22 juillet 2018

Temps de lecture : 6 min

Million dollar Super Bowl

Le premier dimanche de février depuis 1966,
vous savez où regarde l’Amérique : dans la lucarne, le Super Bowl. Il est à soupçonner que ce sport ne soit pas qu’un jeu de ballon, car là où cent millions d’Américains ont les yeux et les oreilles, on se doute que les annonceurs, eux, vont faire leur show. À vos marques !

Le premier dimanche de février depuis 1966,
vous savez où regarde l’Amérique : dans la lucarne, le Super Bowl. Il est à soupçonner que ce sport ne soit pas qu’un jeu de ballon, car là où cent millions d’Américains ont les yeux et les oreilles, on se doute que les annonceurs, eux, vont faire leur show. À vos marques !

Certaines institutions ne prennent pas une ride. Comme un bon cru, elles parviennent à se bonifier avec l’âge et à attirer toujours plus d’amateurs… Le Super Bowl est de celles-là. La grande finale de football américain (NFL) -apothéose de 17 semaines de matchs secs où rivalisent les équipes de la National Football Conference (NFC) et de l’American Football League (AFL)- rive devant leur écran des millions d’amateurs à travers le monde, soit un public qu’il serait dommage de bouder. Pas étonnant que les annonceurs soient prêts à dépenser des sommes folles pour associer leur marque à cette promise toujours aussi séduisante malgré le nombre des années.

Aujourd’hui, les publicitaires n’ont que le mot « digital » à la bouche : Big Data, messages ciblés ou interactifs, réseaux sociaux, marketing de niche… la mode est au « sur-mesure ». Engloutir des fortunes dans un spot télévisé sans être capable de viser une catégorie de consommateurs plutôt qu’une autre peut donc sembler incroyablement old school, pour ne pas dire dépassé voire totalement ringard. Et pourtant, depuis un demi-siècle, les marques dilapident sans compter pour apparaître lors du Super Bowl.

Les États-Unis par le football

Durant la dernière finale du championnat de football américain qui a opposé, le 4 février 2018, les Patriots de Nouvelle-Angleterre aux Eagles de Philadelphie, le tarif du spot de 30 secondes a crevé, pour la première fois, le plafond symbolique des 5 millions de dollars, soit 166 667 $ la seconde. Ce prix a plus que doublé en une décennie, si l’on en croit les données récoltées par Ad Age Datacenter et Kantar Media. Lors du premier Super Bowl, en 1967, ce coût moyen était de 37 500 $, soit près de 294000$ d’aujourd’hui. Le diffuseur a ainsi multiplié ses tarifs par 17 en cinquante ans…

Depuis sa création, ce rendez-vous sportif annuel a généré 6,8 milliards de dollars de recettes publicitaires. Cette année, le pactole a atteint 419 millions de dollars. En 2017, 2,3% des dépenses annuelles des annonceurs sur le petit écran américain ont été engloutis durant cette seule soirée. Ce chiffre a plus que doublé en sept ans (1,2% en 2010) et sextuplé depuis 1990 (0,4 %).

Le brasseur Anheuser Busch-InBev a versé sur le gazon, à lui seul, plus de 533 millions de dollars lors de ces finales depuis 1995, devant Pepsico (326 millions), Fiat-Chrysler (moins de 200 millions), General Motors et Coca-Cola (150 millions). Ces chiffres, pour le moins impressionnants, s’expliquent… Le Super Bowl est tout d’abord le seul événement de l’année qui attire en moyenne plus de 110 millions de téléspectateurs aux États-Unis. La dernière finale remportée par les Eagles a ainsi été suivie par 112 millions d’Américains. Quatre des cinq meilleures audiences télévisées de l’an- née sont enregistrées lors de rencontres de football américain. La remise des Oscars est le rendez-vous télévisuel non sportif le plus suivi de l’autre côté de l’Atlantique, mais cette cérémonie n’attire pas plus de 34 millions de curieux par an !

Si l’on considère que le match le plus attendu de la saison est regardé par 110 à 115 millions de fans, un spot de 30 secondes coûte entre 4 et 5 cents par téléspectateur. Une publicité traditionnelle est, elle, facturée entre 200 000 $ et 500 000 $ à une heure de grande écoute aux États-Unis et elle est vue par 2 à 7 millions de personnes, ce qui représente 8 à 10 cents par téléspectateur, a calculé le magazine Fortune. Une annonce sur la Toile est meilleur marché, car elle s’évalue à 25$ en moyenne pour 1000 vues, soit 2,5 cents par internaute, mais il est difficile de mesurer son impact sur les consommateurs.

Le succès des arrêts de jeu

Le Super Bowl a aussi l’avantage d’être suivi aux quatre coins du globe. Près d’un milliard de téléspectateurs regarderaient ce match à travers le monde. Sur les réseaux sociaux, la précédente finale avait fait l’objet de 27,6 millions de tweets et de 240 millions de commentaires et likes sur Facebook. Les compilations des meilleures publicités sur YouTube attirent plusieurs millions d’internautes chaque année. Pendant les jours précédant et suivant la rencontre, les Américains discutent sans cesse des spots qui vont passer ou qu’ils ont vus lors de la mi-temps. Beaucoup de curieux décident même de regarder le match uniquement pour ne pas rater les annonces qui s’insèrent durant les arrêts de jeu.

Selon une étude de l’agence de relations publiques Burson-Marsteller publiée en 2017, 53% des Américains disent qu’ils seraient déçus si le Super Bowl ne comportait plus de publicités. Ce chiffre, qui a augmenté de 5% en un an, est d’autant plus étonnant que ces consommateurs disent ne plus supporter le matraquage publicitaire dont ils sont l’objet. 54% des internautes estiment ainsi qu’il y a trop de réclame sur la Toile, selon un sondage de Mancx. Une autre étude de l’institut Harris montre que 74 % des millennials sont opposés à l’idée de recevoir des offres ciblées sur les réseaux sociaux et 56 % des jeunes interrogés avouent avoir déjà quitté un site lorsque les annonces y étaient trop fréquentes.

Le succès de la publicité lors du Super Bowl n’est pas dû au hasard. Les annonceurs ne reculent tout d’abord devant aucune dépense pour impressionner le public. Des vedettes sont souvent recrutées à prix d’or pour promouvoir telle ou telle marque. Cette année, Cindy Crawford, Morgan Freeman, Matt Damon et Danny DeVito ont amassé de jolis petits pécules en apparaissant dans des spots. Mais le coup de com’ revient au confiseur Skittles, qui a misé sur l’exclusivité totale : une star embauchée pour une publicité qui a été diffusée à un seul et unique téléspectateur. Ledit soir, les internautes ont ainsi dû se contenter d’observer l’élu Marcos Menendez, un adolescent californien, regarder la pub en live sur la page Facebook de Skittles. Plusieurs bandes-annonces avaient été diffusées sur les réseaux sociaux, mais jamais la pub complète. La règle est donc toujours la même : se démarquer en créant le buzz.

Le sport à l’épreuve du storytelling

Sur le terrain du Super Bowl, Apple avait ouvert la danse en 1984. Pour la sortie de son désormais cultissime ordinateur Macintosh, la firme à la pomme avait demandé à Ridley Scott, le réalisateur notamment d’Alien, de Blade Runner et de Gladiator, de tourner une pub de 60 secondes en s’inspirant de l’ambiance du roman de George Orwell, 1984. Ce film, qui avait pour slogan « Vous allez voir pourquoi 1984 n’est pas comme 1984 », a marqué un tournant dans le monde de la publicité en créant un genre : le storytelling. Les spots, qui dépassaient rarement 15 secondes, sont ainsi devenus de « mini-métrages » hollywoodiens.

S’ils jouent souvent la carte du grand spectacle pour impressionner les téléspectateurs, les annonceurs cherchent aussi à les faire rire. L’humour est désormais présent dans plus de la moitié des publicités conçues pour le Super Bowl, alors que cette proportion ne dépasse pas 20% dans les conditions traditionnelles de diffusion, selon Ace Metrix. Ces dernières années, les entreprises ont également usé, et parfois abusé, des réseaux sociaux pour « appâter » les consommateurs avant même le coup d’envoi de la finale. Volkswagen a montré la voie en 2011 en lançant sur la Toile son spot intitulé « The Force » -durant lequel un enfant se prenant pour Dark Vador pensait déplacer une voiture par la seule pensée. Le film, très amusant, a été visionné 11 millions de fois sur Internet avant son passage à la télévision. Mais les teasers peuvent se révéler une arme à double tranchant. « Les marques veulent être les premières, les meilleures et les plus bruyantes, et cela les encourage à intervenir de plus en plus tôt », résumait dans le magazine Adweek Jason Teitler, le directeur du Burson-Marsteller Fan Experience (BMFE). « Cela peut leur permettre de créer du buzz, mais les gens seront moins excités lorsqu’ils verront [leur spot] et cela atténuera la portée de leur message marketing ». Les annonceurs savent qu’ils jouent gros durant le Super Bowl.

Un spot réussi peut améliorer durablement l’image d’une marque et augmenter ses ventes, si l’on en croit Rob Siltanen, de l’agence de publicité Siltanen & Partners, dans un entretien accordé au magazine Forbes. Le professeur de marketing de la Kellogg School of Management Tim Calkins estime, pour sa part, que CareerBuilder ne serait jamais devenu le premier site de recherche d’emploi aux États-Unis devant Monster.com sans ses pubs diffusées durant la finale de football américain. Cinq millions de dollars semblent presque être une bonne affaire pour devenir leader sur un marché de 325 millions d’habitants.

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