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En octobre dernier, Hangzhou, l’une des villes les plus riches et les plus connectées de Chine, également terre d’accueil du groupe Alibaba et des leaders mondiaux des caméras de surveillance, Hikvision et Dahua, surprenait son monde en légiférant –certes timidement- sur l’usage des outils de surveillance biométrique. Pour être au clair, quand on parle de surveillance biométrique, on évoque généralement les caméras à reconnaissance faciale automatique.
Dans le cas présent, le projet de loi visait à une nouvelle réglementation sur la gestion des comités de propriété afin de garantir que les gestionnaires ne pourraient ni imposer ces outils ni partager les informations personnelles des habitants à des tiers. En d’autres termes, fini les sourires à la caméra pour rentrer, ou non, dans sa résidence privée. Une initiative qui soulage, mais qui a de quoi surprendre venant du pays de la surveillance généralisée…
Pas de ça chez nous
Finalement, sa vocation était peut être d’éveiller les consciences. Globalement, l’utilisation de données biométriques -traits faciaux, caractéristiques de l’iris, empreintes digitales, ADN, voix, etc.- est de plus en plus répandue à travers le monde, et pas seulement du côté des autorités. On peut évoquer par exemple les voitures s’ouvrant par empreinte digitale ou les technologies à reconnaissance vocale. Autant d’opportunités qui posent également question en matière de protection des données personnelles, comme on a pu le voir avec les recours introduits contre les nouvelles cartes d’identité belges comprenant les empreintes digitales.
Le représentant principal des organisateurs de l’initiative citoyenne, renseigné par la Commission, est Diego Naranjo, du groupe international de défense des droits et libertés en ligne EDRi –European Digital Rights-. Il s’agit d’un réseau d’ONG et militants, basé à Bruxelles. Sous le slogan « Reclaim your face », le réseau veut que l’UE empêche toute utilisation indifférenciée des données biométriques de citoyens, et toute possibilité de ciblage arbitraire. L’initiative appelle à une interdiction spécifique de la surveillance de masse basée sur les technologies biométriques.
« Ces systèmes intrusifs ne devraient pas être développés, déployés (même en test) ou utilisés par des entités publiques ou privées dans la mesure où ils peuvent mener à une interférence disproportionnée et non-nécessaire face aux droits fondamentaux des citoyens », explique EDRi sur la page consacrée à la nouvelle initiative citoyenne européenne. Le réseau estime que, dans l’état actuel des choses, la législation européenne n’est pas assez explicite pour éviter les violations des règles de protection des données et des droits fondamentaux par l’utilisation de la biométrique dans la surveillance de masse.
Pas de quoi crier victoire
Cependant, pouvons nous affirmer sans sourciller que les citoyens du monde gagneront leur bataille face aux technologies de reconnaissance faciale ? La marche de l’histoire semble déjà contredire cette –réjouissante- finalité. Si l’on reprend l’exemple chinois, Jeremy Daum, chercheur senior au centre chinois Paul Tsai de la faculté de droit de Yale, l’affirme très clairement : il est peu probable que les nouvelles lois protègent les citoyens chinois contre la plus vigilante de toutes les entités en Chine, à savoir le gouvernement chinois, qui considère la surveillance de masse comme essentielle au maintien de la stabilité. L’exemple des réseaux de surveillance invasifs pour surveiller les Ouïgours et d’autres minorités en grande partie musulmanes, prétendument pour prévenir le terrorisme, en témoignent. « En fin de compte, lorsque les choses se gâteront, la sécurité publique et la sûreté publique auront la priorité sur la vie privée », dit-il. Finalement, l’idée d’une politique chinoise respectueuse de la vie privée de ces citoyens et juste en matière de protection des données n’a jamais été rien d’autre qu’une chimère. Ne reste plus à l’Europe, d’endosser ce rôle.