INfluencia : les jours des cookies sont aujourd’hui comptés. Pourtant presque tout le marché de la publicité digitale s’appuie encore dessus…
Franck Negro : il n’est pas exagéré de dire qu’aujourd’hui l’écosystème digital, et en particulier l’univers de la publicité digitale (programmatique, RTB, display…), est dans une sorte de « cookie dependance », puisque toute la chaîne de valeur, annonceurs, adTech et éditeurs, utilise des cookies (notamment des cookies tiers) de façon plus ou moins importante pour répondre aux divers cas d’usage de la publicité en ligne.
Pendant plus de 20 ans, la parole sacrée du marketing a été : “Le bon message, à la bonne personne, au bon moment, tu délivreras”. On a donc construit sur ce credo de l’hyper-personnalisation un marketing centré sur la collecte de plus en plus importante de données personnelles, avec l’idée que cela permettrait non seulement de servir des publicités plus efficaces (parce que basées sur des audiences toujours plus qualifiées), mais aussi mieux acceptées par les consommateurs (parce qu’en adéquation avec leurs centres d’intérêt du moment). On a cru trouver dans le cookie la solution technique qui allait concrétiser ces deux promesses.
Et puis voilà que 25 ans après l’invention du cookie, Google, à la suite d’Apple et de Mozilla, décide de supprimer les cookies tiers dans Chrome dès 2022…
IN. : Quelles vont être les conséquences pour les annonceurs (et l’écosystème digital en général) de cette fin programmée des cookies ?
F.N. : Je considère la fin des cookies tiers comme une bonne nouvelle pour les internautes, et donc pour les annonceurs. Sans parler de l’entrée en application le 31 mars 2021 des nouvelles directives de la CNIL et la mise à jour des règles relatives au consentement (CMP) qui aura un impact certain sur la collecte de cookies First Party. En effet, « (…) la CNIL recommande que l’interface de recueil du consentement ne comprenne plus seulement un bouton « tout accepter » mais aussi un bouton « tout refuser ».
Pour le dire autrement, il sera dorénavant aussi facile pour les internautes de refuser que d’accepter les cookies First Party. Aujourd’hui, on évalue le taux d’acceptation des cookies First Party à environ 85%. Sur la base des premiers tests réalisés par la société Converteo chez certains de ses clients, ce taux tomberait aux alentours de 20%.
Il est difficile d’évoquer tous les impacts en quelques mots. J’en évoquerai trois principaux :
1) la baisse drastique du volume de données personnelles collectées sous la forme de cookies ;
2) un secteur de la AdTech et de la publicité digitale qui va devoir complètement se réinventer, avec un impact très faible sur les deux principaux acteurs que sont Google et Facebook ;
3) des annonceurs qui vont devoir se préparer à un monde post-cookies, avec la nécessité de repenser leurs parcours clients, leurs stratégies d’acquisition et de conversion.
IN. : Si on vous suit, c’est l’occasion pour les marques de remettre à plat toutes leurs stratégies de communication sur le digital ?
F.N. : Contrairement à ce que pensent certains, la fin du cookie tiers est moins le fait des éditeurs de navigateurs web (Google, Firefox, Safari), que du comportement des internautes. Le droit et la technologie agissant comme caisse de résonance d’un mouvement de ras le bol de leur part.
Les internautes se sentent en permanence traqués lors de leur parcours de navigation sur le web, et se trouvent exposés à leur insu à une pression publicitaire qui peine de plus en plus à capter leur attention, laquelle est toujours de plus en plus sollicitée (d’où aussi un phénomène de « banner blindness »). 47% des internautes ont recours aujourd’hui à des solutions d’adblokers.
D’ailleurs, selon un article du Gartner de décembre 2019, 80% des professionnels du marketing qui ont investi ces dernières années dans la personnalisation abandonneront leurs efforts d’ici 2025.
Plusieurs raisons principales sont évoquées :
1) la quête effrénée aux données personnelles n’a pas produit les résultats escomptés en termes de retour sur investissement ;
2) l’évolution du durcissement de la réglementation sur la protection de la vie privée des personnes sur ces dernières années ;
3) l’aversion de plus en plus grande à la surexposition publicitaire sur le web
4) la perte de confiance dans l’information consultée.
IN. : Dans ce contexte, comment voyez-vous évoluer le marketing digital à plus ou moins long terme ?
F.N. : Ces évolutions fondamentales indiquent deux changements majeurs :
1) les consommateurs souhaitent contrôler complètement leur parcours d’achat,
2) nous passons d’un marketing d’interruption, celui de la publicité digitale d’aujourd’hui, à un marketing d’intention.
Dans ce cadre, il convient d’analyser exactement ce que les consommateurs sont susceptibles de demander tout au long de leur parcours d’achat (leurs intentions de recherche), et de construire sur cette base une stratégie de contenu qui permette de répondre directement à leurs questions partout où ils sont susceptibles de les poser, sur Google bien sûr, mais aussi sur le site web des annonceurs.
Une marque est aujourd’hui bien plus à même de rencontrer ses clients en leur offrant des expériences de recherche exceptionnelles à n’importe quel moment de leur parcours d’achat, plutôt que de les suivre en permanence sur le web pour les exposer à des publicités qu’ils ne voient même plus.
IN. : En quoi consistent ces ‘”expérience de recherche exceptionnelles” ?
F.N. : Une expérience de recherche exceptionnelle repose sur trois choses :
1) renvoyer des réponses directes en adéquation avec l’intention de recherche d’un utilisateur, plutôt que des liens bleus à cliquer ;
2) être contextualisée, c’est-à-dire apporter des informations additionnelles et complémentaires par rapport à l’intention de recherche initiale ;
3) et enfin, s’intégrer dans le parcours client en présentant des appels à l’action clairs pour faciliter la conversion.
IN. : À vous écouter, la fin des cookies est donc avant tout une opportunité pour les moteurs de recherche…
F.N. : Pour mettre en exergue l’importance des moteurs de recherches, j’aime assez citer un article qui a été publié dans la Harvard Business Review de novembre-décembre 2019 par deux professeurs du MIT. Il y est question de la valeur contributive de la révolution digitale au PIB, étant donné que la grande majorité des services digitaux que nous utilisons sont gratuits. Ils ne sont donc pas pris (ou mal pris) en compte dans les statistiques officielles.
Les auteurs font appel à une mesure – connue des économistes – que l’on appelle le “surplus du consommateur”, que l’on peut évaluer entre autres en demandant aux personnes : « Combien d’argent faudrait-il vous donner pour ne plus avoir accès pendant un an à Google, Facebook, ou YouTube ? L’étude montre clairement que l’usage des moteurs de recherche vaut littéralement plus que les cinq autres grandes catégories de services digitaux réunies que sont les réseaux sociaux, l’e-mailing, l’e-commerce, les systèmes de cartographie ou les plateformes de partage vidéo. Il est difficile d’imaginer un monde sans moteurs de recherche tant ses derniers sont devenus quasiment vitaux dans la vie quotidienne des personnes.
Et puis il y a les chiffres. 90% des consommateurs indiquent avoir recours à un moteur de recherche à chacune des étapes de leur parcours client. Tandis qu’en moyenne, 62% du trafic des sites web est généré par les moteurs de recherche. Il faut donc prendre très au sérieux l’expérience de recherche qu’une organisation est en capacité de fournir à ses clients, lorsqu’ils se trouvent sur Google bien sûr, mais aussi sur son propre site web.