Pendant l’été, des milliers d’américains et européens ont reçu de mystérieux courriers en provenance de Chine. Dedans, de simples graines et aucune explication. La situation a conduit les autorités sanitaires à interdire formellement de les planter ou même de les manipuler. Est-ce là une nouvelle étape dans la guerre froide sino-américaine, passant par une attaque biologique à coup d’espèces invasives ? Non, plutôt un exemple de la lutte sans merci que se livrent les e-commerçants pour obtenir de précieux avis client…
Ces colis sont en fait les maillons d’un processus de trucage des avis clients, nommé « brushing » et utilisé par les vendeurs chinois sur Alibaba et Amazon, comme l’explique Le Monde. Ceux-ci créent en masse de faux comptes de clients domiciliés aux États-Unis (par exemple) et leur font réaliser des achats. Au lieu d’expédier le produit dont il est question, ils expédient des biens peu coûteux, comme des graines.
Avec cette vraie-fausse transaction, validée par un avis d’expédition et de réception du colis, ils peuvent ensuite publier un commentaire sur le produit, évidemment positif. Beaucoup de sites e-commerce ne permettent en effet le dépôt d’avis qu’aux acheteurs vérifiés ou accordent davantage de crédit aux notations laissées par ceux-ci.
Un “marché” des faux avis
Cette technique n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres de dispositifs plus ou moins élaborés destinés à truquer les avis des clients sur les fiches produits. En Grande-Bretagne, Amazon vient récemment de supprimer 20 000 avis très positifs de sa plate-forme, après les révélations d’une enquête du Financial Times. Ces avis étaient pourtant émis par des sources très crédibles : sept des dix plus importants « testeurs » du site dans le pays…
Leur rythme de publication avait pourtant de quoi intriguer : l’un d’eux, Justin Fryer, a publié sur le seul mois d’août 2020 des avis à propos de produits divers et variés d’une valeur totale équivalente à 15 000 livres. Il publiait ainsi un avis « 5 étoiles » en moyenne toutes les quatre heures ! Son statut de « testeur star » ajoutait une crédibilité supplémentaire à ses avis. Il s’agissait d’un vrai business : même s’il recevait gratuitement les produits, leur revente sur des plateformes de seconde main lui assurait des revenus confortables…
Testeurs corrompus recrutés sur Facebook
Des chercheurs de UCLA se sont récemment penchés sur ce « marché des faux avis”, en écumant les groupes Facebook où se recrutent des testeurs corrompus. Leurs conclusions : “acheter des faux avis sur Facebook a un impact important sur les notes et les ventes, mais cet effet disparaît au bout d’un mois. Lorsque les vendeurs arrêtent d’acheter des avis, leurs notes moyennes diminuent rapidement et les avis négatifs augmentent fortement. C’est un signe que ces faux avis sont principalement utilisés pour des produits de mauvaise qualité, décevants voire dangereux pour les consommateurs”.
Jusqu’à 30% d’avis frauduleux sur Amazon
Selon Fakespot, qui édite un outil permettant aux internautes de détecter les vendeurs suspects grâce à l’intelligence artificielle, 30% des avis publiés sur Amazon en 2019 étaient frauduleux. Pour son concurrent ReviewMeta, ce chiffre est plus proche de 11%. Le problème ne se limite pas au e-commerce : Fakespot estime par exemple qu’un tiers des avis sur Tripadvisor sont faux. Le confinement aurait même contribué à accentuer le phénomène des faux avis, en raison du report massif des consommateurs vers les sites e-commerce. En mai, Fakespot estime ainsi que 58% des avis publiés sur la version britannique d’Amazon étaient frauduleux.
Comment détecter les avis, commentaires et notes non-légitimes ?
Mais comment détecter les avis, commentaires et notes non-légitimes ? Les solutions tierces comme Fakespot et ReviewMeta, tout comme les plateformes en ligne se sont attelées à la tâches depuis plusieurs années déjà. Dans son dernier “Transparency Report”, TripAdvisor indique par exemple employer des centaines d’analystes, “travaillant 24h/24 et 7j/7, dans 28 langues”, associés à des machines capables de traiter des avis se comptant en million. A l’issue de ce processus, le site de voyage indique rejeter 4.7% des commentaires reçus. Au total, TripAdvisor estime que seuls 2,1% des 66 millions d’avis traités chaque année sont considérés comme faux et 73% d’entre eux sont détectés avant leur mise en ligne.
500 millions de dollars en 2019 pour lutter contre les produits contrefaits
Pour sa part, Amazon affirme sur son blog avoir investi 500 millions de dollars en 2019 pour lutter contre les produits contrefaits et les faux avis. 8 000 employés seraient mobilisés sur le sujet à travers le monde, largement secondés par des intelligences artificielles. Mais malgré tous ces efforts, les fraudeurs ont, semble-t-il, toujours une longueur d’avance…