C’est à un véritable plaidoyer que se livre Francis Morel dans cette tribune sur l’état des médias. L’ancien PDG du groupe Les Échos – Le Parisien s’oppose aux propos de ceux qui portent le digital au pinacle tout en annonçant la mort de la presse.
À l’heure des réseaux sociaux « média rois », il est de bon ton d’en déduire la fin logique programmée des médias traditionnels et en particulier de la presse écrite. Et pourtant depuis le début de l’épidémie de Coronavirus et en particulier depuis le confinement, force est de constater que les ventes de la presse (sous toutes ses formes, papier comme internet) sont particulièrement bonnes.
Alors que beaucoup de points de vente sont fermés
Alors que les Relay (gares, aéroport et métro) qui représentent habituellement de 15 à 20% des ventes de presse (et parfois plus pour les News) étaient tous fermés, tout comme 15% des points de vente traditionnels, que le confinement était évidemment un frein aux déplacements et donc aux achats de presse (inclus fort heureusement dans la catégorie « achat de 1ere nécessité », autorisant donc une sortie) les ventes au numéro sont restées élevées, à leur niveau d’avant-crise et parfois même significativement supérieures pour certains news, montrant là non seulement leur attractivité, mais encore plus leur importance pour nos concitoyens.
En parallèle, les consultations sur internet des titres de presse ont bien sûr également explosé.
Au global, on enregistre sur le mois de mars une progression de diffusion totale, par exemple, de 5% pour Les Échos, 11% pour Le Monde, 9% pour Paris-Match, 2% pour Le Point, tandis que les visites de leurs sites voyaient leur nombre de visiteurs plus que doubler. On redécouvre ce que savaient les éditeurs de presse et ce qui n’était pas entendu par les annonceurs ou agences de publicité, tous obnubilés par la folie internet.
Les médias ont chacun leur rôle et ils ne sont pas substituables :
– Les réseaux sociaux sont un média d’expression,
– Les médias audiovisuels (radio et TV) sont un média d’information,
– La presse écrite est un média de réflexion
Ce rôle de media de réflexion, Internet a permis à la presse de le remplir de façon encore plus efficace et plus complète. La grande révolution d’internet pour la presse aura été de lui permettre d’élargir significativement son audience en touchant une cible plus large et en particulier plus jeune. Le lectorat habituel était en effet, plutôt âgé (comme d’ailleurs celui des grands médias traditionnels ).
Internet a ramené à la presse une clientèle plus jeune, et le coronavirus a encore accentué cette tendance.
L’envie de lire, de s’informer, de comprendre, en particulier face aux informations, souvent contradictoires, qui nous sont proposées de toute part, rend la lecture de ce média indispensable et les plus jeunes en particulier en ont pris conscience. La presse est le seul media qui prenne le temps de s’arrêter, de réfléchir (le succès des pages Débats et Opinions de ces titres le prouve chaque jour), quand les autres sont dans l’instantanéité et l’urgence ; en fait, ils sont trop souvent l’incarnation et le triomphe de l’émotionnel.
Le rôle de l’émotion.
C’est parce que l’émotion a envahi nos vies que nous avons, plus que jamais, besoin d’explication, d’analyse, de réflexion. Parmi les autres médias, ce n’est évidemment pas le cas des réseaux sociaux qui ne vivent que de l’urgence , de l’instinctif , de l’émotion (Twitter peut être, dans ce domaine, la négation même de l’intelligence : seule survit la brutalité de l’émotion et la réflexion est interdite par la limitation même du nombre de caractères utilisables). Certes, certaines émissions de télévision le font ; mais elles sont rares ; le succès de la télévision (et sa qualité) repose plutôt sur l’émotion qu’elle sait créer et fédérer à travers de grands événements (en live ou en séries).
La presse est le seul média qui prenne le temps de s’arrêter, de réfléchir.
C’est sa qualité, sa valeur, et ce qui la rend irremplaçable, particulièrement dans des épisodes dramatiques comme ceux que nous vivons aujourd’hui. C‘est ce qui fait son succès dans cette période troublée, et c’est ce qui assurera son avenir car elle est la seule à remplir ce rôle.
On dit souvent que la presse est indispensable à une démocratie.
Les événements actuels le démontrent avec force et le succès de son audience prouve que ses lecteurs l’ont compris. A une époque où l’instinctif, l’émotionnel triomphent (on semble pouvoir gouverner avec des tweets…!), l’avenir impose de pouvoir réfléchir, s’arrêter, comprendre. La presse est indispensable à notre société. Son succès d’audience pendant cette crise montre que les Français en ont conscience. C’est rassurant et prouve, s’il en était besoin, que l’avenir de ce média est assuré.
Ne prétendons pas vouloir lutter contre les Fake News…
Enfin, si tout le monde (et en particulier les Gafam) veut vraiment s’attaquer aux Fake News (qui sont une vraie menace pour toute démocratie), il suffirait déjà de refuser l’anonymat des textes publiés. Outre que cet anonymat nous ramène à une époque sombre de la vie de notre pays, il permet surtout tous les excès que nous critiquons , puisqu’ils se développent sans aucune contrainte ni contrôle. Ne prétendons pas vouloir lutter contre les Fake News en leur permettant en même temps de se développer librement. Et n’invoquons pas la liberté d’expression (qui n’est en aucun cas menacée dans nos Etats occidentaux) pour permettre la prolifération de ce qui va au contraire menacer cette liberté. L’anonymat n’est pas là au nom de la liberté d’expression mais simplement pour permettre une augmentation de l’audience et, partant, un développement des recettes, et de la rentabilité des sites. Les Fake News , un problème grave et compliqué ? Certes, mais il y a aussi des réponses simples.