Vie, parcours, philosophie, l’homme et le publicitaire ne font qu’un. Pour INfluencia, Olivier Altmann, co-fondateur de l’agence Altmann+Pacreau livre son point de vue sur l’époque et ceux qui la font. Un discours affûté et sans contrefaçon alors que l’on parle ces jours-ci, d’accoler la mention «en avez-vous vraiment besoin?» sous les publicités…
INfluencia : la rentrée tant redoutée par les économistes et autres experts a sonné. Quelles sont vos craintes pour le marché de la communication?
Olivier Altmann : mes craintes sont d’abord pour l’emploi. Les grands groupes ont annoncé des mesures d’économies qui passeront sans doute par des gels de salaires et des réductions d’effectifs. Les freelances et les jeunes qui arrivent sur le marché du travail risquent d’être les premiers impactés d’où les incitations à l’embauche que met en place le gouvernement. De nombreux étudiants qui cherchent des stages ou des alternances font face au manque de visibilité des agences de publicité et cela n’incite pas à l’embauche. Mais paradoxalement si l’activité repart, cela pourrait profiter aux bas salaires et aux freelances car les agences cherchent à préserver leurs marges sur le long terme. Beaucoup de confrères se posent aussi la question de réduire la surface de leurs locaux car le télétravail semble plutôt fonctionner et les mesures sanitaires se durcissent à la rentrée.
IN : la com était à une époque là pour vendre du rêve, ou du moins jugée comme telle… Aujourd’hui (une fois de plus), certains politiques et associations parlent d’accoler sous chaque publicité, la mention «en avez-vous vraiment besoin ?»… Ça ne fait pas rêver…
O.A. : Tout d’abord je ne pense pas qu’on ait jamais vendu du rêve. Les consommateurs ne sont pas bêtes et savent très bien que la publicité est là pour stimuler le désir et les inciter à choisir telle marque plutôt que telle autre. Je suis atterré de voir que certains songent à écrire cette mention « en avez-vous vraiment besoin ? » sous les pubs. Bien sûr que non nous n’avons pas « besoin » d’un Big Mac, d’une nouvelle voiture, d’un voyage en Grèce, d’un nouveau portable, ou même d’un volet roulant électrique. Mais nous en avons envie car l’être humain ne vit pas que d’amour et d’eau fraiche. Chacun est libre de s’épanouir dans la frugalité, -une vraie tendance qui monte- comme dans la consommation. Mais restons libres de nos choix. Ne croyons pas que les gens sont des moutons aveuglés qui dépensent bêtement leur budget souvent contraint. Et ne faisons pas porter à la publicité tous les maux de la société de consommation. C’est facile de s’attaquer à la com, car c’est l’arbre qui cache la forêt. Va-t-on remettre à plat notre modèle économique capitaliste libéral avec sa libre concurrence? Va-t-on accepter de vivre dans un modèle totalement différent qui (à part le communisme) reste à inventer… ? Avec la mondialisation, cela me semble assez utopique sans compter les conséquences sur l’activité économique, l’emploi, les prélévements sociaux, etc. Je crois plus à un virage positif lié à une prise de conscience, qu’à des règles normatives qui s’imposent à tous et restreignent nos libertés. D’autant que la communication est souvent le meilleur levier pour inciter à une consommation plus responsable.
IN : qu’est-ce que la pandémie a modifié dans la manière d’accompagner les clients ?
O.A. : dans ce contexte difficile les clients sont encore plus demandeurs d’accompagnement stratégique, de proximité et de réactivité mais tous ne se comportent pas de la même façon. Pour certains la crise a resserré les liens avec leur agence afin d’affronter ensemble la tempête. Pour d’autres, dont le secteur a souvent été très impacté, la solidarité prônée comme valeur montante n’est pas vraiment au rendez-vous.
IN : diriez-vous que la création par temps de Covid est « atteinte » dans sa liberté d’imaginer? Ou s’agit-il simplement d’un nouveau cadre de travail à prendre en compte?
O.A. : l’imagination a toujours besoin d’un cadre pour s’exprimer. C’est souvent de la contrainte que nait la créativité. Mais il est vrai qu’en ce moment tout est encore plus observé à la loupe, analysé, sur-interprété. Le bad buzz sur les réseaux sociaux est redouté ce qui n’incite pas à l’audace. On voit pourtant que les annonceurs qui arrivent à tirer leur épingle du jeu sont ceux qui cherchent à divertir et à faire sourire les Français. Je pense qu’on va tous se lasser des grands discours vertueux et bienveillants même s’il faut sans doute en passer par là dans une société qui semble inquiète et tendue.
IN : beaucoup d’annonceurs se tournent vers une com très informative et peu audacieuse. L’époque est-elle résolument tourmentée et donc, peu à même d’innover?
O.A. : je dirais qu’on est moins dans l’information que dans les actes. Chaque prise de parole aujourd’hui est discutable et discutée à l’aune de la réalité. L’annonceur se doit de pouvoir prouver ce qu’il avance et démontrer que ses engagements ne sont pas opportunistes mais s’inscrivent dans une démarche sincère et de long terme. C’est plutôt une bonne chose sur le fond car cela pousse les marques à agir. Mais on devrait aussi encourager les petites avancées, car Rome ne s’est pas faite en un jour… Aucune entreprise ne peut prétendre être 100% irréprochable.
IN : y-a-t-il eu déjà des périodes aussi bouleversantes que cette actuelle crise à la fois épidémique, climatique, économique, sociétale, dans l’histoire?
O.A. : l’être humain a une propension a oublier les situations difficiles du passé. Je n’ai heureusement pas connu la guerre mais ma mère de 93 ans m’a dit que le confinement pour elle ce n’était pas vraiment grand chose comparé à ce qu’elle a pu vivre par le passé et que comme beaucoup de gens âgés elle vit « confinée » toute l’année. Rappelons-nous les attentats du 11 septembre 2001, du Bataclan en 2015, de la crise de 2008 où le monde semblait vaciller financièrement. Je pense que cette crise sanitaire nous a rappelé notre fragilité en tant qu’être humain. Dans ce sens, elle est bénéfique car nous avons pris conscience que nous sommes de passage sur cette terre et que nous avons une responsabilité envers elle et envers les autres. Nous sommes, sans doute, à un tournant dans la façon de penser notre modèle de société. Mais il n’y a pas que les Français sur cette planète. Est-ce qu’un Africain ou un Indien qui aspire au progrès, à boire de l’eau potable, à s’offrir un lave-linge a les mêmes attentes que nous ? Est-ce qu’on s’oriente vers plus de solidarité, d’entraide ou au contraire, de tensions, de violences et de repli sur soi ? Sans doute les deux bizarrement.
IN : que pensez-vous de ce nouveau virage que pourrait prendre la communication, par rapport à ses clients. Ils demandaient de la créativité, de l’inventivité, aujourd’hui ils sont certainement plus demandeurs de connaissance de leurs consommateurs?
O.A. : la connaissance des consommateurs a toujours été le nerf de la guerre. C’est en s’intéressant aux gens, à leurs aspirations, à leurs craintes qu’on trouve les fameux « insights » consommateurs qui vont inspirer les créatifs. Les data nous permettent d’être plus précis encore et de détecter les signaux faibles, les tendances, le pouls de la société. À l’inverse, le risque c’est d’unifier les discours car la plupart des annonceurs surfent sur ces mêmes tendances. La créativité nous permet d’être pertinent tout en faisant un pas de côté pour émerger et gagner en originalité.
IN : d’un point de vue humain, êtes-vous optimiste quant à l’avenir qui se présente à nous, fataliste, anxieux?
O.A. : je suis un anxieux confiant. Je suis inquiet de voir la société se radicaliser, la haine sur les réseaux sociaux, le communautarisme grandir, le manque de débats constructifs où les gens s’écoutent et cherchent ensemble la solution. Mais sur le long terme j’ai le sentiment que l’homme a une incroyable faculté d’adaptation qui lui permet de surmonter depuis des siècles de nombreux fléaux. La sauvegarde de notre environnement étant sans doute notre plus grand challenge.
IN : L’heure est aux questions des biens et métiers essentiels versus ceux qui ne le sont pas. Quel est votre regard sur ce débat. La pub est-elle essentielle?
O.A. : la publicité n’est pas essentielle en tant que telle mais elle est un rouage essentiel de notre modèle économique. En soi la publicité ne véhicule aucune opinion, aucun message. Elle est un accélérateur de notoriété, une caisse de résonance. Même ceux qui la dénoncent l’utilisent sous une certaine forme (réseaux sociaux, relation presse, etc) pour faire valoir leur position. Elle n’est qu’un instrument au service des entreprises et des pouvoirs publics. Elle peut autant servir à gagner des parts de marché qu’à changer les mentalités. A nous de l’utiliser avec intelligence et créativité pour qu’elle soit la plus utile à notre société.
IN : l’information se démène tant bien que mal, elle aussi, pour débusquer le vrai du faux, faire un travail d’éducation auprès du public. Sans comparer la pub au journalisme, il y va de la crédibilité des deux métiers plus que jamais…
O.A. : aujourd’hui la publicité est beaucoup plus règlementée que l’information. On ne peut pas propager une rumeur, accuser à tort quelqu’un, laisser planer le doute sur un fait avéré. On doit pouvoir justifier nos allégations. Et de surcroit tout le monde sait que la publicité c’est de la publicité. Qu’elle est là pour enjoliver une réalité. Donc nous n’avançons pas masqués. C’est beaucoup plus compliqué aujourd’hui pour un journaliste de faire un vrai travail d’enquête, de ne pas céder au sensationnalisme qui fait vendre, d’oser aller contre la dictature des réseaux sociaux. Heureusement les gens commencent à douter de tout ce qui circule sur internet sont parfois prêts à payer pour une information de qualité. C’est ce que prouve le NY Times avec son modèle d’abonnement sans publicité.