Depuis une dizaine d’années Sixième Son étudie les pratiques en matière de musique des grands secteurs d’activité. En ce début 2013 l’agence s’est intéressée à la grande distribution, les cosmétiques et parfums et les banques/assurances, au travers de plusieurs critères : l’univers musical et sonore de la marque est-il identifiable ? Dispose-t-elle d’une identité sonore distinctive et forte en personnalité ? L’exploitation musicale et sonore est-elle cohérente entre ses différents supports et dans le temps ? L’univers musical est-il de nature à mieux connaître le positionnement de la marque, à la valoriser ? Chacun de ces critères est évalué de 0 à 5 pour donner à chaque marque, une note globale sur 5.
Le Secteur Bancaire
Sixième Son a étudié une vingtaine d’acteurs du marché: AXA, Banque Palatine, Banque Populaire, Banque Postale, Barclays, BforBank, BNP Paribas, Boursorama, BPE, HSBC, CIC, Caisse d’Epargne, Crédit Agricole, Crédit Coopératif, Crédit du Nord, Crédit Mutuel, Fortuneo, Groupama, ING Direct, LCL, Monabanq, Société Générale.
Première constatation : pendant longtemps, on a assisté à une dichotomie entre ceux qui pensaient que la banque et la finance devaient s’acheter comme de la lessive, et ceux qui avaient une posture plus statutaire et grandiloquente. Depuis 10 ans, ce secteur a fait d’énormes progrès qualitatifs et quantitatifs en ce qui concerne l’utilisation de la musique. Les poncifs de la musique classique grandiloquente ne sont plus utilisés.
Deuxième remarque : certaines banques ont adopté une création originale et une mécanique identitaire très spécifique mais il y a peu d’adaptation aux univers et promesses de la marque. Ainsi la Caisse d’Epargne parle d’une « Banque nouvelle définition » mais son identité sonore est triste et nostalgique. Elle ne véhicule pas du tout les valeurs de nouveauté et de renouvellement. « Seuls le Crédit Mutuel et AXA proposent un système sonore ayant du sens, en cohérence avec leurs valeurs », constate Michaël Boumendil, président de Sixième Son.
Troisième commentaire : on assiste à l’émergence d’une nouvelle tendance de reprises populaires à tendance populiste, un peu caricaturales rappelant les années 1980. (Ex : Groupama et LCL).
M. Boumendil conclut que, malgré d’énormes progrès récents, le secteur peine à proposer un territoire sonore en cohérence avec ses valeurs et promesses de marque, et il continue de déstabiliser les consommateurs avec des identités sonores parfois très classiques et souvent peu adaptées à la promesse de la banque.
Et les notes attribuées aux élèves sont 1,2 pour Monabanq, 1,5 pour le Crédit Agricole, 1,8 pour le Crédit Coopératif, la Banque Palatine, Boursorama et Crédit du Nord. Suivent Barclays avec 2,1, Caisse d’Epargne, BNP, Fortuneo et Société Générale avec 2,2. Ensuite BPE (2,3), ING Direct (2,4), HSBC, Groupama et LCL (3), Banque Postale (3,2), Banque Populaire (3,5). Puis en tête AXA , BforBank , CIC et le Crédit Mutuel : 3,8
La Grande Distribution
Sixième Son a étudié à la loupe le système sonore de plusieurs enseignes de grande distribution française et étrangères : Casino, Carrefour , Auchan, Intermarché, Netto, Cora, Monoprix, Leader Price, U, E.Leclerc, Match, Simply Market, Tesco et Walmart.
Au total, un bilan globalement mitigé. Que constate t-on?
Il n’y a quasiment aucune musique en TV et radio où les publicités de ces enseignes sont pourtant nombreuses
Les sites internet sont rarement sonorisés ou bien de manière anecdotique
Il existe un manque global de cohérence musicale.
Les systèmes sonores ne créent pas de valeurs, sont incomplets et peu lisibles.
Il règne une certaine schizophrénie et des parti pris simplistes et manichéens, avec des « sauveurs agressifs du pouvoir d’achat contre des gentils défenseurs du consommateur ». Les défenseurs ont tendance au populisme et passéisme. « Auchan et Carrefour sont ainsi nostalgiques des 30 Glorieuses. Intermarché et U de leur côté disposent d’identités sonores historiques mais qui n’évoluent pas », commente M. Boumendil.
Au total, des notes qui vont de 1,5 pour Casino, 1,8 pour Auchan, 2,1 pour E. Leclerc, 2, 6 pour Carrefour et 3, 2 pour Intermarché et 3,4 pour U. Et un marché de la grande distribution qui « semble être celui au sein duquel les enseignes peinent le plus à se façonner une identité sonore cohérente et différenciante. On assiste à un manque général de sens et de modernité, avec une présence quantitative d’un territoire musical mais rarement qualitative : tous les points de contacts sont concernés mais sans cohérence », conclut Michaël Boumendil,
Parfums et Cosmetiques
Dernier secteur étudié dans ce cru de janvier et sous le microscope : Dior, Chanel, Guerlain, Cartier, Paco Rabane, Nina Ricci, Balanciaga, Prada, kenzo, Givenchy, Hugo Boss, Calvin Klein, Diesel, Jean-Paul Gaultier, Azzaro, Yves Saint-Laurent et Fendi.
Dans cet univers les marques oscillent toujours entre suivi des tendances et prises de postions identitaires, ce qui ne leur permet pas toujours de s’affirmer clairement sur le marché.
Parmi les grandes tendances observées :
Les codes sonores sont très forts et empruntés à l’univers du luxe : on constate peu d’imagination de la part des marques et aucun territoire musical identitaire
Deux tendances musicales sont omniprésentes : le retro-chic versus l’electro-rock rebelle. Soit les marques jouent la carte de l’intemporel et du luxe à la française via des arrangements orchestraux : Billie Holiday pour Chanel, Singing in the rain pour Guerlain, Gainsbourg, Nina Simone, Schubert… Soit elles s’adressent a une clientèle plus jeune qui recherche des musiques tres impactantes : Justin Timberlake chez Givenchy, Julian Casablancas chez Azzaro, The Kills pour Fendi, Jared Leto et les MightyMetronoms pour Hugo Boss, Depeche Mode pour YSL, les Chemical Brothers chez Paco Rabane
Une tendance au plagiat général et une surexploitation de valeurs musicales très sûres
L’utilisation des mêmes artistes qui se retrouvent sur des publicités concurrentes. L’imaginaire associé à un musicien tel que Gainsbourg par exemple se retrouve surexploité. Résultat : aucune différenciation.
Un grand écart entre imaginaire féminin et masculin et une véritable schizophrénie : par exemple, Givenchy exploite la tendance rétro pour ses parfums féminins et rebelle pour la cible masculine, quitte à brouiller définitivement son territoire de marque
Quant aux notes, l’agence refuse d’en donner. « Seule la marque Kenzo pourrait en recevoir une, les autres sont trop éloignées des critères de notation », souligne Michaël Boumendil,
Que conclure de cette enquête? Pour Michaël Boumendil, dans l’ensemble, on constate un manque de maturité de ces marchés en termes d’identité sonore, même s’il existe une « intention quantitative croissante des marques sur la musique ». Les bonnes pratiques progressent mais encore trop faiblement. Aux bons élèves de chaque secteur de commencer à faire école pour les autres marques.
Isabelle Musnik