Florence Dauchez: « Avec Visible, je veux changer le futur… »
Scrowler sur Instagram a du bon… Notamment lorsque certains posts retiennent votre attention, et vous donnent envie d’aller jusqu’au bout de votre lecture. C’est comme ça que chez INfluencia, nous sommes partis à la rencontre de Florence Dauchez (prononcez Dauché, sinon gare...) rédactrice en chef du journal de Canal jusqu’en 2017, qui a lancé son media : Visible. Conversation avec une passionnée d’actualité, convaincue que la femme mérite d'être... Visible.
La pensée, l’analyse sont toujours confiées aux hommes. Comment les jeunes filles peuvent-elles se projeter dans un imaginaire qui est toujours aussi masculin ?
INfluencia : vous avez créé en catimini, Visible*, un media pas comme les autres…Qu’est-ce que Visible ?
Florence Dauchez : c’est un media vidéo-texte full digital qui a une double vocation. La première, donner de la visibilité aux femmes qui agissent dans tous les domaines, apportent leurs expertises, leurs engagements, leurs solutions, leurs pensées.
La deuxième, faire émerger dans l’espace public des rôles modèles, enrichir la représentation des femmes, parce que « ce qui ne se voit pas n’existe pas« . Les femmes souffrent d’un déficit de visibilité dans les médias même si des efforts sont faits aujourd’hui. On a vu pendant le confinement, une augmentation de 20% d’interventions des femmes sur les réseaux sociaux, soit, mais toujours dans « le care ». Malheureusement, sur ces plateformes, comme au cinéma du reste (en dehors d’Anatomie d’une chute), ces dernières sont présentes dans une situation victimaire. La femme qui va bien, qui fait des choses intéressantes, occupe des positions de premier plan, qui a des raisonnements, pense, réfléchit, agit, on ne la voit pas. Mon propos est de la célébrer.
dans Le Monde, 83% des articles font référence aux hommes, dans L’Équipe, cela monte à 93% ! Quant aux éditoriaux, 9% d’entre-eux seulement sont signés par des femmes.
IN. : donc vous pensez qu’on ne donne toujours pas, naturellement, la parole aux femmes… Et que l’on obéit à des quotas ?
Fl. D. : il faut regarder la publication sur les Gender News publiée au printemps dernier: dans Le Monde, 83% des articles font référence aux hommes, dans L’Équipe, cela monte à 93% ! Quant aux éditoriaux, 9% d’entre-eux seulement sont signés par des femmes. La pensée, l’analyse sont toujours confiées aux hommes. Comment les jeunes filles peuvent-elles se projeter dans un imaginaire qui est toujours aussi masculin ?
IN. : faire un media qui ne parle que de femmes, n’est-ce pas une manière de les enfermer dans ce même biais ?
Fl.D. : sur Visible, je suis partie du principe qu’il était important d’agir de manière moderne, tout en m’impliquant, comme le font les femmes dans d’autres domaines, à mon rythme, et avec mes croyances. Comme me le disait Laure Adler que j’ai croisée l’autre jour, et que j’interrogeais sur mon concept justement, « arrêtons de nous occuper des hommes, occupons de nous, on en a bien besoin », ce qui m’a confortée dans mon positionnement. (rires)
En quittant Canal, la seule certitude que j’avais c’était ma volonté de vouloir parler aux plus jeunes
IN. : comment passe-t-on de la télévision, du salariat, à la création d’un media entièrement numérique aussi moderne et certainement complexe et nouveau pour vous ?
FL.D. : lorsque j’ai quitté Canal en 2017, le changement de cap, les nouvelles directives éditoriales ne me convenaient pas et j’aurais sans doute été débarquée, mais j’ai devancé les choses…(rires) A cette époque, je me suis interrogée sur ce que je voulais vraiment faire. La seule certitude que j’avais c’était ma volonté de vouloir parler aux plus jeunes, étant moi-même entourée d’enfants à la maison qui ne regardaient plus la télévision, ni Canal, dont nous avions constaté l’érosion auprès de cette cible… Comment les toucher ? Les réseaux sociaux, le numérique me sont assez naturellement apparus comme une évidence. Twitter commençait à buzzer, l’écriture courte me parlait, déjà à Canal, je réfléchissais à des pastilles d’infos… Donc la question était : qu’est ce que je peux faire avec ce que je sais faire… En m’intéressant dans un premier temps aux entrepreneurs à impact social, j’ai vite entendu cette phrase « l’entreprise va changer la société ». Je l’ai prise à la lettre, c’est vrai, l’entreprise a la main sur les sujets sociaux. Dans ma tête, il est vite devenu évident qu’il fallait créer un media full digital, où les femmes seraient célébrées, valorisées, mises à l’honneur. Je souhaitais donner la parole aux femmes, car comme l’a si bien dit Hilary Clinton, « les femmes sont de grands réservoirs à solutions ». Le mot Visible m’est venu à l’esprit et ne m’a jamais quitté.
cette manière de mettre en avant les journalistes femmes, en leur demandant quelle était leur morning routine ne m’intéressait pas. Moi, je voulais qu’on m’interroge comme on le faisait pour les garçons pour ce que je faisais.
IN. : lancer Visible, alors que vous êtes assez invisible dans les medias, c’est assez joyeux, quand on y pense…
Fl.D. : oui, cela fait assez longtemps que je me suis aperçue que la surexposition médiatique générait une énergie que je n’aime pas. Quand j’ai commencé en TV, j’avais 30 ans, j’étais la plus jeune à l’antenne. Lorsque j’étais interviewée, je ne retrouvais jamais ce que j’avais réellement dit, et cette manière de mettre en avant les journalistes femmes, en leur demandant quelle était leur morning routine ne m’intéressait pas. Moi, je voulais qu’on m’interroge comme on le faisait pour les garçons : pour ce que je faisais, pas pour ce que je paraissais et comment je m’y prenais…
IN. : donc vous montez Visible, comment faites-vous concrètement ?
Fl.D. : je dépose le nom sur l’INPI, six mois plus tard j’ai la réponse, le nom est disponible… Alors-là, oui la question de mon ancien confort sur les chaines Arte ou Canal se pose, inévitablement. Mais surtout, c’est la création d’un média qui impressionne. Plutôt que théoriser, de réfléchir, une coutume bien française, j’ai commencé doucement, avec ma petite équipe, nous nous sommes mis au boulot pour trouver la bonne écriture, les bons récits… En fait, je me comparais à un musicien qui aujourd’hui peut poster sa musique, et se dit : « voyons ce qu’il va se passer… »
IN. : c’est une sacrée aventure, non ?
Fl.D. : oui cela s’est fait pas à pas. Il faut accepter que l’on ne saura pas ce qui se passera demain. Accepter en toute humilité d’être chef d’entreprise, d’apprendre au jour le jour… Après, je voulais par dessus tout mettre mon expérience, ma connaissance du terrain, du journalisme, au service du bien commun. Ce que je sais et peux faire, en somme.
IN. : cela fait dix-huit mois que Visible existe aujourd’hui, quel est votre bilan?
Fl.D. : un ami journaliste me disait, « il faut avancer sans regarder ce que font les autres ». Je trouve cette phrase très juste. Pour avancer, il ne faut pas être déstabilisé, il faut y aller avec son instinct, ses convictions. Chaque jour, des jeunes femmes me disent adorer Visibleparce que ce media leur parle ! La société a tout à gagner avec l’équité. Et l’intelligence collective mène au mieux. Maintenant, nous entrons dans la phase du financement. Je vais sur le terrain des garçons et je fais pareil. J’ai bon espoir qu’un concept comme celui là, parle à des financiers.
IN. : vous venez également d’être choisie parmi les 100 femmes de culture 2023 pour votre media?
Fl.D. : oui, pour sa cinquième édition l’association emmenée par Patricia Barbizet, et son jury, qui travaille à la valorisation des femmes m’a honorée en me nommant lauréate pour Visible, media 2023. La cérémonie se déroulait le 9 octobre dernier au Palais de Tokyo. Un grand honneur.
IN. : pas de regrets, de frustration par rapport à votre carrière passée ?
Fl.D. : est-ce que je ressens des frustrations ? La vie est faite de frustrations, non ? En tout cas, mon ego n’est pas satisfait en se disant : « je crée mon media ». Je pense plutôt que j’ai identifié un besoin, une nécessité, et avec Visible, je peux me mettre à disposition. Il m’est aujourd’hui insupportable de constater tant de disparités financières, entre hommes et femmes. La moyenne des retraites de 70% des femmes est inférieure de 1000 euros, nous sommes dans la pauvreté. Derrière le sujet Visible il y a tous les sujets, quitter un mariage parce que l’on est mal, avoir le choix d’être l’égale des hommes en matière de salaires, etc.
nous sommes sur tous les réseaux, Linkedin notamment, où nous avons un « public» très qualifié de femmes actives.
IN. : vous seriez donc une femme de missions. C’est frais !
Fl.D. : Je me vis comme une jeune entrepreneur ! Et du coup la question de l’âge, -l’horloge biologique est implacable et se met en route à 30 ans-, je la fais exploser, je suis une jeune entrepreneur et j’apporte une complémentarité. Je travaille avec des jeunes qui ont entre 25 et 30 ans, et c’est un peu fou et passionnant.
IN. : Visible c’est aussi un site…
Fl. D. : oui, et nous sommes sur tous les réseaux, Linkedin notamment, où nous avons un « public» très qualifié de femmes actives.
A Canal, nous étions une bande de journalistes qui faisaient un journal de journalistes, pas de chefs de régie publicitaire !
IN. : treize ans au JT de 19 heures de Canal, cela dit quoi ?
Fl.D. : passionnant. Une méthode de management remarquable, parce que l’on avait beaucoup d’autonomie, d’inventivité, sur le journal de Canal on a vécu une époque pleine de grâce. Une bande de journalistes qui faisaient un journal de journalistes, pas de chefs de régie publicitaire !
IN. : comment Visible traite la terrible crise actuelle ?
Fl.D. : en mettant en avant un mouvement Women Wage Piece, groupe de 45 000 femmes et hommes qui se battent pour la paix entre palestiniens et israéliens. En diffusant le documentaire de Hanna Assouline sur le mouvement Les guerrières de la paix. Notre rôle est d’angler l’actualité par notre prisme. Vous l’aurez remarqué, les médias parlent peu de paix… Or on sait qu’une meilleure représentation des femmes dans les processus de paix serait essentiel et beaucoup plus efficace. Une étude de l’ONU France menée entre 1992 et 2018 sur les femmes et la paix montre que 3% de femmes sont médiatrices, 4% sont de signataires de traités de paix, 12 % de négociatrices, il y a quelque chose qui ne va pas dans le monde.
Si on arrive à un meilleur équilibre on ira mieux. Les femmes sont des êtres adultes, elles contribuent à la vie économique. Encore un mot, pendant le confinement, Angela Merkel , Hyacintha Adern disaient les deux la même chose. Nous ne laissons pas les grands-parents seuls. La première a demandé une distance de 1 mètre avec ses aînés. La seconde a laissé à l’appréciation des familles, tandis qu’en France, on laissait des sacs plastique sur les paliers. Cela résume tout.
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*Des femmes engagées ont accompagné la première phase de Visible, Béatrice Leroux Barraux, Sophie Déroulède, Raphaëlle Duchemin, également Réseau Entreprendre Paris dont Visible est lauréat 2023.
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