INfluencia : vous venez d’annoncer un changement de nom du groupe. Les Nouvelles Editions Indépendantes (LNEI) deviennent Combat. C’était nécessaire ?
Emmanuel Hoog : nous avions besoin de mettre en valeur les savoir-faire du groupe qui se cachent derrière nos marques, de mieux les exposer, les redynamiser voire les professionnaliser. « Combat » est composé de marques médias ou culture fortes, connues, comme Les Inrockuptibles, Radio Nova, Rock en Seine, Cheek, mais il exerce en plus des métiers liés à tout cet écosystème, que le marché connaît moins bien alors qu’ils sont des facteurs de croissance pour aujourd’hui et demain ; c’est par exemple la vingtaine de documentaires de Nova Production ou nos 80 dates de Live par an. Tous nos métiers comme toutes nos marques doivent rayonner et nous permettre de nous développer.
IN. : pourquoi Combat ?
E.H. : parce que la marque nous appartient ! Ce fut un grand journal à la Libération. Pierre Bergé en était devenu le propriétaire, il en fait don à Mathieu Pigasse. Lorsque nous avons entamé la réflexion sur cette évolution, nous voulions un nom qui embarque à la fois l’identité et les valeurs de notre groupe. Nous voulions aussi une marque qui ne contredit pas, n’écrase pas les autres marques. Combat est aussi un outil de pilotage de notre développement, l’amarrage de futures acquisitions potentielles, un pôle d’attractivité et d’innovation fort. Notre bâtiment et notre nouvelle marque incarnent la vision du Groupe et le projet de Mathieu Pigasse. Combat évoque l’indépendance, la contre-culture, l’avant-garde, les formes émergentes. C’est nous !
IN. : comment cette nouvelle entité est-elle organisée ?
E.H. : autour de nos marques et de nos métiers ! Nous avons pour cela créé cinq pôles. Il y a d’abord Combat Edition qui regroupe les activités print et web, dont Les Inrockuptibles et Cheek sont le fer de lance. Combat Studio, ensuite, regroupe Radio Nova mais aussi Nova Production qui réalise des documentaires notamment pour Netflix, FranceTV, M6… et NovaSpot, leader français du podcast et des livres audios. Combat Live regroupe toutes nos activités festivals, concerts avec Rock en Seine comme tête de pont, mais aussi Les Inrocks Festival, la Tournée de Radio Nova, les Nuits Zébrées, à l’heure où le besoin de fêtes, de retrouvailles pourra s’exprimer, Combat Live sera là ; Combat Solutions réunit toutes les activités commerciales qui travaille pour chaque marque média mais aussi en « marque blanche » si on nous le demande et, 5e activité, c’est une vraie agence désormais ; Combat Factory, la grande nouveauté qui sera lancée en septembre prochain. Nous voulons créer à la fois une académie, un espace de fabrication utile aux jeunes créateurs français dans les domaines de la musique, de la fiction et de la mode. Une fabrique à histoires, à storytelling ! Appel à candidatures en juin ! Rentrée à l’automne ! Nous sommes partis ! L’idée, c’est que ces talents en devenir apprennent de notre expérience de producteur et de médiateur, soient accompagnés par des experts que nous sommes allés chercher à la SACEM, l’Institut français de la Mode, le Centre National de la Musique mais également du côté des marques, des grandes plateformes audiovisuelles et des annonceurs. Mais ce mouvement doit jouer dans les deux sens, nous aurons aussi à apprendre d’eux. C’est pour cela que nous sommes en train de fédérer une grande communauté professionnelle très attentive et à l’écoute des nouvelles tendances. Nous capitalisons plus que jamais sur l’attractivité de nos marques et de nos talents. Cette réorganisation en cinq pôles va engendrer une nouvelle façon de piloter l’organisation et la croissance de Combat.
IN. : Combat a-t-il vocation à devenir elle aussi une marque média ?
E.H. : pourquoi pas ! Nous envisageons effectivement la création d’un rendez-vous éditorial sous cette marque, sous forme de numéros spéciaux, sans périodicité fixe. Mais nous ne sommes qu’au début de la réflexion.
IN. : l’évolution de la périodicité des Inrockuptibles est le signe du changement ?
E.H. : ce projet, car ce changement est encore à l’état de projet, n’est que la partie visible de l’iceberg. La conjoncture impose de se poser des questions sur le magazine et sa périodicité, mais ce que nous regardons aussi, ce sont les attentes des lecteurs. Ils veulent être nourris en permanence par notre rédaction : la refonte de notre offre digitale globale est donc moins visible mais plus spectaculaire. Nous avons entièrement refait les back et front office des sites internet de Radio Nova et des Inrockuptibles pour les mettre à niveaux à tous points de vue, tant sur le plan de l’ergonomie, la partie visible, que sur celui de la data et autres outils d’acquisition d’audience qui ne se voient pas mais sont clés pour progresser en audience. Nous en avons aussi profité pour réfléchir aux services « complémentaires » de nos différentes marques. C’est ainsi qu’est née Les Inrocks Radio, une vraie radio avec une vraie programmation, accessible sur le site et en DAB+ à Paris, Rennes, Marseille et Nice. Autre enrichissement, l’arrivée prochaine d’un service de VOD, toujours sur le site des Inrockuptibles, nous proposerons un player donnant accès à des classiques « Inrocks » du cinéma, mais aussi des concerts ou des documentaires. Tout cela va s’accompagner du lancement de newsletters thématiques (en juin) afin que nos abonnés restent en contact permanent avec l’actualité des arts et de la culture en multipliant les angles d’approche qu’ils soient sociétaux, critiques, politiques … Le mensuel devrait renouer avec les fondements historiques des Inrockuptibles, de l’enquête, du reportage, des portraits, de la prescription… Nous voulons ralentir le rythme de parution pour renforcer la qualité du rendez-vous éditorial et de l’expérience que nous proposerons.
IN. : vous créez des passerelles entre tous les savoir-faire pour multiplier les nouveautés, les offres, les services sur les titres et marques ?
E.H. : oui, chez nous, 1+1 = 3. Cela veut dire par exemple que lorsque nous réfléchissons à la manière d’enrichir l’offre digitale des Inrockuptibles et que nous avons l’idée de la radio, les équipes de Nova sont autour de la table pour contribuer, puis que le projet avance grâce à notre savoir-faire en la matière. Même si la crise du Covid nous touche comme tous nos confrères, cette période, finalement nous rendra plus forts car nous sommes aujourd’hui beaucoup plus agiles, mieux organisés, plus clairs dans nos propositions et notre manière de nous présenter à l’ensemble de nos communautés et nos partenaires. Avec toutes les équipes, nous avons déployé de nouvelles offres, clarifié notre catalogue, mieux intégré les métiers. Nous sommes prêts à repartir. Quand la culture va rouvrir, nous aurons la pleine capacité de prendre le vent dans les voiles. J’espère vraiment que nous pourrons organiser Les Inrocks Festival en juin prochain à l’Olympia. Nous y travaillons d’arrache-pied avec les équipes du journal et de Combat Live : autre exemple au passage de transversalité ! Et bien sûr, nous serons présents d’une manière ou d’une autre cet été avec une grande tournée de Nova et des Inrockuptibles et Rock en Seine, à l’instar de ce que nous avons réussi à l’été 2020 !
IN. : le monde de la musique semble sorti de l’ornière économique, Vivendi met Universal en bourse et en espère une manne, tous les compteurs de ce secteur sont au vert, les médias qui en font partie peuvent-ils eux aussi espérer surfer cette vague ?
E.H. : il y a une évolution de la répartition de la valeur. Tout le monde n’en profite pas. L’industrie du live avait explosé avant le Covid avec un effet inflationniste fort. Les festivals, concerts et tournées se sont multipliés en France comme en Europe, les artistes y ont beaucoup gagné, la demande a augmenté, mais dans la chaîne de valeurs de la musique certains de nos métiers ont été désintermédiés. Les médias musicaux classiques (radios, print…) sont moins consommés et pourtant ils restent irremplaçables pour faire naître les talents émergents et les avant-gardes. Ce qui nous importent plus que tout ! Nous ne pouvons pas vivre qu’à l’heure des algorithmes ! Les labels nous le disent : le public continue d’avoir besoin de supports prescripteurs et forts pour les accompagner et nourrir l’esprit de découverte. Combat et ses équipes remplissent une véritable mission d’intérêt général pour faire vivre la richesse et la diversité culturelle !
IN. : cela se traduit dans vos audiences ?
E.H. : nos audiences classiques se sont très bien maintenues. Elles connaissent une croissance de plus 20% sur tous nos supports digitaux. L’enjeu est désormais de les consolider, de les fidéliser et de les monétiser. C’est tout le travail autour de la refonte de nos sites et de la politique de data que nous avons engagé. Nous constatons des premiers résultats encourageants. Les Inrockuptibles ont une diffusion payée de 30 000 exemplaires environ, avec un des taux de circulation les plus élevés du marché mais seulement 3500 abonnés numériques, la crise du Covid nous a profité, mais pas assez. Nous devons atteindre une diffusion payée de plus de 50 000 exemplaires d’ici deux ans car nous avons un réservoir de public énorme qui n’arrivait pas à suivre la périodicité hebdomadaire. Radio Nova de son côté est un vrai ORNI : un Objet Radiophonique Non Identifié. Nous programmons en moyenne 1800 titres par mois quand une radio musicale classique est à… 300. La consommation de Radio Nova est spécifique, son audience est stable à 0,7 point d’audience depuis des années, nous aimerions accrocher le point et nous y tenir. Nous connaissons notre vrai et grand défi : transformer du gratuit en payant. Nous avons les talents et les outils pour y arriver, reste à conduire l’exécution de manière efficace, constante en sachant que dans notre secteur, le temps est une contrainte : les choses ne se font pas en claquant des doigts. Il faut du temps. En avant !
Photo: Joël Saget