En août 2014, l’éditeur américain Marvel transforme Thor en femme. « Ce Thor n’est pas seulement un substitut féminin » annonce le communiqué de presse. « Elle est maintenant la seule Thor, et elle en est digne ». En sauvant le monde, les super-héros ont-ils aussi éradiqué les stéréotypes ? Analyse de Womenology.fr/aufeminin.com.
Les héros féminins ont peu à peu envahi Hollywood, conquis les albums de BD et mis le grappin sur la littérature. De nouveaux personnages y ont été appelés à régner. En 2013, Marvel créé la super héroïne Kamala Khan, une jeune adolescente musulmane de 16 ans, symbole d’une nouvelle visibilité des femmes. L’affaire « Thor » en 2014 enfonce le clou et enflamme les réseaux sociaux. Mais la maison d’édition réaffirme haut et fort son engagement : ce nouveau personnage « n’est pas Thor au féminin, Lady Thor ou Thorita. C’est Thor » twitte le Directeur éditorial de Marvel sur son compte. Elle rejoint d’autres héroïnes aux personnalités fortes telles que Captain Marvel, Black Widow ou Storm. Peut-on conclure pour autant que la féminisation du héros est créatrice d’équité ?
Des super- pouvoirs, super-sexués
Les super héros féminins et masculins ont-ils les mêmes capacités ? Dans ses travaux, Thierry Rogel, auteur de l’ouvrage Sociologie des super-héros a ainsi mis en évidence que la plupart des super héroïnes possèdent des pouvoirs relevant de la sorcellerie ou de la magie… Loïse Bilat et Gianni Haver soulignent dans leur ouvrage « Le héros était une femme » que les héros féminins sont souvent plus enclins à se battre corps et âme pour l’amour, la défense de leur enfant plutôt que pour sauver la planète, défendre la justice. Ainsi, dans les années 40, Wonder Woman ne craint rien ni personne pour combattre les ennemis nazis, mais c’est avant tout par amour pour le capitaine de l’armée américaine Trevor qu’elle fonce comme un homme.
De la même façon, Beatrix Kiddo dans Kill Bill, n’a qu’un but, retrouver sa fille. « Le corps (du super héros) masculin est un corps qui analyse et réfléchit, tandis que le corps (de la super héroïne) féminine est un corps qui exprime des sentiments profonds et subtils » souligne Christophe Peter, chercheur en science de l’information et de la communication.
Quand les stéréotypes font de la résistance
Il est vrai que la force n’est plus l’apanage des héros masculins. Il est vrai aussi que la féminité des héros féminins ne suffit pas à décrire leur capacité à séduire. « depuis Barbarella, elles ont toutes un même point commun : des formes et du muscle. Au service d’une nouvelle puissance féminine, et d’une liberté intraitable. Des femmes très séduisantes par leur féminité manifeste (…) mais séduisantes aussi par leur impressionnante capacité d’initiative et leur énergie inépuisable » souligne le sociologue Jean Claude Kaufman.
Mais les physiques des super héroïnes répondent, à l’heure actuelle, encore et toujours à des normes de beauté très caricaturées. Les représentations médiatiques des héros et héroïnes sont révélatrices de deux modèles de corps sexués répondant à deux objectifs opposés. « le corps masculin est un corps qui agit dans un but d’efficacité, à rebours du corps féminin qui est un corps qui se donne à voir avec un souci esthétique » souligne Christophe Peter. Tout se passe alors comme si l’acquisition de compétences dites masculines par des héroïnes, se devaient d’être compensées par des signes de féminité exacerbées. C’est ainsi dans une combi moulante au vertigineux décolleté que se glisse Lara Croft, qui n’en demeure pas moins une véritable machine à combattre.
Des faiblesses sémantiques
Fermez les yeux et pensez à un “héros”. Recommencez et identifiez visuellement une “heroine”. Demandez-vous maintenant si l’héroïne que vous avez imaginé pourrait accomplir les mêmes exploits que votre héros ? Pour les auteurs Loïse Bilat et Gianni Haver, le terme « héroïne » est enlisé dans une définition classique, celle d’un personnage secondaire cantonné à accompagner le héros masculin. Il est vrai que le terme « héros » renvoie aux attributs de la masculinité comme la force et le courage alors que « l’héroïne est beaucoup plus floue sémantiquement ». Faut-il privilégier les termes “héros féminins” et “héros masculins” que “héros” et “heroines” ?
N’oublie pas que tu es une femme
L’émancipation féminine ne doit surtout pas bousculer les structures sociales et les modèles familiaux. Les figures androgynes comme Ellen Ripley (Alien) ou Beatrix Kiddo (Kill Bill) sont renvoyées à leur devoir maternel. On ne cesse de rappeler à nos héros qu’ils sont féminins. Et on ne cesse de conditionner leur épanouissement personnel dans leurs relations avec les autres. Une situation d’autant plus dangereuse que « la fascination pour les super-héros commence dès le plus jeune âge. Malheureusement, pour les petites filles, les modèles d’identification sont limités : les super-héroïnes sont sous-représentées à l’écran, généralement hyper-sexualisées et réduites au rôle d’auxiliaire » constate la journaliste Sophie Gourion.
Les motivations et comportements des héros et des héroïnes affichent bien souvent des singularités prévisibles. Si James Bond s’inscrit dans une dépendance sexuelle à l’égard des femmes, son personnage est marqué par une « autosuffisance affective » que l’on ne retrouve pas chez les héros féminins. Les héros masculins obtiennent une indépendance tandis que les héros féminins se battent pour leur autonomie et celle de leurs proches.
En definitive, l’ennemi des héros féminins c’est l’idéologie patriarcale. C’est aussi l’idéologie hétéro-normée. D’ailleurs, sur la toile, « des initiatives individuelles bousculent les préjugés : une mère de famille a ainsi crée des coloriages mettant en scène les super-héros dans des représentations non genrés. On peut y voir Superman pleurer ou Batman cuisiner des gâteaux » relève Sophie Gourion. L’empowerment des héros féminins c’est également le thème choisi par le salon Happy Happening pour encourager les femmes à oser, entreprendre et se réaliser. Sauvons les super héroines. Et révélons des héros féminins.