INfluencia : Arianee, que vous avez co-fondé en 2017, vient de lever 8 millions d’euros auprès du fonds ISAI et de Bpifrance, entre autres. Que fait cette entreprise ?
Frédéric Montagnon : la question de base d’Arianee, c’est de repenser la relation entre les marques et les individus. Quand on regarde bien, en ligne, l’essentiel de la collecte d’information et le ciblage sont faits dans un seul but : permettre aux marques de communiquer. Si on arrive à repenser la façon dont ce lien se fait et à faire en sorte que les marques puissent mieux communiquer avec leurs clients, on arrivera à créer un internet plus respectueux. Arianee s’adresse donc avant tout aux marques, pour les accompagner sur les problématiques de gestion des garanties, de la seconde main ou de l’authentification des produits, et au-delà de ça, repense les liens qu’elles entretiennent avec leurs clients. Concrètement, nous leur proposons de créer une identité numérique pour leurs objets, qui sert ensuite à régler les questions de SAV, de revente d’occasion [comme c’est le cas chez Ba&sh] ou d’authentification, beaucoup plus rapidement. Grâce à la blockchain, on peut enfin créer de l’unicité dans le monde numérique : ça ouvre de nombreuses possibilités.
IN. : un exemple tangible de ces possibilités?
F.M. : notre protocole permet dejà de nombreux cas d’usages, évolutifs, avec une notion d’interopérabilité. Demain, on peut imaginer par exemple des ventes privées virtuelles, dans des jeux, avec des produits qui auront une réalité physique également.
IN. : comment se fait-il que les sujets de blockchain, de tokens et de cryptomonnaies connaissent soudain un regain d’intérêt, alors que ces technologies ont déjà plusieurs années ?
F.M. : lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la blockchain et aux cryptomonnaies, il y a presque 8 ans, les technologies n’étaient pas matures. Pendant longtemps, cela a été un idéal, avec des projets assez basiques, plus qu’une réalité industrielle. Mais depuis trois ou quatre ans, on voit une montée en puissance de ces projets. Aujourd’hui, les technologies sont devenues beaucoup plus applicables et appréhendables, elles ont prouvé leur fiabilité. Les avancées se sont finalement accélérées, tout d’un coup. Mais au-delà de la technologie, ce qui est fascinant, c’est de voir des communautés concevoir et gouverner des systèmes d’information, en distribuant la prise de décision et en faisant le choix de mettre la gouvernance entre les mains des individus et non plus d’un petit groupe de personnes. C’est cela la vraie rupture. Avec la blockchain, tout est une question de gouvernance. C’est d’ailleurs pour cela qu’au départ, Arianee est une association Loi 1901, dont 50% des membres du board sont des marques qui se sont appropriées la technologie et en détiennent des parts, sous forme de cryptomonnaie. Car en fait, Arianee, c’est d’un coté une association qui opère le protocole, en open source, et, de l’autre, une société qui construit des outils qui permettent de se servir du protocole. Les fonds qui ont participé à la levée ont pris une participation dans les deux entités. D’ailleurs c’est la première fois que des fonds comme ISAI et Bpifrance vont avoir une exposition à des cryptomonnaies : c’est une vraie avancée.
IN. quelles sont les marques qui utilisent votre technologies et que font-elles avec ?
F.M. : nous avons fait le choix de travailler en priorité avec le monde du luxe, car c’est un marché mondial, avec des marques qui ont un “reach” global. Il y a peu de secteurs dans lesquels les marques sont distribuées à ce point de manière mondiale. Et puis le marché du luxe a besoin de se transformer, comme toutes les industries, et il est encore loin d’avoir exploité tout le potentiel du numérique. Nous avons commencé à travailler avec le groupe Richemont et plusieurs de ses maisons, dont Vacheron Constantin. Nous travaillons aussi avec Breitling, pour qui nous émettons des NFT (“Non-Fungible Token”) pour chaque montre qui sort de ses ateliers : nous y encodons tout ce qui concerne le modèle avec son numéro de série.
IN. : vous avez utilisé le terme de NFT, pour “Non-Fungible Token”, qui est à la mode en ce moment. Comment l’expliquer simplement ?
F.M. : il y a encore quinze jours, on n’utilisait pas du tout le terme ! C’est pourtant ce que nous faisons, mais c’est un acronyme qui ne parlait à personne. Aujourd’hui, il y a beaucoup de bruit autour des NFT associés à l’art digital, mais du coup, on ne comprend plus grand-chose. Lorsque Jack Dorsey vend le NFT de son premier tweet, c’est avant tout un coup de com pour ceux qui ont participé à l’enchère, rien de plus. Avec la blockchain, il est possible de créer deux types de tokens. Ceux qui sont fongibles, dont deux unités s’échangent indifféremment à une valeur donnée, comme c’est le cas du Bitcoin, et ceux qui sont “non-fongibles” qui ont chacun leur identité propre et unique. Ce sont ces derniers que nous émettons lorsque nous rattachons un objet physique à la blockchain. Nous pouvons donc aussi associer un NFT à un tweet et le vendre, mais cela ne nous intéresse pas vraiment. Nous souhaitons avant tout travailler avec des émetteurs, c’est-à-dire des marques ou des producteurs de biens physiques et peut-être demain les créateurs et les artistes. Représenter la propriété d’un bien réel ou virtuel par un NFT, c’est bien, mais il me semble beaucoup plus intéressant d’explorer ce qu’on peut faire à partir de ça. Par exemple, nous sommes en train de réfléchir avec des marques pour donner accès à des collections en avant-première ou à des défilés numériques. Recréer un peu de rareté et d’exclusivité dans un monde numérique, c’est peut-être aussi recréer l’opportunité d’avoir plus d’attention. C’est là qu’est la valeur.