Depuis vingt ans, ne cesse de monter autour de nous une tension, une inquiétude, sur notre capacité collective à transformer nos modes de vie et de consommation d’une part et la sincérité des acteurs économiques à encourager cette transition écologique et sociale que chacun sait désormais urgente. Au-delà des positions souvent radicales, des propos haineux, sur les réseaux sociaux, je sais dans le quotidien de mon métier, les questionnements et les peurs que nous partageons tous aujourd’hui.
Dans la confrontation des points de vue (on va dire cela comme ça) se cache une perception très différente du temps qu’on a. L’emballement de la crise climatique génère, pour les plus attentifs, une véritable panique exacerbée par le sentiment de paralysie ou tout au moins d’extrême lenteur de notre société à se réformer en profondeur. Dans ce contexte, ce tiraillement, ce sentiment croissant de défiance face à l’avenir, le secteur de la communication est interpellé. La publicité n’est-elle pas, le reflet d’une société qui ne change pas vraiment ? Immuable dans le paysage, elle continue à véhiculer des images de bonheur et de confort alors que nos concitoyens ne croient plus en la promesse d’un avenir meilleur. Pour beaucoup elle est le vestige d’une société dépassée.
Pour les décroissants la pub est devenue le veau d’or à abattre
La publicité est devenue point de fixation. Pour les décroissants, elle est, depuis longtemps, le veau d’or à abattre. Idole moderne de la société de consommation associée à la gabegie, la course en avant du « toujours plus », l’opium du peuple à rééduquer. Pour d’autres, elle n’est que l’outil neutre de l’économie de marché et de la liberté d’entreprendre, le support clair et identifiable des messages des marques, des entreprises, des institutions et des associations qui rend public une offre, un produit, un choix. Dans cette bipolarisation du débat, il devient laborieux de trouver une voie intermédiaire, celle du débat et de la réforme.
Des publicitaires à la fois fiers et inquiets de voir leurs affiches dans la rue ou leur film à l’écran.
Notre secteur travaille depuis des années à l’amélioration de ses pratiques. Les communicants sont par nature à l’écoute des mouvements et des aspirations de la société. Nous partageons pour beaucoup les mêmes constats, les mêmes inquiétudes, le même sentiment d’urgence. Nous ne sommes pas totalement hors sol et mesurons je crois l’énorme responsabilité de notre rôle de conseil et d’interface entre les publics. Nous savons que les images et les mots ont un impact sur les représentations et bien des créatifs se sentent, tout à la fois, fiers et inquiets de voir leurs affiches dans la rue ou leur film à l’écran.
Je suis prêt à travailler sur une nouvelle trajectoire déjà amorcée dans notre secteur.
Mais nous sommes à un tournant. À un croisement plutôt. À un moment de choix pour nous tous qui savons que nous devons changer profondément nos façons de vivre, de produire, de consommer, de collaborer. Pour ma part, je suis prêt à travailler sur une nouvelle trajectoire déjà amorcée dans notre secteur. Le sujet est compliqué. La communication participe à la vie économique de notre pays, de nos entreprises. Elle met en scène la concurrence, la diversité des offres. Elle finance les médias, fait travailler de nombreux métiers de la création, accompagne tous les projets publics et privés. Mais nous devons collectivement nous poser la question de la liberté de chacun. Tant la liberté d’expression de nos clients annonceurs que la liberté des générations futures à vivre elles aussi dans un confort et une sécurité relatifs. Nous devons participer à une réflexion globale sur les résultats du court terme et les possibles privations à long terme. Car il n’y a pas de croissance dans un monde en guerre, sur une planète en surchauffe. C’est notre intérêt collectif de préserver l’avenir. Sans doute devons-nous accepter de nous priver un peu aujourd’hui pour garantir un peu plus à nos enfants demain.
Il nous faut déconstruire les archétypes sociaux que nous avons ensemble façonnés.
Alors comment on fait ? Qui pourra de façon apaisée faire la liste des biens et services que nous devrons cesser de promouvoir puis de vendre et de produire ? Sur quels critères ? Avec quelles garanties d’équité et de probité ? Je ne suis pas un décroissant. Je crois, profondément, que les richesses que nous allons promouvoir seront différentes. Plus collectives, plus immatérielles. Il s’agit de création de valeur. Il nous faut mettre notre talent et nos convictions au service de nouveaux imaginaires. Déconstruire les archétypes sociaux que nous avons ensemble façonnés. Le temps est compté. Notre secteur compte des gens extrêmement brillants et connectés. Sensibles et engagés.
Oui la publicité c’est efficace.
Oui moins promouvoir un produit aidera des alternatives à émerger que nous saurons mettre en lumière et expliciter. Et oui la communication est un des leviers puissants de la transition. Toute innovation, tout changement de comportement, nécessite de la communication. Nous demandons juste un cadre clair. Au plus vite. Parce que, oui, ça chauffe sur Terre. Et qu’on aime tous nos enfants, nous aussi. Nous sommes disponibles pour contribuer à ce nouveau projet de société. Pour ma part, je continuerai à y mettre toute mon énergie.
Sidièse vient de fêter ses vingt ans. Toutes ces années j’ai eu la chance de rencontrer, échanger, débattre avec un très grand nombre d’entreprises, d’associations, de collectivités locales. J’ai la chance formidable d’être entre deux mondes : celui de l’entreprise et celui des acteurs de la société civile. La chance, souvent, de créer des ponts entre eux.