21 octobre 2020

Temps de lecture : 4 min

Edward Roussel (Dow Jones) : «  La survie est une question d’adaptabilité» plutôt que de force ou d’intelligence ».

Le digital aide t-il l’industrie des médias ? Quid du poids des Gafam ? Quel rôle pour la data ?Quels seront les changements dans les prochaines années ? Réponses d’ Edward Roussel, qui est, depuis 2015, Chief Innovation Officer du groupe Dow Jones (Dow Jones et The Wall Stret Journal), chargé d’identifier les domaines à forts potentiels, tels que les start-ups et les relations avec les entreprises de la Silicon Valley. Un poste à forts enjeux.

Le digital aide t-il l’industrie des médias ? Quid du poids des Gafam ? Quel rôle pour la data ?Quels seront les changements dans les prochaines années ? Réponses d’ Edward Roussel, qui est, depuis 2015, Chief Innovation Officer du groupe Dow Jones (Dow Jones et The Wall Stret Journal), chargé d’identifier les domaines à forts potentiels, tels que les start-ups et les relations avec les entreprises de la Silicon Valley. Un poste à forts enjeux.

INfluencia: l’industrie des médias était déjà l’une des industries les plus perturbées au monde. Cette perturbation s’est-elle accélérée pendant la crise du Covid ?

Edward Roussel : l’industrie des médias est effectivement l’une des plus perturbées, et cela est particulièrement vrai pour les entreprises de presse. À l’aube du XXIe siècle, des journaux tels que le Wall Street Journal et le New York Times tiraient environ les deux tiers de leurs revenus de la publicité imprimée. Aujourd’hui, les abonnements numériques constituent la principale source de revenus. Ce que nous avons vu pendant la crise est une accélération spectaculaire de ce changement, avec une forte baisse de la publicité imprimée, compensée par une augmentation de 23% des abonnements numériques du WSJ au cours des trois mois précédant la fin juin par rapport au même trimestre de l’année précédente. Beaucoup de ces nouveaux abonnés lisent le WSJ sur mobile. Le nombre de lecteurs quotidiens sur l’application iPhone a augmenté de 43% en août par rapport à il y a un an. Le mobile est aujourd’hui le moyen de distribution dominant pour des entreprises comme la nôtre. Or, les compétences nécessaires pour gérer une entreprise d’abonnement numérique axée sur le mobile sont totalement différentes de celles dont nous avions besoin il y a dix ou 20 ans, lorsque l’impression était reine…

IN : où voyez-vous l’industrie des médias dans les deux ou trois prochaines années ? Quels seront les changements importants ?

E.R. : nous observons une série de tendances fondamentales, qui sont accélérées par la crise du Covid, notamment :
• Les moins de 25 ans consomment les médias grand public de manière radicalement différente : uniquement sur mobile, uniquement sur reseaux sociaux , où ils sont friands de vidéos courtes, une minute ou moins (TikTok, Snap, Instagram Stories)
• Du fait d’une inquiétude croissante concernant la désinformation, en particulier sur les réseaux sociaux, les adultes plus âgés, se recentrent sur la qualité : le WSJ, le New York Times et le Washington Post constatent tous une flambée des abonnements numériques.
Cela bénéficie aux paywalls numériques, conduisant à une relation directe avec les lecteurs et à une connaissance approfondie de ce qu’ils consomment et quand. Jamais les données collectées n’ont été d’une aussi grande qualité ! Permettant aux médias d’optimiser considérablement le service offert à leurs lecteurs, notamment via un contenu hautement personnalisé.
• Le marché de la publicité numérique est dominé par un duopole – Google et Facebook – avec une part combinée aux États-Unis de plus de 50%. Une domination publicitaire renforcée par la suppression progressive des cookies tiers sur Google Chrome et l’écosystème d’Apple (navigateur Safari et applications), favorisant les entreprises qui possèdent leurs propres données. Un énorme avantage à l’échelle de Facebook et Google, obligeant les médias à innover via de nouvelles stratégies publicitaires : création de profils pour chaque lecteur (leurs propres données), création de contenu pour les marques et parrainage d’événements par exemple.

IN : les grandes entreprises technologiques – le groupe des GAFAM – semblent être devenues encore plus puissantes pendant la crise Covid. Quelles en sont les implications ?

E.R. : tous les géants de la tech de la Silicon Valley ont signalé une augmentation de leurs revenus pendant la pandémie, le pire ralentissement économique depuis au moins une décennie. Cinq entreprises – Apple, Microsoft, Amazon, Alphabet (maison mère de Google) et Facebook – représentent désormais 25% de la valeur totale du S&P 500 (ndlr : uindice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées sur les bourses aux États-Unis ) avec une valeur marchande combinée de 7 milliards de dollars, soit le PIB de l’Allemagne plus la France. Une situation qui a quelques implications :
• Les préoccupations antitrust, en particulier dans la publicité et le commerce, pourraient conduire les régulateurs à démanteler les géants de la technologie.
• L’impact des réseaux sociaux sur la démocratie et la santé publique suscite des inquiétudes croissantes, forçant des entreprises comme Facebook à fonctionner davantage comme une marque médiatique, avec des « gardiens » humains. Accentuant davantage encore la controverse, pour Facebook et Twitter en particulier, qui déterminent ce qui peut et ne peut pas être dit sur leurs plateformes.
• Sur une note plus positive, le rythme d’innovation de ces entreprises a été impressionnant pendant la crise, notamment via de puissantes améliorations autour de la technologie communication vidéo, désormais omniprésente.

IN : si on élargit la réflexion, quelles opportunités ce nouveau monde apporte-t-il aux marques, en terme de communication ?

E.R. : parlons d’abord d’un risque critique : la surcharge d’informations. Sachant qu’un individu accède en moyenne à son téléphone portable plus de 100 fois par jour (travail, divertissement, socialisation, recherche d’informations), les marques, médias et autres, doivent être extrêmement attentives à la pertinence des informations qu’elles produisent et véhiculent. Les expériences à la fois personnalisées et personnelles sont une des réponses à ce besoin. Comme l’application Nike par exemple, avec sa capacité à personnaliser les routines d’entraînement, en fonction de vos expériences précédentes, combinée à une dimension sociale, qui la rend humaine.

IN : évoquons votre expérience de Leader de l’Innovation chez Dow Jones. Qu’est-ce que cela veut dire ? Quelle est la clé pour mener à bien une mission aussi vitale ?

E.R. : le rythme du changement dans l’industrie des médias devrait continuer à s’accélérer au cours des prochaines années. Et c’est un vrai défi. Le rythme métabolique de la plupart des entreprises de médias est lent. Leurs produits et services ont tendance à « traîner de la patte », quand il s’agit de réagir rapidement aux changements de comportement des consommateurs. Donc, la tâche la plus importante pour quelqu’un dans mon poste est d’allumer une torche en direction du futur, de synthétiser les tendances les plus fortes qui se présentent et de formuler des recommandations sur les méthodes les plus appropriées pour s’adapter. Comme Charles Darwin nous l’a enseigné avec sa théorie sur « l’origine des espèces», la survie est une question d ‘«adaptabilité» plutôt qu’une question de force ou d’intelligence.

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