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Le gouffre qui sépare les deux voisins est abyssal. Cette année, la proportion de bacheliers dans une génération a encore bondi de 7 points en France pour atteindre le chiffre sans précédent de 86,6%, Covid-19 oblige, quand en Allemagne, ce pourcentage atteint tout juste… 40%. Longtemps, avoir son « bac » était une véritable fierté dans notre pays mais il ne représente plus aujourd’hui qu’un droit de passage vers les études supérieures. En deux décennies, son taux de réussite a bondi de plus de 15%. Le principe d’égalité dans l’éducation n’est-il pas inscrit dans le préambule de la Constitution ? En Allemagne, l’Abitur est difficile à décrocher, car la sélection est précoce et brutale, inhérente à un système bien différent du nôtre.
La première chose à connaître concernant notre voisin germanique est que l’éducation de ses petits d’homme n’est pas du ressort national mais régional. La « Bildung », cette notion qui associe l’acquisition du savoir au développement de soi, est un domaine qui relève de la compétence des Länder, et il existe d’importantes différences d’un État-région à l’autre. Le système scolaire allemand est très sélectif et ce dès le plus jeune âge. L’école primaire, la Grundschule, s’étend sur quatre années scolaires (classes 1 à 4). En fonction de ses notes (de 1 à 6 sachant que 1 est la meilleure), trois solutions s’offrent à l’enfant : poursuivre son cursus à la Hauptschule, à la Realschule ou au Gymnasium. La Hauptschule a pour objectif de préparer les élèves à l’apprentissage. S’ils ont bien travaillé, ils décrochent après cinq années un certificat de fin de scolarité (Hauptschulabschluss) qui leur permet soit de continuer leurs études en entamant une formation professionnelle, soit de commencer à travailler. Après l’obtention de l’examen de fin d’études appelé Mittlere Reife, les mineurs peuvent rejoindre une filière de formation pour acquérir une qualification professionnelle (Fachoberschule/Abendschule) ou s’orienter vers un lycée pour valider un certificat et accéder aux écoles supérieures de technologie (Fachhochschule). Les meilleurs étudiants ont également la possibilité d’entrer dans un lycée pour se préparer au baccalauréat. Les élèves qui sont passés par la Hauptschule ou la Realschule suivent, pour la plupart, une formation professionnelle. Le système dual propose des apprentissages de trois ans sous contrat dans une entreprise. Cet enseignement pratique est complété par des cours généraux et technologiques dans une école professionnelle (Berufsschule). Des diplômes professionnels (Geselle, Kaufmann…) sont délivrés à l’issue de la formation pendant laquelle les apprentis touchent une indemnité mensuelle fixée selon les conventions collectives. Une fois leur apprentissage bouclé, les jeunes sont considérés comme des travailleurs qualifiés. Le Gymnasium correspond, quant à lui, au collège/lycée « à la française ». Il propose un enseignement général qui dure entre huit et neuf ans selon les Länder et il débouche sur l’Abitur.
Cette fusée à trois étages peut sembler inégalitaire, mais c’est en réalité tout le contraire. « Le système dual, qui permet aux jeunes de recevoir une formation pratique en entreprise un ou deux jours par semaine en plus de la formation générale, permet aux élèves d’acquérir une expérience dans le monde du travail, juge Christoph Wulf, professeur d’anthropologie et de philosophie de l’éducation à la Freie Universität de Berlin. Ces jeunes ont en conséquence davantage de chances de trouver un emploi après la sortie de l’école. » Les statistiques confirment cette analyse. En mai 2020, le taux de chômage des moins de 25 ans en République Fédérale atteignait à peine 5,4%, contre… 21,2% en France. Certains chiffres se passent de commentaire.
L’Allemagne ne ménage pas non plus ses deniers pour former ses futures générations. Entre 1995 et 2017, les dépenses publiques en matière d’éducation ont presque doublé pour atteindre 134,6 milliards d’euros. On n’a pas rien sans rien…