Séverine Bavon : Vous venez de publier un livre, La Cigale et le Zombie, qui décrit des comportements animaliers que l’on pensait propres à l’humain. Souhaitez-vous ainsi nous rappeler que nous ne sommes pas si spéciaux ?
François Verheggen : Je suis plongé dans les publications scientifiques des chercheurs en comportement animal depuis plus de vingt ans, mais je confesse qu’il y a encore des découvertes qui me fascinent. Et quand vous lisez des choses qui vous émerveillent, vous avez envie d’en parler.
C’est de cette surprise qu’est né mon premier livre, qui analysait des comportements surprenants des animaux. Quand j’ai réalisé des interviews après la sortie du livre, une question revenait en permanence : celle du “propre de l’Homme”. Avec tout ça, que reste-t-il à l’humain ? C’est comme ça qu’est advenu le second livre, où j’ai eu envie de transmettre les recherches des éthologues sur le sujet dans un langage accessible.
S.B. : En passant tout ce temps plongé dans le comportement animal, où en êtes-vous de votre perception de notre unicité, à nous ?
Fr V. : J’ai toujours été convaincu que nous n’étions qu’une espèce parmi d’autres. Au fil des années, ça n’a pas beaucoup changé : je ne fais que prendre conscience encore et encore du fait que les animaux ont des comportements qu’on croyait propres à l’humain. Ce que je dis toujours à mes étudiants cependant, c’est qu’il y a une règle en éthologie qui s’applique à tous les animaux sauf à l’Homme : la fonction de tous les comportements dans le règne animal, c’est la survie pour se reproduire.
“J’ai toujours été convaincu que nous n’étions qu’une espèce parmi d’autres.”
S.B. : et pourtant dans votre livre, vous parlez d’un comportement perturbant, celui du renne qui consomme en connaissance de cause un champignon hallucinogène et vit un “trip” de plusieurs heures…
Fr. V. : Il est vrai qu’il reste cette question étrange de la prise de drogues. On se dit que l’humain est le seul à avoir des comportements qu’il assume en sachant que cela réduit sa survie et sa fertilité (fumer, conduire dangereusement..). Sur le renne qui se drogue, les spécialistes ne sont pas certains que ce soit une question d’addictions, c’est peut-être simplement que ce champignon est très bon… Mais alors on n’explique pas pourquoi les autres rennes se retrouvent à lécher l’urine du renne drogué, comme pour avoir un peu de ce trip aussi.
“Nous n’allons jamais arrêter de chercher notre unicité tant que nous n’aurons pas compris qu’il y a différentes formes d’intelligence.”
IN. : quelle est pour vous la prochaine frontière à dépasser dans notre compréhension des animaux, qui remettrait encore en cause notre unicité ?
Fr. V. : Sans aucun doute la question du langage. C’est un champ qui avance extrêmement vite, et on va se rendre compte que la définition qu’on donne au langage pour le rendre propre à l’humain – des sons organisés de manière non-aléatoire pour décrire des concepts – va être remise en question.
On savait par exemple que le chimpanzé communiquait par des sons. On est en train de réaliser que ces sons sont en fait très complexes et surtout, répondent à une série de règles grammaticales précises.
Je mets ma main à couper que dans les cinq prochaines années vous aurez un Google Translate du chimpanzé à l’humain.
En savoir plus
François Verheggen est l’auteur d’Un Tanguy chez les Hyènes et La Cigale et le Zombie, aux éditions Delachaux et Niestlé, qui nous ont conduit jusqu’à lui. On apprend notamment dans ce dernier que le rire, l’enseignement, les activités collaboratives, les soins parentaux, la guerre, l’empathie, l’adultère, le divorce, la politique, etc. ne sont pas spécifiques aux comportements humains. On y découvre aussi que les fourmis cultivent des champignons, que le corbeau calédonien fabrique des pics à brochette, et que les cygnes partent en campagne politique.