INfluencia : C8 s’est arrêtée le 28 février après avoir perdu sa fréquence TNT. Quels sont les impacts pour Canal+ Brand Solutions qui commercialisait la chaîne ?
Fabrice Mollier : c’est d’abord une mauvaise nouvelle pour les téléspectateurs car C8 était la première chaîne de la TNT. C’est aussi une mauvaise nouvelle pour les équipes puisque nous avons dû lancer un plan social avec une vingtaine de départs sur les 136 personnes que compte la régie aujourd’hui. Des gens qui quittent l’entreprise, c’est toujours un déchirement. C’est aussi une mauvaise nouvelle pour les clients car la chaîne était puissante. Dans un marché TV souvent saturé, elle amenait une couverture importante, notamment sur les moins de 50 ans. Les marques perdent une opportunité de communiquer, et même deux avec la disparition de NRJ 12. Il y a une toutefois une consolation avec CNews, jusqu’alors installée comme leader info et deuxième chaîne de la TNT, qui va maintenant devenir la première. Sa progression intense et durable a d’ailleurs permis à Canal+ Brand Solutions d’être l’an dernier la régie qui a le plus progressé en parts de marché, alors même que France Télévisions avait les Jeux de Paris 2024.
L’arrêt de C8 est une mauvaise nouvelle pour les téléspectateurs, les équipes et les clients
IN : la régie conserve un temps la commercialisation de TPMP de Cyril Hanouna, avant qu’il ne revienne à la rentrée en linéaire sur W9. Il passera donc à la concurrence, chez M6 Publicité…
F.M. : en effet, et on le savait. Quand Cyril Hanouna a officialisé son idée folle de proposer TPMP en digital et sur les box pour ne pas laisser ses téléspectateurs orphelins, tout le monde a répondu présent : en une semaine, tous les opérateurs télécoms ont accepté de retransmettre l’émission, tout comme YouTube, dailymotion, évidemment Canal+ y compris par satellite, ou encore Molotov. Nous avions des liens très forts avec Cyril mais je suis quand même très fier qu’il nous ait demandé d’être sa régie. Cela s’est fait très rapidement. Il a signé son contrat de régie pendant la coupure publicitaire de sa dernière émission, jeudi 27 février (au moment où il a révélé le sort de TPMP après l’arrêt sur la TNT, ndlr). En quelques réunions « plan d’actions » montées immédiatement, nous avons mobilisé les équipes commerciales pour monter un argumentaire et lancer la prospection, trouvé le weekend du 1er mars un accord avec Médiamétrie pour une mesure des audiences quotidiennes à partir du 3 mars et une publication à partir du 5 mars… C’est très satisfaisant de voir que nous pouvons embarquer des opportunités qui démontrent notre agilité et celle du marché.
IN : sans diffusion linéaire – mais avec une très forte mise en avant sur myCanal – les audiences de TPMP ont toutes dépassé le million sur les quatre inédits de la première semaine. Est-ce à la hauteur de ce que l’on pouvait envisager quand, sur la TNT, l’émission finissait souvent à deux millions ?
F.M. : les audiences sont impressionnantes et mêmes inédites dans cette configuration puisque l’émission reste le premier talk d’access (1,3 million en moyenne le lundi 3 mars entre 18h45 et 21h15, puis autour de 1 million du mardi au vendredi suivant, ndlr). Sur les 25-49 ans, la cible principale des clients, les parts d’audience ont oscillé entre 10,7 % et 12,5 %. Il s’agit bien de parts d’audience nationales, ce qui nous place leader des talks. Nous avions prévu deux écrans par émission mais nous passons à quatre écrans dès la deuxième semaine avec une augmentation des tarifs. C’est une opportunité imprévue mais incroyable pour les marques.
CNews va devenir le chiffre d’affaires le plus important de la régie en 2025
IN : CNews a progressé mais reste une chaîne clivante, également pour les annonceurs. Est-ce une difficulté pour profiter de la hausse d’audience ?
F.M. : CNews va devenir le chiffre d’affaires le plus important de la régie en 2025. Nous avons en trois ans triplé le chiffre d’affaires de la chaîne et, cette année, il va encore se développer car son audience sur les 25-49 ans a progressé de 39 %. La chaîne est surtout commercialisée en gré à gré car les clients d’une chaîne info sont singuliers par rapport à ceux des autres chaînes gratuites. Nous n’avions d’ailleurs pas fait de couplage entre C8, CStar et CNews car cela n’aurait pas été pertinent. Le poids de l’auto, de la distribution ou de la banque-assurance sur CNews est par exemple très atypique par rapport à d’autres chaînes. Dans cet univers des chaînes d’info, plutôt historiquement considéré comme masculin, son audience est aujourd’hui à 49 % féminine. Nous commençons à l’ouvrir à des produits plus mixtes, voire féminins.
IN : une nouvelle étape arrive en juin avec le retrait des chaînes Canal de la TNT payante, annoncé dans les derniers jours de décembre 2024, en pleine période de recours auprès du Conseil d’Etat pour le maintien de C8…
F.M. : lors de la dernière reconduction des fréquences, le groupe avait demandé de les prolonger seulement d’un an et demi. Quand le retrait de la TNT payante des chaînes Canal a été annoncé pour début juin, nous avions 70 000 abonnés en TNT payante. Début mars, il en reste la moitié car nous les faisons migrer vers d’autres manières de regarder Canal. Côté audience et publicité, c’est donc un non-sujet. Nous restons sur les mêmes outils de mesure d’audience et, pour les clients, ce changement sera sans couture.
Je sais déjà atteindre en 2025 le même inventaire que sur la période mars-décembre 2024 et l’allouer à mes clients, ce dont je n’étais pas totalement sûr il y a six mois
IN : comment toutes ces reconfigurations sur la TNT impactent-elles la dynamique de la régie ?
F.M. : en dehors de cette mauvaise nouvelle autour de C8, notre feuille de route affiche une forte dynamique et s’avère assez excitante car elle accompagne ce que cherchent les marques et l’évolution des usages. Entre le développement de nos abonnements Max (la plateforme du groupe Warner lancée en juin 2024 en France, ndlr), l’explosion de l’audience de CNews et le travail lancé sur CStar pour booster le prime avec deux soirées cinéma par semaine, deux soirées magazine, des spectacles souvent inédits…, je sais déjà atteindre en 2025 le même inventaire que sur la période mars-décembre 2024 et l’allouer à mes clients, ce dont je n’étais pas totalement sûr il y a six mois. Au-delà des chaînes maison, nous pouvons aussi compter sur les éditeurs tiers dont nous assurons la régie : RTL9 est leader des chaînes de complément, les chaînes Discovery sont en train d’intégrer les offres basiques des FAI, ce qui permet de booster leurs audiences…
IN : le streaming est en enjeu clé pour toutes les régies télé. Quelles réflexions sous-tendent votre stratégie d’agrégation ?
F.M. : C’est, avec la data, un des piliers de notre stratégie sur le digital. Nous ne misons pas prioritairement sur le replay, qui représente aujourd’hui 4 % de la consommation vidéo des Français, mais sur la VOD qui représente 11 % du temps passé pour les 4 ans et plus et jusqu’à 18 % chez les 25-49 ans. Pour les marques qui veulent communiquer dans des contextes premium et amener de la couverture supplémentaire à un plan télé, le gisement de couverture additionnelle se situe davantage sur les offres VOD. Elles apportent des publics et des usages différents, quand le replay touche finalement les mêmes publics que la TV. Certaines offres SVOD ayant encore une couverture limitée, il y a un sujet de passage à l’échelle auquel nous voulons répondre à travers Stream+ (lancée début 2025, ndlr). Avec myCanal – dont l’inventaire a triplé uniquement en unifiant l’expérience, sans que les abonnés ne soient exposés à plus de pub -, OQEE (l’offre de Free 100 % séries et cinéma, ndlr) et Max, les marques peuvent toucher 50 % des 25-49 ans sur un mois. Dans les offres Canal, Max a été intégré sans pub mais, dans le courant de l’année, certaines offres incluront de la publicité afin d’étendre encore la couverture. Rien n’est encore décidé mais nous travaillons aussi, à moyen terme, sur des offres Canal hybrides avec plus de pub.
Pour les marques qui veulent communiquer dans des contextes premium et amener de la couverture supplémentaire à un plan télé, le gisement de couverture additionnelle se situe sur les offres VOD
IN : quelles sont les autres évolutions à venir ?
F.M. : nous avons étoffé l’offre premium de la régie à travers le renouvellement de nos accords cinéma avec UGC et Le Grand Rex, en signant avec Max – c’est d’ailleurs la première fois qu’une plateforme est vendue par une régie TV-vidéo, ou en montant en gamme l’offre publicitaire des chaînes Canal à travers de nouveaux écrins pour les marques, par exemple avec des écrans courts adossés aux contenus cinéma et sport. Les 546 matchs de la Champions League sont des occasions incroyables pour les marques. Il y a quelques années, notre offre C8Star+ avait finalement entraîné Canal dans une vente en garantie indifférenciée alors que, maintenant, nous cherchons à la faire émerger et à l’événementialiser. Le premium, ce sont les contextes mais aussi l’expérience publicitaire. C’est le sens de notre engagement dans l’innovation et avec la Factory Canal+ Brand Solutions qui, au-delà du brand content, monte des propositions inédites. Les formats immersifs permettent de favoriser l’émergence des marques sur Max et myCanal. Lors des César, nous avons par exemple monté pour Peugeot un dispositif où, entre chaque spot des écrans, le lion de la marque devenait un César. Sur myCanal, nous avons lancé « Home Switch Home », un format pré-roll qui simule une fausse home page de la plateforme, où toutes les vignettes se retournent aux couleurs de la marque.
IN : 2024 a été marquée par un essor de la BVOD qui, contrairement à la TV segmentée, permet à la distribution de faire de la promotion géolocalisée. Dans quelle mesure est-ce un relai de croissance ?
F.M. : il y a deux sujets en un. Il est vrai que la VOD apporte pas mal d’opportunités busines pour les marques. Pour nous, l’objectif premier est le complément de couverture apporté par la SVOD et donc, compte tenu de notre offre premium et des séries exclusives, les marques nationales sont vraiment notre priorité. Cette question autour de la BVOD pose aussi clairement la problématique des secteurs interdits en publicité télé. Nous continuons notre combat avec le SNPTV pour dépoussiérer la réglementation à la télévision. La promotion pour la distribution reste évidemment une priorité.
Je trouve qu’on en a fait beaucoup trop sur l’attention. Ça me fatigue presque…
IN : la mesure cross-médias est le grand sujet de 2025…
F.M. : nous sommes très actifs sur ce sujet. Nous avons fait tous les tests avec Médiamétrie sur le marquage des publicités, l’apport de couverture… Nous participons au comité cross-médias lancé en mars par l’institut de mesure d’audience car c’est ce que nous voulons apporter aux marques en 2025 et au-delà. En revanche, même si nous avons participé aux études lancées sur le sujet avec le SNPTV, je trouve qu’on en a fait beaucoup trop sur l’attention. Ça me fatigue presque… Le seul point positif de toutes ces mesures sur l’attention est d’avoir remis dans les curseurs des marques l’importance du premium, qui est vraiment notre fer de lance. Quand on travaille sur le premium, l’attention n’est pas un indicateur de plus, elle est un dû ! C’est tellement difficile aujourd’hui pour les marques de piloter l’efficacité, pourquoi rajouter un critère d’attention alors qu’elles doivent déjà cumuler de nombreux KPI ? Notre combat reste l’efficacité. Nous sommes convaincus que le meilleur juge de paix reste le Marketing Mix Modeling (MMM) et les études économétriques. Je crois aussi beaucoup à l’impact de l’écran et du contenu sur l’impact publicitaire. Le cinéma – plus bel écran avec une attention inégalée – est parfois perçu par les marques comme contournable. Nous les incitons à faire entrer ce média de manière plus systématique dans leur stratégie marketing. En magnifiant les créas, la publicité au cinéma décuple la considération, un critère qui se situe en mid-funnel, entre la notoriété et l’achat. C’est un phénomène sur lequel nous avons lancé des travaux, avec déjà des premiers chiffres. Nous voulons en mesurer plus précisément l’impact. C’est un de nos enjeux prioritaires en 2025.
En savoir plus
Quatre inédits de TPMP dans sa version « 100 % digital » ont été diffusé entre 18h45 et 21h15 pendant la semaine du 3 au 7 mars 2025 (le vendredi était un best-of). Ils ont tous dépassé le million, selon Médiamétrie :
Lundi 3 mars : 1,292 million sur les 4 ans et plus pour une pda de 12,5 % sur les 25-49 ans
Mardi 4 mars 1,002 million et 10,9 % de pda sur les 25-49 ans
Mercredi 5 mars : 1,024 million et 10,7 % de pda sur les 25-49 ans
Jeudi 6 mars : 1,053 million et 11,3 % de pda sur les 25-49 ans