13 septembre 2024

Temps de lecture : 4 min

Etats généraux de l’information : 15 propositions et un droit de suite espéré

Les Etats généraux de l’information ont rendu leurs conclusions jeudi 12 septembre 2024. Quinze propositions ont été formulées par le comité de pilotage. Elles ont vocation à servir de cadre à une action globale qui doit notamment permettre de renforcer la liberté d’informer mais aussi lutter contre la paupérisation des entreprises du secteur.

Les participants à la table ronde « Préserver l’espace public français » (c) Philémon Henry/MC/SIPA PRESS

Après neuf mois de travail, les Etats généraux de l’information ont levé le voile jeudi 12 septembre 2024 sur les propositions issues de ses cinq groupes de travail et rendu public leur rapport de quelque 350 pages. Il y est tout à la fois question de lutte contre la désinformation, de gouvernance des médias d’information, de pluralisme et de concentration, de l’attitude à adopter vis-à-vis des plateformes et de leurs algorithmes, de répartition de la valeur… « Tout n’est pas parfait, pas complet, mais ce n’est pas un ensemble de formules magiques. Nous demandons un droit de suite sur ces propositions pour qu’elles rentrent en application », a indiqué Bruno Patino (Arte), président du comité de pilotage des États généraux de l’information. « Nous avons travaillé autour de la certitude que l’information est un bien commun, de la liberté du citoyen de s’informer, celles du journaliste d’exercer sa profession à l’abri des pressions et de l’entrepreneur d’exercer son activité, du besoin de lutter contre la paupérisation des entreprises et des journalistes », a-t-il précisé.

Le comité de pilotage a énoncé neuf propositions pour préserver l’espace public français et six pour contribuer à la construction de l’espace public européen (voir encadré). Il a aussi formulé deux recommandations aux professionnels de l’information « en faveur d’une démarche volontaire et plurielle de labellisation, qui donne au citoyen des outils de liberté et de choix, et permet une plus grande efficacité des politiques publiques », a précisé Bruno Patino. Le comité appelle aussi la profession à construire un outil de gestion collective pour les médias d’information. Il pourrait agir comme un service « data safe » pour les données en provenance des opérateurs numériques, s’assurer du respect des accords de droits voisins, et préparer le modèle économique engendré par l’Intelligence artificielle.

Différentes mesures ont été détaillées à l’occasion de tables rondes. Focus sur celles qui ont plus particulièrement trait aux modèles économiques et organisationnels.

Plus de transparence dans les investissements publicitaires

Sur le volet économique, il a bien-sûr été question de publicité. « Le modèle économique des médias qui traitent d’information est parfois fragile », d’autant que la croissance de la publicité est largement captée par les plateformes, a rappelé Christopher Baldelli (Public Sénat), président du groupe de travail « Avenir des médias d’information et du journalisme ». « La responsabilité citoyenne doit s’exercer par l’Etat et les entreprises, via l’identification de la part de publicité qu’elles consacrent aux médias classiques d’information, quand bien même ils seraient numériques », a-t-il indiqué.  Cette transparence pourrait être formalisée par une obligation de déclaration dans les rapports RSE des montants alloués à ces médias.

Le groupe de travail a aussi suggéré de mettre en place une charte tripartie entre les médias, les annonceurs et les agences pour « lever les freins à l’investissement publicitaire dans les médias d’information ». Et d’instaurer une taxe sur les GAFAM dont le produit viserait à renforcer le modèle économique des médias contribuant à la production d’une information fiable et de qualité. Avant que cette nouvelle contribution ne soit mise en place, le rapport préconise, dans un premier temps, que l’État consacre une partie des ressources budgétaires au financement d’initiatives qui soutiennent les externalités positives, la production d’information, en se concentrant sur la lutte contre la désinformation et la sauvegarde de l’emploi de journalistes dans les rédactions.

Simplifier radicalement les dispositifs sur le pluralisme

Dans un paysage français largement financé par les industriels et les « milliardaires », la question de la concentration et du pluralisme refait régulièrement surface. Pour Isabelle Falque-Pierrotin (Autorité nationale des jeux), présidente du groupe de travail « L’État et la régulation », « les dispositifs sont trop compliqués en matière de pluralisme. On additionne des seuils de concentration mais on ne prend pas en compte une vision consolidée du point de vue de l’influence d’un acteur, ni même les audiences numériques ». Son groupe de travail a donc fait « une proposition radicale », inspirée du modèle allemand, qui « plafonne l’emprise médiatique maximum qu’un acteur de l’industrie des médias peut avoir sur le territoire national ». En Allemagne, où ce seuil est fixé à 30 %, une opération de concentration d’Axel Springer a ainsi été rejetée, a-t-elle noté. En France, une simulation avec la règle allemande montre que « tous les acteurs passeraient le test » mais il appartiendrait au Parlement de décider du pourcentage qu’il conviendrait d’adopter… Les plateformes numériques devraient communiquer leurs audiences afin d’être intégrées dans le test.

Vers une société à mission d’information ?

L’information n’étant pas « un bien comme un autre » mais « un bien dont nous répondons tous », a rappelé Pascal Ruffenach (Bayard), président du groupe de travail « Citoyenneté, information et démocratie », elle appelle à « une autre forme de gouvernance qui pourrait être dérivée de la société à mission créée par la loi Pacte de 2019 » qui bénéficierait, en contrepartie de ses engagements, d’aides de l’Etat bonifiées de manière significative. Cette société à mission d’information pourrait être gouvernée par des citoyens, des lecteurs ou des abonnés, et des journalistes, engagerait un seuil minimum de journalistes disposant d’une carte de presse, associerait la rédaction au changement de direction décidé par l’actionnaire… Elle pourrait contribuer à la politique d’éducation aux médias avec des obligations de moyens, ou encore promouvoir une « éthique de la discussion » par l’organisation de débats et de discussions publiques. Côté contenus, la société à mission d’information pourrait s’engager à « s’adresser davantage aux jeunes, promouvoir l’information économique en France, l’information sur le climat… », a esquissé Pascal Ruffenach.

Les droits des rédactions « très débattus »

Les relations entre journalistes et actionnaires des médias d’information ont aussi été au menu des Etats généraux. « Le droit de véto ou le droit d’agrément des rédactions ont focalisé beaucoup d’attention. Les sujets ont été très débattus », a reconnu Christopher Baldelli. Les entreprises qui ont donné un droit d’agrément à leur rédaction sont actuellement très peu nombreuses, essentiellement dans la PQN (notamment au Monde). « Nous avons préféré un droit de véto aux deux tiers plutôt qu’un droit d’agrément, qui permet un bon équilibre entre la logique capitalistique et les droits des journalistes », a avancé Isabelle Falque-Pierrotin.

En savoir plus

Les 15 propositions du comité de pilotage :

I – Sauvegarder l’espace public français

  • Faire de l’éducation à l’esprit critique et aux médias à l’école une priorité
  • Neutraliser la désinformation par une sensibilisation préventive à grande échelle (pre-bunking)
  • Étendre la qualité de société à mission aux entreprises d’information
  • Améliorer la gouvernance des médias d’information
  • Renforcer la protection du secret des sources et légiférer contre les procédures-bâillons
  • Proposer une labellisation volontaire des influenceurs d’information
  • Créer une nouvelle responsabilité : la responsabilité démocratique
  • Redistribuer une partie de la richesse captée par les fournisseurs de services numériques en faveur de l’information
  • Assurer le pluralisme des médias dans le cadre des opérations de concentration

II – Construire l’espace public européen

  • Pour une reconnaissance européenne du droit à l’information
  • Instaurer un pluralisme effectif des algorithmes
  • Rendre le marché de l’intermédiation publicitaire en ligne plus concurrentiel pour permettre un partage de la valeur équilibré
  • Instaurer une obligation d’affichage des contenus d’information pour les très grandes plateformes
  • Rendre effectives les responsabilités des grandes plateformes dans la lutte contre la désinformation et le cyberharcèlement en préparant un « acte II » du règlement sur les services numériques (DSA)
  • Consolider une politique de lutte contre la désinformation à l’échelle européenne

 

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