24 septembre 2024

Temps de lecture : 8 min

Fleur Lavedan : « Télérama doit devenir un média de destination sur la recommandation culturelle »

Télérama, devenu un média global il y a un an, développe de nouvelles fonctionnalités sur le numérique, fait évoluer son offre papier et lance une campagne de marque. Fleur Lavedan, présidente du directoire, détaille les enjeux de ces évolutions qui doivent amplifier la dynamique amorcée depuis deux ans autour de la marque.

INfluencia : Télérama a lancé lundi 23 septembre de nouvelles fonctionnalités sur son appli et fera évoluer cette semaine son magazine papier. Quels sont les objectifs recherchés ?

Fleur Lavedan : Télérama a la chance d’être un média global, qui ne se voit plus comme un hebdomadaire papier mais comme un média culturel quotidien avec une version papier chaque semaine. La consommation culturelle des Français a elle aussi évolué et, dans ce monde d’algorithmes qui enferment, nous avons plus que jamais un rôle à jouer pour donner des repères, des références, et rendre service au public en le guidant dans ses usages. Dès qu’un champ culturel s’ouvre, Télérama s’en empare pour guider le lecteur. C’est un service que nous devons à nos lecteurs, à tous les curieux de culture mais aussi – et peut-être surtout – aux nouvelles générations. La culture touche toutes les générations mais nous sommes persuadés que l’on construit très tôt son identité avec la culture et à travers ce qu’elle permet de découvrir.

Dans ce monde d’algorithmes qui enferment, Télérama a plus que jamais un rôle à jouer pour donner des repères et rendre service au public en le guidant dans ses usages

IN. : c’est aussi dans cette génération que se trouvent vos futurs lecteurs…

F.L. : pendant très longtemps, la transmission de parent à enfant a permis de créer et maintenir un socle de lecteurs et d’abonnés très fidèles. C’est encore très efficace puisqu’un abonné papier reste en moyenne abonné pendant 16 ans. Aujourd’hui, nous accélérons sur le numérique pour élargir notre bassin d’audience en proposant aux nouvelles générations de découvrir l’offre et de la tester pour qu’elles se rendent compte qu’elles ne pourront bientôt plus s’en passer. À côté de la richesse éditoriale, il y a aussi tout ce que permet le numérique pour créer le « réflexe Télérama ». Quel que soit ce que l’on veut faire – regarder un film, aller au cinéma, lire un livre ou se tenir au courant de l’actualité culturelle – Télérama est aujourd’hui dans votre poche. La marque doit devenir un média de destination sur tous les champs culturels et leur actualité, sur le décryptage de la société à travers le prisme de la culture et sur la recommandation.

IN. : sur ce champ de la recommandation, quels ont été les partis pris pour mieux guider le lecteur ou l’utilisateur ?

F.L. : tout le monde a fait l’expérience de passer une heure sur les plateformes de vidéo à la demande à chercher quelque chose à regarder, sans finalement rien trouver. C’est déceptif et parfois source de tension au sein de la famille… L’explosion des contenus autour des plateformes et l’évolution des usages audiovisuels sur le numérique a été pour nous une vraie opportunité car nous avions la base éditoriale. La critique de Télérama – 4500 contenus des plateformes gratuites et payantes de vidéo à la demande ont été critiqués – a donc été associée à un service simple et puissant pour permettre de passer plus de temps à regarder qu’à chercher. Une entrée servicielle autour des plateformes a été rajoutée dans l’application. Après avoir sélectionné les plateformes auxquelles l’utilisateur est abonné, toutes les nouveautés sont automatiquement mises à jour grâce à un partenariat avec JustWatch. Cela donne accès à la notation, à une critique plus fournie et, en un clic, l’appli renvoie sur la plateforme et le contenu concernés. Nous avons commencé par les plateformes parce que Télérama est très attendu sur les usages audiovisuels mais nous allons continuer à enrichir l’application et le site sur l’ensemble des usages culturels.

L’explosion des contenus des plateformes et l’évolution des usages audiovisuels sur le numérique a été une vraie opportunité car nous avions la base éditoriale. Une entrée servicielle autour des plateformes a été rajoutée dans l’application

IN. : pourquoi lancer également une campagne de marque ?

F.L. : depuis son arrivée à la direction de la rédaction en janvier 2023, Valérie Hurier a lancé énormément d’innovations sur l’ensemble de nos produits. Depuis un peu plus d’un an, le site et l’appli accueillent l’intégralité de la promesse éditoriale de Télérama, qui est devenu un média global. Le magazine évolue cette semaine pour donner une plus grande part à l’image et à l’enquête, accueillir les nouveaux usages, gagner en souplesse, proposer plus de surprises, d’impertinence… La rentrée 2024 était le bon moment pour reprendre la parole et élargir notre socle d’audience auprès des nouvelles générations de lecteurs. La campagne de marque – la première dans l’histoire de Télérama – inaugure une nouvelle signature « Tutoyons la culture ». La marque tutoie toutes les cultures, tous les curieux de culture, là où ils sont et là où ils consomment. La campagne conçue par The Good Company est complètement déclinable en différents formats. Elle va beaucoup circuler sur le numérique, à la télé, en affichage sur les lieux culturels, en gare…

Notre campagne de marque inaugure une nouvelle signature « Tutoyons la culture »

IN. : la campagne mise sur la proximité et la diversité du public mais Télérama est parfois décrit ou perçu comme une marque intello-bobo, un peu dans l’entre-soi…

F.L. : pour les gens qui ne nous connaissent pas ou qui nous connaissent peu, il y a parfois une erreur de perception de ce qu’est Télérama. C’est aussi pour cela que l’on prend la parole aujourd’hui pour raconter qui on est et ce que l’on devient : un média extrêmement puissant et référent, à la tête de la plus grande rédaction culture de France et avec une promesse éditoriale très singulière qui fait qu’il n’a pas de concurrent direct. Et aussi un média accessible, diversifié et dénicheur de talents, qui a par exemple été le premier à mettre Zaho de Sagazan à la une… Nous restons sur nos fondamentaux, sans avoir besoin d’être sur la défensive car le groupe va bien. Le titre est structurellement rentable et participe à hauteur de 40 % de l’Ebitda du Groupe Le Monde. Cette rentabilité permet d’investir pour nos développements éditoriaux et techniques.

Télérama n’a pas besoin d’être sur la défensive car le groupe va bien et est structurellement rentable

IN. : comment les innovations éditoriales de ces deux dernières années contribuent-elles à la croissance ?

F.L. : beaucoup de nouveaux formats vidéo ont été lancés sur les réseaux sociaux. La cellule enquête lancée début 2023 produit des informations exclusives sur les coulisses de la création et des médias. La force et la richesse de la curation de Télérama vient du fait que nous sommes nombreux, experts, et que nous avons ce luxe d’avoir le temps de creuser les sujets et de travailler en toute indépendance. Cette richesse d’approche se retrouve dans les contenus les plus recruteurs sur l’année. Le théâtre arrive en premier avec tout ce qui concerne le festival off d’Avignon, puis viennent une enquête sur l’humoriste Seb Mellia, accusé d’agressions sexuelles et de viols,  et une liste de recommandations sur Netflix.

Il faudrait a minima doubler notre parc d’abonnés numériques dans les deux ans. Le premier objectif est d’augmenter l’audience. Nous avons le temps pour que les lecteurs s’abonnent

IN. : la diffusion France payée est en très légère érosion, avec un recul tendanciel du papier et de fortes progressions sur les versions numériques. Quelles sont les tendances sur le digital et quels sont vos objectifs en termes d’abonnés ?

F.L. : nous avons aujourd’hui 425 000 abonnés payants, tous supports et tarifs confondus. Depuis deux ans, le parc d’abonnés numériques a été multiplié par quatre pour arriver à 40 000 abonnés payants. L’audience a progressé de 30 % à 14 millions de visites mensuelles. Notre communauté sur les réseaux sociaux a progressé de 50 % en quatre ans et de 20 à 30 % sur deux ans. Désormais, 1,6 million de personnes suivent la marque sur les réseaux sociaux. Il s’agit évidemment de continuer sur la même dynamique. Il faudrait a mimina doubler notre parc d’abonnés numériques dans les deux ans. Le premier objectif consiste à augmenter notre audience. De plus en plus de gens lisent déjà Télérama en gratuit. Nous avons le temps pour que les lecteurs s’abonnent.

IN. : les offres à 1 euro restent un moyen incontournable pour attirer ces jeunes publics ?

F.L. : la stratégie sur le numérique est une stratégie de conquête pour faire découvrir l’offre et inciter un maximum de gens à s’abonner. Une fois qu’ils s’abonnent – potentiellement avec des offres promotionnelles – et qu’ils ont passé une période de 3 à 6 mois, ils restent généralement abonnés. Enormément de lecteurs s’abonnent quand le site est gratuit. Une à deux fois par an, notamment au moment du festival de Cannes, nous organisons des journées ou des semaines portes-ouvertes. Tous les contenus sur le numérique sont en libre accès et, à la fin des articles, une mention indique « Si cela vous a plu, abonnez-vous ». Nous allons le proposer pour accompagner le lancement des nouveautés et la campagne de marque.

Les annonceurs du tourisme, de la banque-assurance et du luxe, dont les clients sont de grands consommateurs de culture, sont en hausse

IN. : quelle est la part de la publicité dans les revenus de la marque et quel levier de croissance représente-t-elle ?

F.L. : la publicité représente 9 % de notre chiffre d’affaires et constitue, avec les abonnés numériques, un levier de croissance. Le chiffre d’affaires a pu rester assez stable grâce au développement des revenus publicitaires numériques. La culture représente évidemment une large part du portefeuille d’annonceurs mais nous avons observé une vraie hausse du côté du tourisme, de la banque-assurance et du luxe, dont les clients sont de grands consommateurs de culture.

IN. : qu’en est-il de la diversification, par exemple avec l’organisation de festivals et rencontres avec le monde de la culture ?

F.L. : ce n’est presque pas de la diversification tant notre cœur de métier consiste à faire le lien entre la culture et les curieux de culture. Nous le faisons avec Télérama Dialogues, qui permet de rencontrer des artistes sur toute une journée, ou nos masterclass Rendez-vous en séries, qui ont lieu dans l’auditorium du groupe avec les acteurs d’une série. C’est très bien d’organiser ces rendez-vous pour nos abonnés fidèles, mais ces événements doivent aussi permettre de conquérir de nouvelles audiences. Nous sommes en train de repasser à la moulinette tous nos événements dans cet objectif. Il y aura sans doute une nouvelle stratégie en 2025.

L’offre de services va s’enrichir sur d’autres thématiques, par exemple sur le cinéma et sur les sorties culturelles

IN. : quelle est la suite du plan de développement de la marque ?

F.L. : sur le développement numérique, nous n’en sommes qu’au début. Énormément d’opportunités de développement nous attendent encore, tant sur l’audience que sur le portefeuille d’abonnés. L’offre de services va s’enrichir sur d’autres thématiques, par exemple sur le cinéma et sur les sorties culturelles. Nous allons aussi continuer à nous développer sur les réseaux sociaux…

IN. : Ingénieure Télécom ParisTech, vous êtes passée par TF1, Canal+ et L’Equipe, avant de rejoindre Télérama comme directrice du numérique (2021) puis d’être nommée présidente du directoire en mai 2022. En quoi votre culture d’ingénieure vous aide-t-elle à relever les défis dans une entreprise tout entière dédiée à la culture ?

F.L. : j’ai toujours voulu travailler dans les médias, ce qui n’est pas forcément commun chez les ingénieurs. Cette formation m’aide à aborder au quotidien les enjeux des médias qui se situent pour la plupart sur le développement numérique et touchent donc forcément à des sujets techniques. Tout en ayant personnellement une très grande appétence pour la culture et en étant moi-même lectrice de Télérama, cela me permet de comprendre de quoi il est question dans les échanges avec les équipes techniques. Cette culture scientifique m’apporte aussi un esprit analytique pour aborder les enjeux de modèle économique des médias et construire des business plans. J’aimerais bien qu’il y ait plus de profils d’ingénieurs dans les médias mais, pour le moment, il n’y en a pas beaucoup.

En savoir plus

Télérama en chiffres :

424 174 exemplaires de diffusion France payée (-0,96 % sur un an), selon la DSH 2023-2024 de l’ACPM.

Elle se répartit notamment entre 362 264 ex. pour les abonnés (-2,87 %), 32 698 ex. pour la vente au numéro (-5,86 %) et 28 774 versions numériques (+62,9 %), alors même que le magazine n’est présent sur aucun kiosque numérique (l’accord de distribution avec Canal+ a de plus été dénoncé en 2023, ndlr).

Au premier semestre 2024, le magazine comptait 1,96 million de lecteurs dernière période sur les 15 ans et plus (OneNext ACPM).

Sa rédaction emploie 135 journalistes en CDI.

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