INfluencia : Quel est l’objectif de cette étude ?
Frédéric Marvillet : L’étude Kantar Media Reactions dont la 3ème édition vient d’être publiée a pour objectif de confronter le point de vue des consommateurs et des marketeurs sur la publicité dans différents formats média et sur différentes marques média. À cette occasion, nous avons interrogé 18.000 personnes et 1000 marketeurs et publicitaires basés dans 29 pays entre le 10 et le 22 juillet 2022. En France, nous avons questionné 500 panélistes âgés de 18 à 65 ans ainsi que 88 marketeurs.
IN : Le principal enseignement de cette étude est le retour en France des marques média françaises…
F. M. : En effet. Dans notre précédente étude dévoilée en 2020, la réceptivité publicitaire des marques média françaises (Le Figaro, Le Monde, Canal+, Cdiscount, Deezer, LeBonCoin et TF1) était en moyenne 4% moindre que celle des marques internationales (TikTok, Spotify, Amazon, Twitter, Instagram, Snapchat et Google). Elle est désormais 28% plus… élevée. Cette progression est portée principalement par Le Figaro et Cdiscount qui gagnent respectivement 6 et 8 places pour rejoindre le top 5 du classement de la réceptivité publicitaire des marques média.
IN : Comment expliquez-vous ce phénomène ?
F. M. : Les marques médias françaises ont réussi leur digitalisation tout en capitalisant sur leur réputation. Une publicité publiée dans Le Figaro et Le Monde est jugée « fiable » et de « qualité », une publicité sur Canal+ « agréable » et « divertissante », une sur Cdiscount sera « utile » et « pertinente », une sur Deezer est synonyme de « qualité ». Le positionnement marketing et l’image des marques média rejaillissent donc par effet de halo sur les publicités et les marques qui communiquent. Avec la pandémie, de nombreux médias se sont renouvelés en accélérant leur digitalisation et en mettant l’accent sur la qualité de leur offre. Les contenus qu’ils diffusent sont aujourd’hui considérés comme utiles et pertinents. La crise sanitaire a eu un effet d’accélérateur sur cette transition.
IN : Les consommateurs semblent, par ailleurs, toujours plus réceptifs à la publicité sur les médias offline même si la TV linéaire est de plus en plus challengée…
F. M. : La pandémie a fait beaucoup évoluer le paysage médiatique dans notre pays. Comme en 2020, les Français perçoivent plus favorablement les publicités qui sont diffusées sur des médias offline, particulièrement celles en point de vente (n°1), au cinéma (n°2) et dans les journaux (n°3). Ces pubs sont mieux acceptées car elles sont jugées pertinentes et utiles (point de vente), agréables et divertissantes (cinéma) et fiables (journaux). Les groupes de presse se sont, quant à eux, digitalisés à marche forcée en développant leurs propres contenus. Ils se sont reposés sur leur ADN et avec le temps, ils ont gagné en expérience et en expertise et ils ont fini par trouver un nouveau « business model ». Certains proposent juste des extraits d’articles gratuits, d’autres ont des contenus uniquement payants. Les gens aujourd’hui sont prêts à payer pour lire un article qui les intéresse s’ils le jugent fiable. Cette notion de fiabilité est extrêmement importante. Notre étude montre toutefois que la télévision dans sa forme la plus traditionnelle apparait en déclin : la TV linéaire souffre désormais d’une réceptivité publicitaire négative alors qu’elle était encore positive il y a deux ans. En comparaison, la TV en streaming a une réceptivité à l’équilibre. Malgré un caractère divertissant, les publicités y sont jugées trop nombreuses et trop répétitives. La TV doit et peut se réinventer, d’autant plus que les grandes chaines (TF1, France TV, Canal+, M6) restent, individuellement, perçues positivement.
IN : Le temps presse pour les chaînes TV car la publicité digitale semble gagner en maturité…
F. M. : Sans aucun doute. Les plateformes digitales sont valorisées par les consommateurs en tant qu’espaces publicitaires pour les marques. Twitch figure en tête de notre Top 5, suivi par Cdiscount(2ème) et Deezer (3ème). Certaines marques s’en sortent particulièrement bien et gagnent des places dans le classement. C’est le cas notamment de Cdiscount (+8 places), Spotify (+2), Amazon (+3) et Google (+3). Twitch possède de nombreuses qualités qui lui permettent de garder un certain avantage sur les autres plateformes malgré un ciblage qui peut paraître excessif. La publicité sur Amazon et Cdiscount est, quant à elle, considérée comme « utile » et « pertinente ». Les marques média digitales ont gagné en maturité. Elles ont notamment compris qu’elles devaient proposer un véritable « story telling » aux internautes. Notre enquête montre que les pubs sur les flux digitaux sont mieux acceptées que par le passé. Ces médias rattrapent leur retard sur l’offline mais ils doivent poursuivre leurs efforts pour réduire leur intrusivité qui est encore montrée du doigt par beaucoup.
IN : Votre étude révèle également que les priorités des marketeurs diffèrent toujours de celles des consommateurs. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
F. M. : Les marketeurs privilégient les formats et les plateformes qu’ils connaissent et qui leur inspirent confiance, notamment parce qu’ils leur donnent des garanties d’efficacité. C’est le cas de la TV, de la vidéo online (VOL) mais aussi des grandes marques média comme Instagram, YouTube et Google. À l’inverse, les consommateurs sont davantage séduits par les formats et les plateformes moins largement utilisés et donc peu saturés par du contenu publicitaire. Ils sont plus réceptifs quand il s’agit d’innovation, notamment sur la publicité dans les podcasts, dans les jeux en ligne/mobile et sur Spotify. La créativité semble donc un moyen de réconcilier les professionnels du marketing et les consommateurs. Les consommateurs ont toujours un temps d’avance sur les marketeurs. C’est problématique. Les marques doivent rattraper ce retard. Les marketeurs auraient tout intérêt à s’ajuster beaucoup plus rapidement aux attentes des consommateurs.