INfluencia : l’audience de France Culture progresse depuis plusieurs années et la station vient même de signer une « saison de tous les records ». Qu’est-ce que cela dit des attentes du public ?
Emelie de Jong : de façon sans doute totalement immodeste, je dirais que le public ressent un besoin de France Culture grâce à son projet éditorial qui cherche toujours à prendre du recul dans ce monde où le buzz est roi et à trouver le temps juste dans la manière de traiter les enjeux que nous questionnons et que nous espérons éclairer, qui vont des grands sujets de géopolitique aux récits sur l’intime. Depuis l’an dernier, les matinales ont été rallongées pour permettre aux auditeurs de commencer la journée avec un décryptage plus long de l’actualité et des enjeux de société. Toute la matinée est aussi en forte croissance, notamment depuis cette saison, avec une appétence renforcée pour l’histoire ancrée dans les enjeux contemporain, comme le propose Xavier Mauduit avec Le cours de l’histoire, puis des questions de philosophie totalement dans l’air du temps dans Avec philosophie de Géraldine Muhlmann. Nous cherchons toujours à ancrer notre proposition éditoriale dans les enjeux de société contemporains quelle qu’en soit l’approche, très sérieuse ou avec des touches d’humour, en faisant appel au plaisir d’écoute ou à l’émotion. Avec mon parcours de musicienne, je suis très attachée à ce que peut provoquer le son. Même le son doit faire sens.
France Culture nourrit chaque jour un catalogue et un patrimoine sur l’évolution du savoir, des connaissances, des découvertes…
IN : 40 % de l’écoute de France Culture se fait sur un support numérique et c’est aussi la deuxième radio la plus podcastée. Quel est le rôle du digital dans cette dynamique d’audience ?
E. de J. : notre offre sur le numérique est pléthorique et notre production quotidienne contribue à nourrir un catalogue qui constitue un patrimoine sur l’évolution du savoir, des connaissances, des découvertes… Ce travail réalisé avec les chercheurs, les experts et les créateurs contribue à faire monde et société. Tout ce que l’on propose en podcast et en réécoute doit pouvoir trouver ses auditeurs et émerger dans le magma qui circule sur internet. Le numérique est un des moyens pour entrer en conversation avec l’auditeur. J’espère donc que la dynamique sur l’audience est aussi liée au travail fait sur cette offre globale pour aller à la rencontre de nos publics qui sont multiples. Chaque auditeur et auditrice de France Culture radio ou numérique peut trouver une offre qui lui correspond, va l’interpeler, l’émouvoir, lui faire plaisir…
En étant davantage présents sur les réseaux sociaux, nous voulons aider la jeune génération à se construire une grille de lecture du monde
IN : l’un de vos objectifs stratégiques pour la saison prochaine consiste à s’adresser encore davantage aux jeunes adultes…
E. de J. : à ce moment de la vie, chacun cherche des éclairages et se construit une grille de lecture du monde. Nous voulons accompagner cette construction sur nos antennes, sur le terrain et sur les réseaux sociaux, en nous adressant à cette génération avec des contenus qui adoptent la grammaire de chaque réseau. L’ADN de France Culture est évidemment visible sur les réseaux sociaux et le sera encore davantage, avec toute l’exigence et la singularité de notre proposition.
IN : de nouvelles approches autour de la poésie sont aussi annoncées dans la grille de rentrée. Pourquoi avoir renforcé cette proposition ?
E. de J. : depuis mon arrivée, j’ai cherché à amplifier la place de la poésie comme moment de création pure, de plaisir éphémère ou comme clé de lecture du monde pour décaler le regard, faire réfléchir, émouvoir… Ce projet est encore en construction et sera développé avec les éditeurs de poésie, qui ont le courage de soutenir ce genre littéraire moins visible que d’autres. Nous allons proposer à ces éditeurs et aux créateurs de poésie de faire part de leurs coups de cœurs et de leurs choix, d’être les curateurs de la poésie sur France Culture. Cette offre sera proposée à l’antenne comme en podcast. Dans ce nouveau rendez-vous, nous voulons faire d’écouter un poème, apporter un éclairage sur cette œuvre, puis permettre de la réécouter à la lumière de cet éclairage.
Les éditeurs et créateurs de poésie seront les curateurs de la poésie sur France Culture
IN : vous dites que, face à des enjeux de société devenus tellement graves, il est plus que jamais nécessaire d’analyser, de décrypter, d’expliquer… Est-ce pour cela que vous avez restructuré les équipes en charge du documentaire autour d’Emmanuel Laurentin et créé une nouvelle série autour des mots de la République avec Guillaume Erner ?
E. de J. : l’offre documentaire est un pilier de France Culture et j’ai souhaité incarner notre stratégie dans ce domaine autour d’Emmanuel Laurentin (jusqu’à présent producteur de l’émission Le temps du débat, ndlr), qui coordonnera l’offre en tant que délégué au documentaire et sera à même de transmettre aux jeunes producteurs de documentaire tout l’expertise des métiers de la radio publique dans ce domaine. Il travaillera notamment sur l’intime dans le monde d’aujourd’hui pour éclairer les enjeux de notre société. Avec sa nouvelle série sur les mots de la République, Guillaume Erner demande aux grandes voix qui interviennent dans la matinale de prendre un temps pour détailler un mot en lien avec la République. C’est une manière supplémentaire de s’ancrer dans l’actualité et de l’éclairer, à notre façon.
IN : et de contribuer à « faire société » ?
E. de J. : on espère en effet y contribuer à travers notre offre et notre travail quotidien. J’ai un parcours dans le service public et, à France Culture, nous sommes très investis dans les valeurs du service public : la pluralité des voix, des positions, des croyances, des idées… Soit justement tout ce qui fait société, qui fait la richesse de notre démocratie et contribue aussi à construire la société de demain en questionnant ses évolutions, ses mouvements profonds et ses mouvements en surface. Il faut sans cesse remettre sur le métier ces questions qui nous animent et sont au cœur de notre mission.
Notre projet éditorial est ancré dans l’actualité. Nous voulons contribuer à construire la société de demain en question ses évolutions, ses mouvements profonds et ses mouvements en surface
IN : le service public audiovisuel est souvent un sujet de débats, voire d’attaques. A Radio France, les critiques semblent se focaliser plutôt sur France Inter. France Culture serait-elle plus protégée par la spécificité de son offre ?
E. de J. : Radio France représente une pluralité d’offres et nous sommes tout à fait complémentaires et solidaires des autres antennes de la Maison de la radio et de la musique, France Bleu, franceinfo, France Inter, France Musique, … France Culture a une relation très vivante avec ses auditeurs. Je pousse toujours les équipes à répondre aux réactions des auditeurs que nous recevons tous les jours et qui sont d’ailleurs un signe de la bonne qualité de cette relation. Pour installer ce rapport de confiance avec les auditeurs, nous pouvons aussi compter sur la médiatrice du groupe qui fait remonter les tendances ou les points qui questionnent, par exemple sur le conflit au Proche-Orient ou sur les points de vue que nous mettons en avant et que nous nous attachons à équilibrer sur plusieurs semaines. Les auditeurs ne sont pas toujours au courant de nos obligations sur les temps de parole, même hors période électorale.
IN : la réforme de l’audiovisuel public, lancée par le gouvernement début 2024, a été suspendue avec la dissolution de l’Assemblée nationale. On connaît les velléités de privatisation du Rassemblement national… Dans quelle mesure les incertitudes répétées autour de l’audiovisuel public peuvent-elles impacter le travail de la station et de ses équipes ?
E. de J. : il est en l’état difficile de répondre à cette question. Très concrètement, nous allons continuer notre projet de service public et à remplir nos missions, avec la conviction qu’il faut des lieux avec une singularité comme celle de France Culture pour contribuer à nourrir des réflexions sur la société dans le respect de l’autre qui nous conduit chaque jour. Pour la suite, on verra ce que décident les citoyens…
Montrer aux auditeurs qui nous sommes et être des ambassadeurs palpables de la marque France Culture est un travail très artisanal et de longue haleine, mais on y croit
IN : la marque France Culture peut être impressionnante. Dans quelle mesure les rencontres avec les auditeurs sur le terrain permettent-elles d’élargir le cercle auprès d’un public qui n’est pas déjà acquis à sa cause ?
E. de J. : ces rencontres sur le terrain et dans les territoires sont très importantes, que ce soit avec les partenariats avec le festival Longueur d’ondes à Brest, à Nantes avec Utopiales, avec le Centre Pompidou où nous avons installé un studio pendant deux jours début juin autour de leurs expositions sur la bande dessinée, aux Rendez-vous de l’histoire de Blois… Ceux qui viennent nous rencontrer sont souvent acquis à la cause mais pas seulement. Dictée en gare est un rendez-vous maintenant bien installé avec la SNCF et très intergénérationnel, qui attire des gens qui passent et que l’on rencontre par hasard, parfois des classes… Montrer aux auditeurs qui nous sommes et être des ambassadeurs palpables de la marque France Culture est un travail très artisanal et de longue haleine, mais on y croit.
Je n’avais jamais réalisé à quel point le son stimule l’imaginaire et la pensée
IN : votre parcours est empreint de culture et de musique, notamment à travers votre pratique du piano. Après des années à la télévision chez Arte, qu’est-ce que vous a apporté cette plongée dans l’audio depuis un an ?
E. de J. : je n’avais jamais réalisé à quel point le son stimule l’imaginaire et la pensée. Je découvre avec la radio combien il est formidable d’être accompagné chaque jour par une voix qui partage un savoir, des idées, une création…, autrement qu’avec l’image qui propose un imaginaire. Cette idée de donner à voir est clé. Je vois une autre différence majeure par rapport à mon précédent métier. A la télévision, le diffuseur est dans une position de maïeutique avec les producteurs audiovisuels, une voie de rencontre entre le travail des créateurs et un public. A France Culture, nous sommes des producteurs et à ce titre très proches de la création. Pour moi, c’est un très grand bonheur.
En savoir plus
La saison 2023-2024 en chiffres :
1,9 million d’auditeurs quotidiens selon les derniers résultats d’audiences publiés par Médiamétrie (EAR-National, janvier-mars 2024)
Hausse de 40 % de l’audience chez les moins de 35 ans
40 % de l’écoute de France Culture est réalisée sur un support numérique
2,1 millions de contenus audio et vidéos consommés chaque jour
France Culture est la 2e radio la plus podcastée