Le besoin d’authenticité est le thème du quatrième opus de la collection de livres « Françaises, Français, etc… », co-produit par 366 et Kantar Public. Quatre grandes tendances et plusieurs sous-tendances y sont analysées et seront publiées en exclusivité chaque semaine par INfluencia. Cette semaine : le besoin de sincérité dans les rapports sociaux.
On aimerait de la bienveillance, mais on doit exercer sa méfiance. On voudrait être vrai, mais il n’est pas si facile de quitter nos rôles sociaux. Sept Français sur dix jugent ainsi “ qu’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ” et qu’on ne peut pas leur faire spontanément confiance. Dans ce contexte, le besoin de vérité dans les relations interpersonnelles apparaît aussi comme l’espoir d’une société plus humaine. Et le meilleur critère pour en juger semble être la recherche de sincérité, déclinaison de l’authenticité, du “ vrai ” dans les rapports humains.
Les “ vrais ” gens
On ne cherche plus dès lors de super-héros, mais on s’identifie à des personnages vrais, justes et qui nous ressemblent. C’est bien cette quête de figures authentiques qui explique l’inattendu et phénoménal succès de la série Capitaine Marleau sur France 3. Près de huit millions de Français la suivent chaque semaine, offrant à la chaîne des audiences dignes d’un match de foot sur TF1 et jamais vues depuis des décennies. Incarnée par une actrice “ Ch’ti sans chichis ”, Corinne Masiero, le Capitaine Marleau est l’antithèse parfaite du héros superficiel et l’incarnation archétypique de l’anti-héros. Sorte de Colombo au féminin, gouailleuse, familière, au parler-vrai, apprêtée comme » Mme Tout-le-Monde « , pas spécialement jolie, engagée pour une société plus juste et plus humaine, elle apparaît comme un personnage positif, parce qu’authentiquement vrai. Une authenticité qui suscite immédiatement et de manière affective proximité et familiarité chez les téléspectateurs.
L’époque est ainsi à la revalorisation des “ vrais ” gens. Personnes âgées, mannequins plantureux ont fait leur apparition dans les pages de magazines et viennent côtoyer les mannequins à la plastique trop parfaite pour être “ vraie ”. Dove a été le premier dans le secteur de la beauté. Céline, avec son égérie octogénaire Joan Didion, Dolce & Gabbana ou encore Sandro ont suivi, en revalorisant les scènes du quotidien, la famille, les vrais visages. L’art, lui-même, s’empare de cette recherche d’authenticité. Sur la scène du théâtre de La Colline, à Paris, l’auteur et metteur en scène Mohamed El Khatib crée Stadium et ne fait pas jouer des acteurs, mais soixante “ vrais ” supporters du Racing Club de Lens, venus en chair et en os dire leur fierté d’être Sang et Or et entonner ensemble “ Au Nord, c’était les corons…” Lieu du jeu d’acteur, du jeu de rôle, de l’artifice par excellence, le théâtre lui-même met désormais en scène la vraie vie des vrais gens. Avec l’objectif sans doute d’apparaître moins élitiste.
Du chemin à parcourir pour les marques
Ce que dit ce retour aux vrais gens, c’est que les valeurs humaines (re)prennent le pas sur les valeurs commerciales. “ Et si l’authenticité était le nouveau Graal des marques ? ” se demandaient Les Échos dès 2013, constatant que “ les consommateurs se tournent de plus en plus vers des marques plus sincères et transparentes, dans lesquelles ils perçoivent des valeurs plus simples de vérité, de confiance et de traçabilité ” et en tirant la conclusion que les marques auraient tout intérêt à transformer ce besoin d’authenticité en puissant levier de confiance et de croissance. La stratégie est claire, elle est pourtant loin d’être gagnée. Car le consommateur, précisément, n’est plus prêt à croire n’importe qui, ni n’importe quoi. “ Paraître ” authentique n’est pas “ être ” authentique, pour un consommateur informé et désormais habitué à décrypter et contourner les stratégies de marques.
Notre enquête révèle ainsi l’ampleur du chemin qu’il reste à parcourir pour les marques si elles veulent (re)gagner la confiance des consommateurs. En dix ans, les attitudes de méfiance et de défiance se sont en effet encore consolidées. Les chiffres sont sans appel et méritent d’être très attentivement regardés : 77 % des Français (une progression de 9 points par rapport à 2005) ne croient pas que “ la plupart des entreprises communiquent de façon honnête et transparente ” ; 73 % (+10 points par rapport à 2005) ne pensent pas que “ la plupart des entreprises agissent avec intégrité ” ; 71 % (+10 points également) considèrent que “ la plupart des entreprises ne se comportent pas de manière éthique et responsable ” ; 70 % enfin (+12 points !) estiment que “ la plupart des entreprises ne sont pas respectueuses des consommateurs ”.
Nous n’avons cessé tout au long de ces lignes de décrire les stratégies publicitaires et marketing des marques (ancrage dans un terroir, marketing du “ sans ” et de la nostalgie, valorisation de savoir-faire “ artisanaux ”, transparence sur les conditions et les process de fabrication, mise en scène de vrais gens) pour répondre à un besoin d’authenticité qu’elles ont parfaitement saisi. Force est de constater pourtant qu’aucune valeur d’intégrité, de sincérité et d’éthique ne leur est accordée collectivement. On ne s’étonnera pas dans ces conditions qu’à la question “ quelle marque incarne le plus pour vous l’authenticité ? ”, la réponse “ aucune ” se classe au premier rang.
L’écart semble donc abyssal entre les attentes des consommateurs et la réalité perçue. Sans doute ces attentes ont, elles aussi, évolué avec le temps, se faisant plus exigeantes. Ainsi, l’attention à la provenance, au procédé de fabrication des produits n’a jamais été aussi forte. De même que la sensibilité au discours et à sa cohérence avec les pratiques “ réelles ”. Sans même parler des produits et des services proprement dits, toute communication est aujourd’hui un échange de valeurs. Et dans un espace communicationnel où le pouvoir du consommateur n’a jamais été aussi fort, il convient de se placer dans un esprit de dialogue, de se montrer humain et transparent. Bref, être attentif à ceux à qui l’on s’adresse plutôt que rechercher à tout prix leur attention. Voilà la nouvelle logique. Claire en théorie, plus complexe à mettre en œuvre en pratique. Comprise en théorie, trop rarement adoptée en pratique tant les vieilles recettes » top-down » ont la vie dure.
Le besoin d’authenticité sert à l’évidence les petites entreprises, les commerces de proximité, les artisans, les producteurs locaux, les agriculteurs bio… Il met en revanche clairement en difficulté les grandes entreprises, les multinationales, symboles d’un système économique de plus en plus rejeté. Dans ce contexte, la communication même des grandes marques agace. Le succès des Ad blockers, ces logiciels bloqueurs de pub sur votre ordinateur, ne peut plus être considéré comme un épiphénomène. Apparus confidentiellement à la fin des années 1990, ces logiciels se sont fortement développés à partir des années 2010 pour atteindre un taux d’usage estimé aujourd’hui autour de 30 % des internautes dans le monde, avec une pointe pouvant même dépasser les 50 % chez les plus jeunes. Il ne suffira donc pas aux grandes marques d’affirmer leur authenticité pour convaincre : il faudra bien plus en donner la preuve. Et donc être authentiquement authentique ! Certaines marques y parviennent quand même mieux que d’autres. Le groupe Décathlon truste ainsi chaque année les podiums des marques et enseignes préférées des Français. Spécialisée dans le plein-air, mettant en scène ses produits toujours au milieu de somptueux paysages, l’entreprise profite évidemment de cette correspondance spontanée avec la nature. Mais cette confiance se tisse aussi sans doute dans la perception des consommateurs d’une passion pour le sport “ authentiquement ” partagée par une enseigne capable à la fois d’innover et de leur proposer des produits à bon rapport qualité-prix pour leurs loisirs, leur plaisir et donc, in fine, leur développement personnel. La mise en cohérence des stratégies d’entreprise avec les stratégies de communication est urgente. Et vitale.