacité à produire ou partager un contenu original et pertinent, hors le filtre d’une quelconque institution, leur point de vue fait foi et suscite l’adhésion. « Il n’y a pas d’influence sans crédibilité. Dans un système où chacun a besoin de faire son propre branding, les marques qui souhaitent toucher ses nouveaux influenceurs et capter leur audience doivent respecter l’identité et la personnalité de la personne-média. Pour être digne d’intérêt, la marque doit s’intéresser à ses attentes et à ses besoins, et lui apporter quelque chose qui ne va pas lui être imposé », insiste Sébastien Genty.
Nouveaux ressorts et vieilles ficelles
Un message qu’il peut s’approprier, décliner sur l’ensemble de ses canaux et qui est adapté autant à ses attentes qu’à celles de ses cibles. Un souci trop souvent oublié par les annonceurs et leurs agences qui se contentent de décliner les vieilles recettes de la communication à cette nouvelle cible. « De manière globale, ce sont les marques qui se servent des influenceurs du Net afin d’atteindre leurs objectifs d’image, de notoriété ou business… Mais le schéma n’est pas différent des RP classiques, si ce n’est que le blogueur n’est pas à proprement parler un journaliste. Il n’y a effectivement rien de nouveau sous le soleil, et souvent les annonceurs ou leur agence RP leur envoient le même communiqué de presse qu’aux journalistes sans prendre en compte les caractéristiques de ces nouveaux influenceurs », avance Grégory Jeandot, fondateur de l’agence de conseil en stratégie digitale Marketing Z, spécialisée dans les réseaux sociaux.
Reste que si les marques se montrent assez peu créatives sur le terrain de l’influence, c’est que certains influenceurs sont devenus de véritables « hommes-sandwichs », des têtes de gondole, « chassés » non tant pour la qualité des contenus produits que pour le trafic et l’audience en volume qu’ils génèrent. « Le blog, les réseaux sociaux deviennent un nouveau support de communication pour la marque. Garant de sa ligne éditoriale, l’influenceur prend le message, le blanchit et le diffuse à ses lecteurs. Ceux-ci n’ont d’ailleurs pas l’impression de voir une quelconque communication de marque derrière chaque article, c’est pourtant très souvent le cas. Neuf blogueurs sur dix ont déjà rédigé un article suite à une sollicitation d’un annonceur… », ajoute Grégory Jeandot.
La monétisation, l’effet pervers de la professionnalisation
Des sollicitations qui ont leur contrepartie : petits ou gros cadeaux, invitations à des événements, avantages en nature… Pour autant, imaginer que la finalité de ces nouveaux influenceurs est d’être couverts de cadeaux par les marques serait une erreur. « Certains blogs sont effectivement pensés comme des attrape-marques. L’annonceur y est brossé dans le sens du poil, et bien souvent il est plus facile de savoir comment faire un partenariat avec le blogueur que de trouver son dernier article… Cependant, rares sont actuellement les blogueurs stars français qui peuvent vivre exclusivement de leurs publications, ce n’est de toute façon pas une fin en soi pour la majorité d’entre eux. Au bout du compte, ce qui va pousser le consommateur à l’achat, ce n’est ni la marque ni le blogueur lui-même : c’est le contenu du message et le produit qui est vendu », poursuit Grégory Jeandot. Reste que la professionnalisation de la blogosphère produit des effets pervers.
Devenus médias, les influenceurs perçoivent très vite les retombées qu’ils peuvent tirer de cette aura. À commencer par la monétisation de l’audience, en mettant en avant le nombre de vues sur leurs sites et les interactions générées par leurs comptes sur les réseaux sociaux. « Les influenceurs les plus actifs/visibles travaillent avec des régies publicitaires comme n’importe quel média, et certaines se sont spécialisées. Et comment parler de monétisation de la blogosphère sans évoquer Teads (ex-Wikio, ex-Ebuzzing), qui place des publicités sur certains blogs en fonction de l’audience ou qui organise la rédaction massive d’articles sponsorisés en rémunérant les blogueurs au CPV (coût par vue) », s’emporte Grégory Jeandot. La stratégie des gros sabots là où le sujet réclame prudence et finesse. Une démarche qui peut très vite se révéler contre-productive.
Pour influencer, un influenceur doit non seulement capter la confiance de l’influencé, mais aussi instaurer une relation sur un temps long. « Quelle est la pertinence d’un contenu qui a été repris et relayé sur des centaines de blogs ou de plateformes ? interroge Pierre Matuchet. C’est de plus en plus compliqué pour les marques de produire des contenus originaux et pertinents. Aujourd’hui, compte tenu de la difficulté d’émerger liée aux problématiques de référencement, il semble plus pertinent de bâtir des plateformes de marque du type TripAdvisor ou Airbnb, où c’est l’intelligence collective, la multitude des avis exprimés, qui influence les choix. » Remonter l’information plutôt que la redescendre. Un vrai changement de point de vue.
Article tiré de la revue N°13 consacrée à « l’influence »
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