15 octobre 2013

Temps de lecture : 9 min

L’entertainment et ses 6 tendances sociétales

Qu’y a-t-il de commun à la musique, aux livres, aux jeux vidéo, à la télé, au cinéma et au brand content, hormis qu’ils constituent l’entertainment et qu’ils engendrent du plaisir ? Des tendances délirantes qui font écho à des courants sociétaux émergents. Analyse de cette transversalité aux enjeux majeurs...

Quitte à choquer ou passer pour insensés, les Jules Vernes et autres Léonard de Vinci avaient tout compris, en utilisant leur œuvre pour préparer leurs contemporains à l’évolution inéluctable de leur société. Aujourd’hui, cette caisse de résonnance est, en partie, jouée par l’entertainment réunissant le livre, les jeux vidéo, la musique, le cinéma, la télévision (séries et divertissement) et le brand content. « Normal, car ces fictions sont produites par des créatifs/artistes aux USA ou en Europe, qui ressentent les frémissements d’un courant bien avant ceux qui les théorisent », explique Laurence Malençon, planner stratégique et associée chez Rouge à l’origine d’une étude sur le sujet. De plus, même si ces œuvres racontent des histoires différentes, leurs auteurs s’influencent, se modulent et déclinent l’air du temps, les idées folles, les utopies, les peurs, les fantasmes et les aspirations.

Transgression et incarnation des combats de société à venir

D’une année sur l’autre, certains de ces courants – en plus d’être transversaux – sont récurrents ou s’infléchissent juste, mais parfois, ils se radicalisent ou cèdent leur place. Pourtant, leur effet sur les consommateurs et les marques est indéniable, car, en créant un véritable entrelacs, ils sont autant de manières de vivre -seul ou en tribu- son époque et de s’approprier sa transformation. «  En imposant des idées sociétales en douceur, leur enjeu est financier », confirme L. Malençon. Alors, après un premier opus 2012 réalisé avec Promostyl qui analyse aussi l’art contemporain, le design et la mode, l’agence révèle, en exclusivité à INfluencia, les six phénomènes 2014 de son numéro 2. «Dans chacune des voies exploitées on y retrouve beaucoup de références à des courants sociétaux émergents », détaille L. Malençon, « mais deux idées s’imposent tout particulièrement : le boom de l’homme augmenté avec le progrès technologique galopant, et les mouvements populaires avec la frustration croissante des peuples, née de la récession et de la médiatisation de la super richesse ».

Enfances : la detox intellectuelle, et le calvaire des « néo Tanguy »

L’entertainment ne délaisse pas les super héros. Mais il a adopté des couleurs vives, des designs poétiques, ludiques, élémentaires y compris pour les jeux vidéo pour adultes, comme Journey (sur Xbox et Playstation) qui offre des décors oniriques, épurés et pas un seul mot. « Le retour à cette enfance n’est pas synonyme de régression comme en 2005, mais d’une volonté d’expliquer simplement les choses complexes avec l’avènement d’une nouvelle pédagogie», souligne L. Malençon. Comme pour rassurer face au modèle scolaire classique en panne et répondre aux 56% des parents qui pensent qu’il vaut mieux savoir se débrouiller que de faire de bonnes études. D’ailleurs boostés par les nouvelles technologies et les progrès des neurosciences, livres augmentés, vidéos et nouvelles applications proposent des accès inédits et simplifiés aux savoirs. Ainsi, le journal de Tokyo a récemment lancé une application en réalité augmentée qui permet aux parents et aux enfants de partager le même article, en même temps mais avec un contenu approprié pour chacun.

D’autre part, avec la récession ou les familles disloquées, beaucoup de quarantenaires voire de cinquantenaires retournent, avec leurs enfants, sous le toit de leurs parents. Ils seraient 415 000 adultes en France à vivre cet effet boomerang et cette imbrication forcée des générations. Films et séries se sont engouffrés dans ce nouveau vivre ensemble et dopent leur audience : Dads, Back in the Game, ou Mom.

Styles : l’envie de ce qui n’a pas de prix

Pour les plus fortunés, c’est la quête de l’hyper statutaire. Une consommation ultime qui allie prodigalité matérielle et tradition culturelle. La fête, en 2013, doit plonger le plus rapidement possible dans un dépaysement absolu et effacer les repères. C’est l’univers baroque de la boîte de nuit, Cirque du Soir, à Londres. C’est la démesure du spectacle offert à Cannes, à l’occasion de la sortie de Gatsby le Magnifique. C’est l’Afrique magnifiée, par les bloggers mode, Joshua Kissi et Travis Kumbs. Les rois de la pop exploitent également cette esthétique opulente des 16 et 17ème siècles, à l’instar du « Miss Carter Tour » de Beyoncé pour le Super Bowl 2013 ou du clip de Kanye West qui revisite la Chapelle Sixtine. Eau forte, Biscuit, dentelle, ou tout ce qui n’a pas de prix y passent.

Quant à la technologie, elle sert à créer l’unicité, la confidentialité, l’exclusivité ou l’inimaginable. Telle la robe en 3D nommée « Splash » d’Iris Van Herpen, bientôt présentée au centre Pompidou, l’application One Copy Song qui cantonne l’écoute d’un single à une seule personne à la fois dans le monde. Ou bien encore ce restaurant sous l’eau, ce cinéma dans un arbre et le métro transformé en salon de lecture. « Face au consumérisme et la crise, les individus veulent se ré-ancrer dans la culture, l’histoire, l’artisanat, les objets façonnés par le temps, les sentiments ou personnalités exceptionnelles, dans ce qui dure ou ce qui n’a pas de prix », note L. Malençon « c’est une décadence hybride».

Archaïsmes : l’histoire et la barbarie pour survivre

C’est la réaction d’une époque angoissée par sa capacité à perdurer et à sortir vainqueur face à des environnements stressants ou primitifs. La real TV teste nos limites physiques et mentales jusqu’à mettre en scène la guerre comme avec le programme US controversé « Stars Earn Stripes » sur NBC. Alors il faut préserver la mémoire qui s’enfuit et l’INA propose aux vidéastes amateurs de sauvegarder leurs archives personnelles pour les faire entrer dans la mémoire collective. Tandis que le jeu « Remember me » présente un Paris vide de souvenirs. Ces derniers étant les armes des joueurs pour libérer les mémoires et réveiller les consciences face à la dictature…

L’histoire reprend aussi ses lettres de noblesse non seulement à travers des émissions grand public mais aussi des séries comme « The Hour » (sur le début de la BBC sur fond d’affaire de canal de Suez), et « Odysseus » qui montre un Ulysse, toujours héros légendaire mais pas parfait. Ou encore Défiance – décliné aussi en jeu vidéo – qui fait cohabiter extraterrestres et humains en terre hostile. De plus, boostée par les nouvelles technologies et la 3D, elle devient immersive. Ainsi, les parisiens ont pu revivre 5000 ans d’histoire en réalité augmentée sur 500M2 d’écrans installés à l’hôtel de ville.

Enfin, avec la « barbarie » qui s’impose comme mode de vie, la barbe réapparait tout comme le goût pour la viande. Les jeunes urbains s’identifient à la force brute et virile des seigneurs de Game Of Thrones ou de Vikings. Alors que les bouchers remplacent les chefs en Une des magazines comme Christine Spiesser-Morelle ou Yves-Marie le Bourdonnec à Asnières, et que le restaurant britannique, Let’s meat, ne désemplit pas. Aux Pays-Bas, lors d’une des émissions d’Endemol, deux animateurs ont même mangé un morceau de leur chair.

Illuminations : l’homme augmenté comme avenir ou comme fin ?

L’entertainment se met à croire aux mondes infernaux et divins, à l’interaction des nouvelles dimensions. « Plus l’homme augmenté s’impose et repousse les limites en posant la question : qui maitrisera qui, de la machine ou de l’humain, plus on a besoin de croire ou de spirituel », assure L. Malençon. Un peu comme la nécessité de trouver de nouvelles barrières face à ce qui définit désormais l’humanité quand le robot ressemble tellement à l’homme. Un propos tenu par les séries Almost Human (Fox), Real Humans (Arte), le jeu vidéo, Deux ex : The fall (Square Enix). Mais aussi étayé par des innovations comme les Google glass ou Mindwalker, projet d’un exosquelette pour rendre leurs jambes aux paralytiques.

L’entertainment vient même au secours des religions qui se modernisent. La série Ainsi Soient-ils et la real TV, Sister Hood, content la vie des séminaristes apprentis ou le quotidien des femmes de pasteurs. En outre, la mode comme le divertissement ont recours à l’esthétique religieuse (blanc, noir, violet, gargouilles, séraphins…) vue dans Borgia ou The Bible, série conservatrice aux USA où Satan a des airs de ressemblance avec Obama ! Mêmes emprunts dans le hip hop comme en témoignent le Yeezus de Kayne West, l’album Gifted de Wale ou le Born Sinner de J.Cole.

De plus si la mort n’est pas le terme de la vie, il existe alors, des mondes parallèles comme le répète, au fil des épisodes : Revenants, Resurrection (ABC). D’ailleurs, le clip détonant de Woodkid, I Love You, raconte la même expérience vécue par un pasteur. Sans compter les créatures magiques avec une préférence pour les zombies- qui sont en voie d’humanisation, dans Warm Bodies ou World Warm Z.

Manifesto : tous shérifs boostés par les réseaux sociaux et les moutons de Panurge au panier

Confronté à une vie sans concession, on ne veut plus arrondir les angles. L’heure est au conflit, à l’engagement radical, au politiquement incorrect. Les mouvements populaires se multiplient, et dans l’intimité, on revendique ses contradictions, ses droits au mariage, à la procréation, à la maladie. L’entertainment critique ou aborde ces polémiques très sérieuses voire ardus, parfois en se moquant via des vidéos détournés sur Youtube, souvent avec des moyens ludiques, comme les séries d’Eva Longoria sur 5 femmes de ménage, The Boss qui traite de l’alzheimer ou All americans, consacrée aux minorités. « Beaucoup dérangent, mais elles ouvrent de nouvelles limites qui vont s’auto-normer pays par pays selon la culture de chacun. Car, d’une part on est lié par un substrat commun et d’autre part, plus on est dilué dans la mondialisation, plus on cherche à se raccrocher aux éléments qui nous touchent », insiste L. Malençon.

L’autre filon est la justice populaire face aux attentats et aux crimes en tous genres. Et désormais être citoyen responsable, c’est être shérif ou détective. Un statut qui s’exprime dans l’application, Wanted créée par DDB, pour la police polonaise et qui fonctionne comme un jeu de memory mais pour des criminels recherchés. Ou le programme de réalité augmentée imaginé par JWT China pour rechercher des enfants disparus. Idem pour l’émission Catfish, sur MTV, qui aide les internautes dont l’identité est usurpée, à démasquer les truqueurs, ou pour la pétition en ligne qui soutient le bijoutier de Nice.

Le transgenre fait, également, une percée fulgurante dans les familles désormais atypiques, comme dans The new normal où toutes les combinaisons entre hommes et femmes sont possibles, ou dans Hit and miss, où un tueur à gage transsexuel est en charge d’une famille nombreuse. « En revanche, le puritanisme, l’autorité et l’honneur veillent toujours », constate L. Malençon «car lorsqu’un protagoniste est marié, son multipartenariat est rarement affiché ».

Côté, musique, les nouveaux rappeurs comme Zebra Kat, Jay-Z , Tayler the creator du groupe Old Future ou l’archi féminin Mikki Blanco explorent le domaine du Queer, mangent des larves, revêtent une robe de mariée ou mettent en scène leur suicide.

Enfin, après le mummy porno inauguré avec « 50 Nuances de grey », c’est au tour du teen porno. La sexualité est fun, décomplexée. C’est un hobby avec lequel on peut même gagner de l’argent. Jeune et jolie de François Ozon, le raconte très bien. Tout comme le clip, Dancing anymore de Is Tropical, où un jeune ado simule un acte sexuel avec des femmes callypiges en 3D. « En déplaçant les codes de l’intimité aux frontières de la morale, le débat sur la prostitution, ainsi vue comme un job additionnel, pourrait bien trouver une conclusion », remarque L. Malençon.

Modesty : le retour de la province, des origines

Cette aspiration est mondiale et s’exprime par des éditions régionales, la real Tv bucolique (L’amour est dans le pré), des ancrages locaux. Un lifestyle qui attire toujours les 35/50 ans mais aussi les 18/25 ans, comme le démontrent Les Ch’tis, Les Marseillais, Coup de foudre au prochain village, ou les 60 et plus avec Le Chœur du village.

De leur côté, les séries américaines The Goldbergs (l’enfance d’un trentenaire évoquée via des vidéos) ou Surviving Jack (un garçon devient adulte à l’époque où les règles de Google n’existaient pas) surfent sur une nostalgie d’avant les réseaux sociaux. C’est aussi l’avènement d’applications généalogiques ou de films sur le déracinement des immigrés avec une happy end, tel Paris à tout prix.

« Cette tendance invite les individus à se perdre dans le bois, à se laisser porter par le hasard et ne plus lutter contre la complexité ambiante », raconte L. Malençon. Une gageure proposée par l’application Decide now qui affiche 30 millions de likes sur I-tunes. De même, le site Rencontres au hasard, milite contre une consommation amoureuse sur critères, alors que Jeep offre un GPS pour se perdre et repérer d’autres horizons.

« Mais qu’il s’agisse de se découvrir ou de simplement dévorer les programmes», conclut L. Malençon, « l’entertainment a de beaux jours devant lui car il est partagé à plusieurs sur un canapé ou sur les réseaux sociaux». Et comme toute source d’émotions, il fait, bien sûr, le buzz sur la toile, mais aussi dans les esprits. C’est encore mieux!

Florence Berthier

Rouge présente les tendances de l’entertainment 2014 from Jacques-Olivier Broner

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