Trouver des aiguilles dans une botte de foin ? La comparaison nous vient vite à l’esprit lorsque nous découvrons la mission ambitieuse et louable que s’est fixée Place Network. Cette association fondée en 2017 vise à aider les « nouveaux arrivants » dans un pays, qu’ils soient migrants, demandeurs d’asile ou réfugiés afin de devenir « des leaders crédibles, des contributeurs influents et des créateurs actifs dans les sociétés européennes qui les accueillent ». Pour faire simple, cette organisation cherche et forme parmi les milliers d’étrangers qui arrivent chaque année sur notre continent les individus qui pourraient devenir les leaders de demain.
Trouver ces perles rares ressemble à un challenge ambitieux pour ne pas dire impossible. « Cette sélection n’est pourtant pas le défi le plus difficile que nous devons relever, explique Charlotte Hochman, qui a lancé Place Network tout en continuant de diriger Wow!Labs, un studio d’innovation qui propose des solutions aux entreprises, aux universités et aux municipalités. Le plus compliqué est de convaincre nos partenaires et notamment les sociétés à accepter ces talents qui viennent d’ailleurs… »
Changer l’image des migrants
Cette initiative est née en plein cœur de la crise des réfugiés de 2015. « Ces personnes étaient sans cesse décrites dans les médias comme des fardeaux, regrette Charlotte Hochman. Personne ne disait qu’elles pouvaient, au contraire, aider les pays qui les accueillaient à innover. Nous avons donc voulu être proactifs et montrer que ces migrants pouvaient être de véritables actifs à la fois culturels, sociaux et économiques pour l’Europe. » Pour trouver ces potentiels leaders, l’association a mis en place un processus de sélection très efficace. « Les candidats doivent nous envoyer une demande sur internet. Nous utilisons ensuite les réseaux sociaux pour mieux les connaître et nous organisons pour les personnes que nous avons sélectionné une interview vidéo, énumère la fondatrice de Place Network. Pour nous faire un jugement, nous prenons en compte leurs réponses mais nous analysons aussi la manière dont elles s’expriment et leur empathie. Notre équipe interculturelle qui comprend douze salariés nous a permis de mettre au point une méthodologie de recrutement très efficace. Notre réseau nous aide également à trouver des leaders émergents ayant un fort potentiel. Mais vous savez, les talents ne manquent pas… » Diplômés, enseignants, médecins, cadres dirigeants, jeunes prometteurs… De nombreux migrants ont un savoir et une expérience immense lorsqu’ils arrivent dans nos pays.
Trouver des « catalyseurs » qui enseigneront à leur tour
Une fois sélectionnés, les candidats suivent durant neuf mois une formation en ligne qui leur enseigne notamment comment diriger, ainsi que les meilleures méthodes pour former des alliances ou développer leur influence sur la Toile. Après avoir suivi ce programme certifié, ces « nouveaux arrivants » deviennent des « catalyseurs » pour l’association. Leur rôle (ils sont aujourd’hui 300) est alors d’animer des tables rondes avec d’autres migrants pour les aider à devenir de futurs leaders. Place Network cherche ainsi à amorcer une pompe qui permettra aux étrangers qui viennent en Europe de s’entraider pour se préparer à leur entrée dans la vie active dans le pays où ils résident. L’enjeu pour ces personnes est énorme.
« Un migrant perd en moyenne entre cinq et dix années de sa carrière professionnelle lorsqu’il s’installe dans nos pays, regrette Charlotte Hochman qui a étudié à l’Université d’Oxford et à l’Insead. Notre objectif est de réduire ce fossé à deux ans. Il nous faut pour cela développer des partenariats avec les employeurs pour qu’ils deviennent parties prenantes de notre action. Nous voulons les aider à trouver des talents mais il est parfois difficile de faire évoluer les mentalités… » L’association fondée par cette mère de deux enfants, qui préfère s’exprimer en anglais plutôt qu’en français lorsqu’elle doit parler de son travail, travaille déjà étroitement avec L’Oréal et l’Ecole des Ponts pour intégrer dans leur entreprise des futurs leaders qui ont suivi son cursus. De plus en plus de sociétés comprennent l’intérêt de ce type d’initiative. « Place Network nous fait changer de regard sur la migration et la considérer comme un atout en termes de culture, de société et d’économie, reconnaît Ilka Horstmeier, la DRH et membre du conseil d’administration de BMW AG qui marraine le Prix de l’innovation interculturelle de l’Alliance des Nations Unies pour les civilisations. Pour moi, l’équipe multiculturelle qui travaille chez Place est, elle-même, un modèle de la façon dont la collaboration interculturelle peut fonctionner dans la pratique et de la valeur qu’elle ajoute à la société. »
La boule de neige est prête à être lancée
L’association, qui a été la seule structure française à figurer parmi les dix lauréats qui ont reçu la semaine dernière à Dubaï le Prix de l’innovation interculturelle, veut aujourd’hui aller plus loin et accélérer son développement. « Nous avons déjà testé notre modèle dans dix-sept pays, explique Charlotte Hochman qui a fondé et dirigé pendant sept ans La Ruche Développement, un réseau de huit espaces en France qui accompagne la naissance et le développement de projets responsables. Nous n’avons pas pour ambition de former nous-mêmes des milliers de migrants mais notre programme peut désormais être appliqué par d’autres pour aider des nouveaux arrivants à devenir de futurs leaders dans leur nouveau pays de résidence. » Ces initiatives méritent d’être mises en avant dans le contexte politique actuel…