Face à l’inflation, la grande distribution se mue en « grande défenseuse » du pouvoir d’achat.
Tous les économistes et les métriques l’affirment : l’inflation bat des records mois après mois et n’est pas prête de s’essouffler. Face à une situation économique éprouvante pour les ménages et qui modifie en profondeur leurs habitudes de consommation, les enseignes de la grande distribution font tout ce qui est en leur pouvoir pour sauvegarder leur place dans l’imaginaire collectif des Français et leurs intérêts économiques. La bataille sera rude.
Pour Jérôme Fourquet et Raphaël Llorca, auteurs du rapport La société de supermarché, rôle et place de la grande distribution dans la France contemporaine pour le compte de la Fondation Jean Jaures, il n’y a plus de toute possible : « la grande distribution constitue un indispensable point d’observation pour comprendre non seulement la société de consommation, mais la société dans son ensemble ». Dès la fin des trente glorieuses, le secteur a commencé « à développer son maillage du territoire et son réseau de points de vente, au point de faire du supermarché ou de l’hypermarché un élément générique et incontournable de n’importe quel paysage français ». Mais « l’influence et la place prises par la grande distribution sont aujourd’hui sans commune mesure » par rapport à la réalité décrite par George Perec dans son ouvrage Les choses, publié en 1965.
Pour les auteurs : « Au cours des dernières années, elle a également élargi son spectre d’influence. Aujourd’hui, fort de son rôle économique majeur, ce secteur joue à l’échelle de l’État, allant jusqu’à être tenté de venir concurrencer certaines de ses prérogatives », au point d’annoncer l’avènement d’une « société de supermarché ». Une expression qui désigne « le développement, l’extension puis le dépassement de la société de marché dans le supermarché », mais qui est également à entendre au sens de société structurée par et autour de ses supermarchés, organisant une bonne part des rapports sociaux. En bref, les enseignes qui la composent sont devenu des acteurs tangibles du débats public et de véritables « corps intermédiaires qui ont pris la place du parti politique et de l’église ».
Un grand pouvoir implique de grande responsabilité
Une place de choix dans notre cité que l’inflation brutale des produits énergétiques et essentiels ne risque pas de remettre cause. Comme l’expliquait hier matin Nicolas Demorand sur France Inter : « Tout simplement parce qu’une partie de la bataille du pouvoir d’achat se joue dans les super et les hypermarchés ». Selon le dernier rapport de l’institut IRI, publié la semaine dernière, l’inflation des produits alimentaires et de grande consommation s’élève en moyenne à 7,9 % par rapport à août 2021 sur tous les circuits de distribution. Un nouveau record après une hausse de 6,7 % en juillet, de 4,9 % en juin et de 3,8 % en mai. Parmi les augmentations les plus spectaculaires, on retrouve les prix de la viande surgelée – +28,7 % –, des pâtes alimentaires – +19,8 % –, des rouleaux d’emballage alimentaire – + 18,3 % – et les mouchoirs en papier – +18,2 % –.
Pour Alexandre Bompard, directeur général de Carrefour cette inflation a déjà commencé à modifier durablement les comportements des consommateurs. Lors d’une table ronde organisée dans le cadre de la conférence annuelle post-estivale de la fédération patronale française Medef, il a ainsi déclaré que les débats sur le point de bascule où l’inflation atteindrait son pic étaient futiles et que le plus important à prendre en compte était la nouvelle approche des consommateurs, plus soucieux de leur argent, en matière d’achats. Avant d’expliquer : « Vous faites des choix en faveur des prix les plus bas, des ventes. Je ne vais pas acheter du bœuf, mais du porc, le moins cher ; je ne vais pas acheter du poisson ; je ne vais pas acheter des produits biologiques. Ce phénomène est là, il est profond et il a pris de l’ampleur ces dernières semaines ». Un constat qu’une autre métrique, tout sauf encourageante, semble valider : comme le montre une enquête réalisée conjointement par l’INSEE et la DREES et les déclarations des acteurs sur le terrain : les banques alimentaires n’ont jamais été aussi débordées que cet été.
Un positionnement nécessaire mais qui pose question
Mais pas question de se tourner les pouces pour ces marques toutes puissantes, au risque de perdre du terrain dans nos cœurs et dans nos portefeuilles. La solution ? S’adapter à ce changement de paradigme en s’affichant comme les défenseurs du pouvoir d’achat de leurs clients par le biais de campagnes promotionnelles visant à geler les prix d’une série de produits quotidiens. Lundi dernier, Carrefour a annoncé qu’il maintiendrait les prix de plus de 100 produits essentiels inchangés pendant les 100 prochains jours. La liste des articles comprend des céréales, du café, des conserves de légumes, des détergents et des couches. Le géant du secteur, qui compte plus de 1 400 magasins en France, a déclaré que ce gel faisait partie de son « défi anti-inflation », mais a ajouté que les prix pourraient, en théorie, augmenter à nouveau si les droits de douane sur certains produits faisaient de même. « A l’heure où tout augmente, Carrefour redouble d’efforts pour permettre à ses clients de préserver au maximum leur quotidien », a déclaré l’enseigne sur son site internet.
Une annonce qui intervient après que E.Leclerc a déclaré le mois dernier qu’elle plafonnerait les prix de plus de 230 de ses produits essentiels jusqu’à début décembre, prolongeant ainsi le gel des prix qu’elle avait d’abord introduit pour 120 articles en mai. Des décisions encourageantes mais qui marquent un basculement communication initié dès le début de la pandémie, estime Raphaël Llorca. Interrogé par La Croix, ce dernier explique : « « À travers leurs publicités depuis deux ans, c’est comme si les grandes enseignes étaient devenues les porte-voix, les relais du ressenti et des frustrations de la population. Comme si elles étaient du côté du peuple, face à un pouvoir qui aurait pris conscience bien après elles des difficultés des Français ».
L’Etat va-t-il sortir le chéquier ?
Mais la bataille est loin d’être gagnée. D’autant plus qu’Auchan, Intermarché et consorts sont loin d’être épargnés par la hausse des prix, notamment des produits énergétiques. La fédération Perifem, qui rassemble tous les acteurs de la distribution, a ainsi réclamé ce mercredi « un soutien exceptionnel » de la part du gouvernement. Au centre de leur préoccupation ? La mise en place d’un « d’un tarif réglementé d’urgence ». La fédération explique dans un communiqué que : « le coût actuel de l’énergie – 1.600 euros/MWh – aboutirait à une augmentation de la facture pour les distributeurs alimentaires d’1,5 milliard d’euros par an. Ce chiffre pourrait impacter significativement les prix mais aussi entraîner des ruptures de la chaîne d’approvisionnement par l’arrêt de certains fournisseurs ». Les enseignes soulignent que « l’augmentation des coûts de l’énergie en France est bien plus importante que dans les pays européens voisins, 2 fois plus chère qu’en Belgique par exemple », dénonçant « une spéculation sur le territoire français qu’il faut absolument juguler pour permettre à notre économie de fonctionner ». D’autant plus que nous sommes loin de pouvoir en espérant une accalmie dans les mois qui viennent. Une telle accumulation de facteurs inflationnistes pourrait bien entrainer des hausses de tarifs infondées chez beaucoup de retailers. Il en reviendrait alors, encore une fois, aux consommateurs d’en payer le prix fort.
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