17 novembre 2022

Temps de lecture : 3 min

Geoffrey Carpentier (L’Observatoire de l’Engagement) : « Le rapport de force sur le marché du travail entre les employeurs et les employés s’est inversé »

L’Observatoire de l’Engagement s’est donné pour mission de favoriser les échanges, la veille et l’analyse sur le thème de l’engagement au travail avec l’ensemble des parties prenantes (entreprises, étudiants, professeurs, chercheurs, associations, médias et pouvoirs publics). Sa nouvelle enquête effectuée avec OpinionWay et l’Université de Paris-Dauphine, qui repose sur une étude à la fois quantitative et qualitative, montre que l’engagement des salariés au travail est une question bien plus complexe que certains veulent bien le penser. Le cofondateur de l’Observatoire, Geoffrey Carpentier, nous explique pourquoi...

Cette bonne ambiance est propice au dialogue employé/employeur même si le salaire reste encore un sujet compliqué à aborder pour plus de 4 actifs sur 10.

INfluencia : votre observatoire publie depuis 8 ans, un rapport qui explore les tendances et les impacts perçus par les managers et les collaborateurs en matière d’engagement au travail. Quels sont les principaux enseignements de votre dernière enquête ?

Geoffrey Carpentier : notre enquête bat en brèche l’idée que l’individualisme prend de l’ampleur dans les entreprises. Les questions liées à l’engagement au travail sont beaucoup plus complexes que certains veulent bien le penser. Si 58% des collaborateurs se sentent engagés dans leur travail, l’appartenance à une équipe prend désormais le pas sur celle liée à l’entreprise, pour plus de 8 salariés sur 10.

IN : Votre étude estime également que le climat actuel est propice à l’engagement…

G. C. : effectivement. 8 actifs sur 10 considèrent avoir la disponibilité mentale nécessaire pour s’engager et 70% des sondés estiment que le projet porté par leur entreprise fait sens, particulièrement dans les TPE (78%). Plus généralement, une très grande majorité des actifs (81%) se sent en sécurité (en termes d’état d’esprit) dans son environnement de travail. Cette bonne ambiance est propice au dialogue employé/employeur même si le salaire reste encore un sujet compliqué à aborder pour plus de 4 actifs sur 10. Les sondés jugent en revanche qu’il leur est facile de discuter du contenu des missions et de leur évolution (75%), du rythme de travail (73%) ou encore du lieu où ils souhaitent travailler (70%).

La pandémie a revalorisé le rôle des managers de terrain qui ont été mis à contribution durant les confinements.

IN : cette évolution est-elle liée à la crise sanitaire ?

G. C. : un quart des collaborateurs estime en effet que leur relation avec leur manager s’est améliorée depuis la crise sanitaire et près d’un tiers (29%) prend désormais davantage de plaisir à retrouver ses collègues. Plus d’un quart d’entre eux (26%) affirme même aimer davantage leur travail. Cela explique pourquoi près de 60% actifs se disent très engagés dans leur travail. La pandémie a revalorisé le rôle des managers de terrain qui ont été mis à contribution durant les confinements. Ce sont eux qui ont tenu leurs équipes au quotidien et qui ont assuré le lien avec l’institution qui les emploie. Mais il faut toutefois garder à l’esprit que le Covid n’a pas déclenché de tendance lourde. Il a seulement joué un rôle d’accélérateur de mouvements qui commençaient à apparaître depuis quelques années.

IN : comment se manifeste cet attachement au travail d’équipe ?

G. C. : par une hausse de l’engagement des collaborateurs vis‐à‐vis de leur équipe (21%), de leur travail de façon générale (19%) et de leurs clients (18%). Le petit collectif est particulièrement plébiscité. Le sentiment d’appartenance des collaborateurs profite plus à leur équipe (83% et même, 98% pour les salariés du secteur public ou encore 95% chez les managers) qu’à l’entreprise (78%). La véritable question qu’il faut se poser à la lecture de ces chiffres est de savoir si cette évolution représente une bonne ou une mauvaise nouvelle pour les sociétés.

IN : quelle est votre opinion à ce sujet ?

G. C. : c’est toujours l’histoire du verre à moitié plein ou à à moitié vide. Un plus fort engagement des collaborateurs est toujours une bonne nouvelle pour les entreprises mais la tendance actuelle comporte deux risques principaux. S’intéresser plus à son équipe qu’à sa société représente tout d’abord une sorte de repli sur soi et si les managers de terrain mettent en place chacun de leur côté des solutions individuelles à leurs problèmes, ils risquent de créer une sorte de cafouillage dans leur entreprise.

Le modèle « people first » se démarque, pour sa part, par son agilité et sa capacité à adapter son fonctionnement voire sa stratégie aux compétences et aux attentes des collaborateurs.

In : comment les sociétés tentent d’éviter ces écueils ?

G. C. :  notre étude a repéré parmi les entreprises trois modèles de management différenciés qui constituent des modalités différentes d’articulations entre l’individuel et le collectif. Le modèle « business as usual » est celui où la société a adapté certains processus au télétravail et à la flexibilité. Le modèle « équilibriste » opérant sur des projets moins fédérateurs peine, quant à lui, à concilier les attentes individuelles et le collectif. Le modèle « people first » se démarque, pour sa part, par son agilité et sa capacité à adapter son fonctionnement voire sa stratégie aux compétences et aux attentes des collaborateurs. Choisir le bon modèle est primordial de nos jours car 6 actifs sur 10 envisagent de quitter leur entreprise si jamais une opportunité se présente. Cette proportion est particulièrement élevée chez les moins de 35 ans, les salariés du privé et les employés des PME. Nous vivons actuellement une période charnière. Le rapport de force sur le marché du travail entre les employeurs et les employés s’est inversé. La guerre des talents est une réalité et de plus en plus d’employeurs réalisent qu’ils doivent changer leur mode de fonctionnement pour pouvoir subsister.

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