Eric Briones : « Les Z sont à la fois le pilier d’hypercroissance et le talon d’Achille du luxe »
Directeur du Journal du Luxe, cofondateur de Paris School of Luxury et planneur stratégique chez Darkplanning, Eric Briones vient de publier aux éditions Dunod un livre intitulé « La Génération Z & Le Luxe ». Surconsommateurs de grandes marques et obsédés par l’argent, ces jeunes nés entre le milieu des années 1990 et le début des années 2010, ont aussi une vision très radicale et sans pitié qui fragilise certains géants du luxe. Entretien...
INfluencia : Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire cet ouvrage ?
Eric Briones : Je fais du planning stratégique sur les jeunesses depuis quinze ans et j’ai créé parallèlement une école de luxe à Paris. Les millennials m’ont passionné. Il y a dix ans, j’ai écrit un livre sur la Génération Y et le luxe et il y a quatre ans, j’ai publié un ouvrage intitulé Le Choc Z. Mon tout dernier livre représente un peu le troisième volet de cette série et j’espère un jour préparer une étude sur la Génération Alpha.
IN. : Existent-ils de grandes différences entre les générations Y et Z ?
E. B. : Ces différences sont comparables à celles qui existent entre Instagram et TikTok. Les millennials souhaitent un monde « parfait » qu’ils montrent sur Instagramqui est, ni plus ni moins, que la version digitale du papier glacé des magazines. La Gen Z est beaucoup plus « brat ». Elle cherche le réel et ses félûres. Tout ce qui est parfait est suspect pour eux. Cela a un fort impact sur leurs relations avec le luxe.
IN. : Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
E. B. : Pour les millennials, le luxe est très lié aux marques. Ils sont à la recherche du luxe parfait et souhaiteraient avoir leur propre marque. Pour la Gen Z, le luxe est davantage un lifestyle qui inclut leurs marques préférées mais aussi le monde qui les entoure et les partis pour lesquels ils votent. On parle pour cette classe d’âge d’aesthetic.
IN. : Cela ne les détourne pas des grandes marques de luxe ?
E. B. : Au contraire. Les Z sont fous du luxe qui n’est plus un extra pour eux mais une véritable obsession quotidienne. Leur consommation de produits de luxe a sextuplé en cinq ans. Les millennials effectuaient leur premier achat de luxe a 20 ans. Cette moyenne est tombée à 15 ans pour la Gen Z. Cette différence de cinq années est énorme. Les Z représentent déjà 20% du business du luxe et ce chiffre pourrait atteindre 30% d’ici cinq ans. Ces estimations ne prennent pas en compte la seconde main et cette génération en est une des plus importantes sur-consommatrices. Le luxe a aussi un rôle d’antidépresseur pour ces jeunes.
IN. : Qu’entendez-vous par là ?
E. B. : Les réseaux sociaux font souffrir les Z et impactent leur confiance en eux. On trouve beaucoup de dépressifs dans cette génération. Le luxe représente une sorte d’antidépresseur pour eux.
IN. : Quelles sont leurs marques préférées ?
E. B. : Depuis près deux ans, le trio de tête n’a pas changé. Il comprend Prada, Miu Miu et Loewe. Ces trois marques sont « genderless » et très engagées socialement. Le dernier défilé printemps-été de Miu Miu à Paris questionnait l’impact de la technologie sur la conscience. La Gen Z considère le luxe comme un objet culturel à part entière. Lorsqu’il porte un vêtement ou un objet d’une grande marque, ils ont l’impression d’être de véritables musées mobiles.
IN. : Les récents résultats financiers des grands groupes de luxe affichent pourtant une baisse sensible. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
E. B. : Les Z sont à la fois le pilier d’hypercroissance et le talon d’Achille du luxe. Cette génération a une relation décomplexée avec le luxe. Ils ne sont pas intimidés par les grandes marques et sont irrévérencieux. Ils ont aussi la dent dure et depuis quelques mois, leur colère monte contre les acteurs du luxe. Les Z sont à la recherche d’un hédonisme instantané et veulent porter le luxe au quotidien. Il est aujourd’hui difficile d’atteindre cet objectif sans disposer de revenus XXXL. Ces jeunes sont obsédés par l’argent. Ils rêvent tous d’être riches mais ils se soucient aussi de la valeur perçue des choses. Or depuis deux ans, les prix du luxe ont explosé et ont atteint aujourd’hui un point de rupture. Les récents scandales concernant notamment les ouvriers sous-payés chez les sous-traitants de grandes griffes n’ont rien arrangé.
IN. : Cette crise est-elle appelée à durer ?
E. B. : Je pense qu’elle va durer encore au moins pendant une année. Les marques de luxe sont entrées dans une période d’austérité depuis la fin des Jeux olympiques. Elles commencent à geler leur budget, à limiter leurs dépenses et à fermer certains de leurs magasins. Je reste toutefois optimiste car le désir luxe est toujours là.
IN. : Comment les marques peuvent-elles inverser cette tendance ?
E. B. : En remettant l’église au milieu du village. Le luxe doit faire preuve à nouveau d’audace créatrice et accroître la qualité artisanale de ses produits. Il doit redevenir inspirant et quitter la tour d’ivoire dans laquelle il s’était enfermé ces dernières années.