70 000 : c’est le nombre moyen de posts publiés sur chaque enfant le jour de sa majorité. Cette mine de data intéresse les sociétés. Si seulement les lois étaient respectées pour éviter les abus…
Quoi de plus innocent que de laisser une photo de vacances de ses bambins à la plage ? Quoi de plus mignon que de montrer son petit bout de chou avec ses nouveaux jouets de Noël ? Quoi de plus normal que de laisser la chair de sa chair poster des vidéos sur TikTok ou des photos sur Instagram ? Ces « petits gestes du quotidien » dans un monde où les réseaux sociaux ont envahi notre univers personnel et professionnel ne semblent pas prêter à conséquence. Et pourtant…Deuxi!me coup d’oeil sur l’empreinte digitale des enfants sur laquelle la rédaction s’attardait récemment.
Attention danger…
Un rapport de la Commission Britannique à l’Enfance s’inquiète des dangers liés à la situation actuelle. Les enfants et leurs parents laissent aujourd’hui des données sur la Toile sans même souvent le savoir. A la maison, les mamans inquiètes utilisent des webcams pour vérifier que leur bébé dort bien. Leurs petits jouent et écoutent de la musique avec leurs jouets et leurs enceintes connectés ? En grandissant, ils surferont sur internet et publieront des messages et des clichés sur les réseaux sociaux. Ils ne quitteront jamais leur domicile sans leur smartphone, leur tablette ou leurs montres connectées. Leurs papiers d’identité et leurs dossiers médicaux sont, eux aussi, disponibles sur la Toile. Leurs parents sortent leurs cartes de fidélité pour leur acheter des vêtements ou des articles de première nécessité. Quatre écoles britanniques sur cinq utilisent, quant à elles, le logiciel SIMS de la firme Capita pour enregistrer les données de leurs élèves .
Les parents publient en moyenne 100 photos de leur enfant par an
Si les enfants ne peuvent pas contrôler la diffusion de certains de leurs datas, ils devraient, en revanche, faire plus attention aux informations qu’ils laissent sur le web. Le nombre moyen de posts publiés sur chaque enfant le jour de sa majorité atteint ainsi le chiffre improbable mais pourtant réel de… 70.000. « Les parents publient en moyenne cent photos de leurs enfants chaque année, s’étonne Alban de Haut de Sigy, consultant chez Julhiet Sterwen, un cabinet de conseil en transformation et innovation . Certains petits ont leur photo sur la Toile avant même qu’ils naissent car il n’est pas rare de voir des mères diffuser des clichés de leur échographie. Toutes ces données relatives aux enfants posent des problèmes, à la fois éthiques et de sécurité, pour aujourd’hui et pour demain ».
Des sociétés ont déjà compris les avantages qu’elles pouvaient tirer de la collecte de ces informations. Les parents qui adhèrent au club parental de la chaîne de drogueries britannique Boots et qui dévoilent au distributeur la date annoncée de la naissance de leur futur bambin peuvent ainsi recevoir des bons de réduction durant les trois premières années de leur progéniture.
Les lois ne sont toujours pas respectées
La loi est supposée empêcher certains excès. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), qui est entré en vigueur le 25 mai 2018, définit notamment les conditions que les entreprises doivent respecter pour exploiter les données personnelles en leur possession mais ces textes sont loin d’être suivies à la lettre. « Tout jeune de moins de quinze ans qui souhaite ouvrir un compte sur un réseau social en France est supposé recevoir le consentement de ses parents, précise Alban de Haut de Sigy, mais aucune plateforme comme Twitter ou Instagram n’exige de tels documents » . Ce laisser-aller pas si innocent que cela (la récolte et l’utilisation des données représentent, après tout, le gagne-pain quotidien des géants de la Toile) ne devrait toutefois pas durer éternellement. « Les nouvelles législations et les amendes très lourdes infligées aux contrevenants font réfléchir les sociétés qui commencent pour la plupart à mettre en place des programmes de mise en conformité », assure l’expert de Julhiet Sterwen. En attendant que la loi soit respectée, demandez à vos enfants de faire attention aux posts qu’ils laissent sur internet et limitez vous-même le nombre de vos publications…
Des parents qui instrumentalisent les enfants
Car comme l’expliquait récemment le psychiatre Thierry Delcourt dans une interview au Nouvel Obs, « de façon progressive et sournoise, par le plaisir immédiat que procurent les commentaires de la famille ou des amis, on en vient à augmenter le rythme des photos publiées et parfois à oublier de réfléchir aux sens véhiculé par les images avant de les mettre en ligne. Beaucoup de parents postent des photos de leur fille de type « lolita ». C’est une façon de s’offrir son quart d’heure de célébrité, par procuration (…) c’est aussi une certaine forme de marchandisation du corps de l’enfant, mise à disposition de l’appétit de certains voyeurs, voire de pervers. Ainsi, le clin d’œil anodin aux amis ou à la famille peut se transformer en une exposition dangereuse pour les enfants. On franchit « un cap », sans forcément s’en rendre compte. On rentre insidieusement dans le système du buzz sur le dos de ses enfants. C’est pourquoi il est nécessaire d’éduquer non seulement les enfants, mais aussi les parents, aux réseaux sociaux ».