22 novembre 2024

Temps de lecture : 8 min

Eric Tong Cuong (La Chose) : « dès la retraite, je ferai un stage pour me lancer dans un CAP de mécano »

On peut être publicitaire, ancien punk, ex-patron de EMI, et fondateur du label Naïve et… coudre les boutons à la maison (si, si...). Le président de La Chose Eric Tong Cuong répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige.

INfluencia : votre coup de cœur ?

Eric Tong Cuong : sans hésitation, les Jeux olympiques et paralympiques. J’étais critique au départ comme beaucoup de gens mais j’ai été bluffé. J’ai eu la chance d’assister aux JO de Sydney en 2000 mais là, faire des jeux au centre de Paris, quelle gageure ! Et tout a été complétement réussi. Il y avait un côté bon enfant et jouissif pendant ce mois et demi où la France a été le centre du monde, où le vivre ensemble était présent, où on se respectait tous. Où l’effort était récompensé. Quelque chose de très dissonant par rapport à l’époque actuelle. Je suis en train de devenir un vieux monsieur (rires) mais il y avait une vraie communion et une fierté d’être français. C’est cela le monde dont je rêvais pour le troisième millénaire. Il ne faut pas bouder notre plaisir, c’est une époque où on le fait trop souvent…

 La vérité n’a aucun intérêt en termes de monétisation

IN. : et votre coup de colère ?

E.TC. : il est contre la disparition des nuances qui est orchestrée dans les réseaux sociaux par rapport aux grands médias. Autrefois les médias avaient un devoir de trouver un barycentre, c’est-à-dire d’être à équidistance des intérêts des différentes cibles. Aujourd’hui il n’y a plus de nuances. Je fais partie de la génération Nova et Jean-François Bizot était l’un de mes papas spirituels. C’était quelqu’un de génial dans son côté « je crame ma fortune pour faire avancer les idées et les consciences ». Il croyait aux individus, cassait les barrières, aimait faire des expériences, des croisements entre les gens. Tous les talents sont passés par Nova : Ariel Wizman, Omar Sy, Jamel Debbouze, Ruddy AboabLilian Thuram débarquait quand il y avait des questions de racisme. Tout le monde essayait de trouver des ponts. C’était la richesse du vivre ensemble. Aujourd’hui il n’y en a plus, les gens sont dans l’entre-soi, dans des communautés. Et si on adhère à une chose, on doit acheter l’intégralité. Les algorithmes amplifient le phénomène. Avant, ce n’était pas parce que cela faisait du buzz que cela méritait d’être discuté. Aujourd’hui, ce n’est que ça et cela accentue la bipolarisation. C‘est très destructeur, les gens ne se parlent plus et moi je suis paumé.

Je me souviens, en 2007, Jean-François Bizot nous avait réunis dans son château, MC Solaar, Michel-Antoine Burnier, ma femme Valérie et moi-même. Le sujet : « un manuel de savoir-vivre au 3ème millénaire ». A l’époque je m’étais dit : « mais il est fou, que va-t-on faire de ce truc » ? Aujourd’hui je comprends à quel point c’était indispensable. On est loin de la croyance que le troisième millénaire sera spirituel ou ne sera pas. Les algorithmes n’ont pas de jugement de valeur, quand on balance un mensonge, cela fait 10 fois plus d’audience… La vérité n’a aucun intérêt en termes de monétisation.

On lit dans les textes qu’un être décédé vit à vos côtés, j’y crois beaucoup

IN. : la personne qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

E.TC. : c’est mon frère cadet Xavier. On faisait tout ensemble. Ma jeunesse a été marquée par sa maladie et puis, à la fin, par sa mort à l’âge de 17 ans d’un cancer qui avait commencé neuf ans plus tôt. Ma mère l’amenait faire ses chimio à Villejuif et, à l’époque dans les années 70, c’était très violent. Sa mort a été extrêmement structurante mais elle m’a également déstructuré. J’avais un côté « il faut aller vite parce qu’on ne sait jamais ». J’étais depuis un an à HEC quand il est parti. C’est lui qui m’avait appelé pour me dire que j’étais admis, il m’avait dit : « comme cela tu pourras me filer un boulot ». Il a été jusqu’au bout dans l’instant présent, dans l’envie de profiter de la vie. Je n’ai pas assez pris cela comme leçon et je travaille beaucoup maintenant pour y arriver. On lit dans les textes qu’un être décédé vit à vos côtés, j’y crois beaucoup. Il a toujours été en moi et j’ai toujours fait appel à lui quand j’avais des soucis.

Je suis très fier d’avoir appris à Paul McCartney le mot « époustouflant »

Sur un plan moins personnel, l’une des mes grandes rencontres -en dehors de Jean-François Bizot que j’ai évoqué précédemment- a été Paul Mc McCartney. C’est Jean-Marie Dru qui m’a fait réécouter Les Beatles. Je venais d’une période punk, où il fallait tout désapprendre, ce qui était nul de ma part. Mais quand on est ado, on croit à des bêtises. Aujourd’hui je le regrette. Je suis en train d’apprendre à jouer à la guitare « Blackbird », « Julia » et « Because ». Quand j’étais chez EMI, j’ai eu la chance de rencontrer Paul McCartney à plusieurs reprises, une première fois pendant une heure et demie au Stade de France et je suis très fier de lui avoir appris le mot « époustouflant ». Cet homme est l’âme des Beatles, c’est vraiment un génie, et en plus il est d’une grande simplicité

J’ai réussi à accomplir mes rêves d’adolescent, parfois cela m’a coûté cher. Mais je suis content d’être allé au bout

IN. : votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire

E.TC. : en fait j’ai un peu suivi mes rêves d’enfant puisqu’ils étaient d’être dans la musique. Quand j’étais jeune, j’ai été marqué par quelqu’un de très important en Grande Bretagne, John Peel, un DJ, présentateur radio et journaliste anglais sur la BBC, très connu pour ses goûts musicaux éclectiques. Il a découvert énormément de groupes qu’il aidait à faire connaître. Je me souviens, quand j’étais dans ma chambre, dans ma banlieue sud, je me branchais en radio ondes moyennes – ceux qui écoutent la musique sur Internet ne peuvent pas imaginer que c’était la seule façon à l’époque (rires) – Il avait une belle formule qu’il a fait graver sur sa pierre tombale : « teenage dreams, so hard to beat ».
J’ai réussi à accomplir mes rêves d’adolescent. Parfois cela m’a coûté cher et j’ai pris des baffes, mais je suis content d’être allé au bout. J’ai créé un label indépendant (ndlr : Naïve, lancé en 1997 avec Patrick Zelnik), j’ai fait des disques et donc j’ai été producteur (ndlr : il a dirigé en 2003 la major musicale EMI France), j’ai eu mon groupe Quark (ndlr : qui a sorti 4 albums). Si c’était à refaire, je le referais.

  Le travail manuel est très utile parce qu’il remplace les psy et que ça coûte beaucoup moins cher

IN. : votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

E.TC.: mon père m’a toujours dit : « tu es un intello, par contre, tu n’es vraiment pas un manuel ». Comme souvent, on cherche à démontrer que ce que disent les parents est faux et je n’ai eu de cesse de travailler de mes mains. Je ne suis pas le meilleur artisan du monde mais j’ai voulu montrer que j’étais capable de faire des choses. A la maison, c’est moi qui couds les boutons. Avec mon copain Yohann, malheureusement décédé pendant le Covid, j’ai fabriqué mes propres guitares, petit à petit en apprenant. Je bricole aussi des bagnoles. Donc dès que je serai à la retraite, je ferai un stage dans le 91 pour me lancer dans un CAP de mécano, parce que je suis fasciné par les gens qui savent faire des trucs de leurs mains. Comme j’étais un peu traumatisé par les commentaires de mon père, j’essaie de lui prouver l’inverse. En même temps, le travail manuel est très utile parce qu’il remplace les psys et coûte beaucoup moins cher (rires).

Les journalistes racontent des histoires quand ils parlent de l’influence des communicants sur les politiques, c’est du bullshit

IN. : votre plus grand échec ? (idem)

E.TC. : je n’ai pas la main verte sur la communication politique. Je faisais partie de l’Atelier de Lionel Jospin, pendant la campagne présidentielle de 2002, par l’entremise du publicitaire Jean-Pierre Audour. Cela a été une expérience très douloureuse. Il y avait une quarantaine de publicitaires, dont Stéphane Fouks, Christophe Lambert et Jacques Séguéla. C’était n’importe quoi, une sorte de foire aux vanités j’ai pris une grosse claque. Jospin, que tout le monde voyait gagner, n’est même pas allé au 2e tour : trop de communicants qui donnent leur avis, plein d’erreurs d’appréciation dont celle de dire qu’il n’avait pas besoin des voix de Christiane Taubira, la petite phrase de Jospin sur Chirac : « vieux, usé, fatigué », qui a fait basculer les femmes et les seniors et des certitudes mises à mal…

Ensuite, j’ai repris du service à la fin du mandat de François Hollande, avec une bonne campagne de bilan #quoiqu’onendise mais trop tard pour une remontada.  Finalement, les politiques font ce qu’ils veulent. Comme me le disait un ancien attaché parlementaire avec qui j’ai travaillé au moment de la campagne de Hollande : « c’est quand même difficile d’écrire des stratégies pour des gens qui les respectent maximum 6 jours ! ». La morale de tout cela, c’est que les journalistes racontent des histoires quand ils parlent de l’influence des communicants sur les politiques. C’est du bullshit ! Il n’y a rien de moins vrai et ce n’est pas plus mal. À chacun son métier et les vaches sont bien gardées.

Sinon, mon autre plus gros récent échec est le jour où ma femme a décidé d’arrêter notre groupe Quark et nous a mis au chômage technique (rires)

IN :  vos auteurs favoris en prose

E.TC. : en dehors de ma femme bien sûr (ndlr : la romancière Valérie Tong Cuong, dont le dernier livre « Voltiges » vient de paraître), je suis très Camus. Et d’ailleurs je trouve que Valérie a une façon sociale de traiter l’humanité qui me fait penser à Camus… Sinon, je lis beaucoup les grands auteurs américains. Et pour vous donner le nom d’un auteur relativement récent que les gens doivent absolument lire, je vous citerais Marlon James, un Jamaïcain qui vit aux Etats-Unis et écrit depuis une vingtaine d’années. Le premier livre que j’ai dévoré, parce que je suis un fan de reggae et de dub, s’appelle « Brève histoire de sept meurtres » (titre original : A Brief History of Seven Killings). Le roman survole plusieurs décennies, explore la tentative d’assassinat de Bob Marley en Jamaïque à la fin des années 1970 vue par plusieurs protagonistes, ses conséquences à travers les guerres du crack à New York dans les années 1980 et les transformations de la Jamaïque dans les années 1990. C’est vraiment passionnant. Un deuxième ouvrage « The Book of Night Women » traite de la révolte d’une femme esclave dans une plantation en Jamaïque au début du XIXe siècle. Je n’ai jamais lu quelque chose d’aussi violent sur l’esclavagisme. C’est un monument. Et j’ai également beaucoup apprécié « Léopard noir, loup rouge », un roman plus récent de dark fantasy qui n’a rien à voir avec ce qu’il a écrit mais qui est très original.

 IN. : une question que vous redoutez

E.TC. : à mon âge, je ne réponds pas aux questions que je redoute (rires).

Mahomet et Jésus sur une île déserte auraient tellement de choses à se dire

IN. : quel personnage historique emmèneriez-vous sur une île déserte ?

E.TC. : j’en emmènerais deux : Mahomet, et Jésus pour qu’ils rétablissent la vérité sur ce qu’ils ont vraiment voulu dire dans les sourates ou les évangiles, et qu’on arrête de se baser sur ce que des gens qui ne les ont pas connus ont interprété. Le fait d’être sur une île déserte sur laquelle ils seraient obligés de rester pendant un certain temps leur donnerait également le temps de discuter entre eux et ils auraient tellement de choses à se dire.

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

En savoir plus

La Chose a 18 ans. Une nouvelle équipe a été nommée : Antoine Barth, directeur de création a rejoint l’agence en septembre dernier, et Morgane Mathern-Nguyen (qui était directrice du développement) a pris les fonctions de DGA en octobre.

Principaux clients de l’agence : AG2R (pour laquelle l’agence a produit cet été un spot TV et digital avec Maud Perrin, multimédaillée française de parapente acrobatique), PFG, Upsa, Lierac, Monnaie de Paris, Saforelle, Macif, Greenpeace

 

Allez plus loin avec Influencia

the good newsletter

LES FORMATIONS INFLUENCIA

les abonnements Influencia